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nom."

„Oh bien!" dit le roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait." „Ah! Sire, quelle trahison! que Votre Majesté me le rende, je l'ai lu brusquement." „Non, monsieur le maréchal, les premiers sentiments sont toujours les plus naturels." - Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le roi en fît là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité.

III.

Un jour, Louis XIV, demanda à Boileau 1), quelle était son opinion sur des vers qu'il avait faits. Après avoir lu attentivement et respectueusement les vers composés par un si haut personnage qui avait daigné le choisir pour juge, il garda le silence.

„Pourquoi ne dites-vous rien," lui dit le roi, „vous trouvez peut-être que mes vers ne sont pas même passables!" „Oh! Majesté, je n'ai pas dit cela.“

„Non, sans doute, mais vous le pensez et cela revient au même. Voyons, dites-moi franchement et sans ménagement ce que vous pensez de mes vers.“

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Est-ce un ordre de Votre Majesté ?"

Certainement et j'attends une réponse immédiate.“

„Alors,“ dit le poète, „Sa Majesté est bien habile et je l'admire."

„Bien habile, comment? Vous voulez me tromper."

"Aucunement," dit Boileau; „mais je suis convaincu que Votre Majesté n'a fait de mauvais vers que pour mettre ma franchise à l'épreuve."

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Et vous pensez sans doute que j'ai atteint mon but," dit le roi riant.

,,C'est justement ce que je voulais dire," répondit Boileau, en faisant une profonde révérence, et je suis étonné que Votre Majesté puisse si bien faire tout ce qu'elle veut."

On raconte que Louis XIV ne fut pas plus fâché du jugement rendu que du compliment équivoque que Boileau lui avait fait, on raconte seulement qu'il s'empressa de brûler lui-même ces fameux vers.

1) Boileau ein berühmter Dichter und Kritiker zu Zeit Ludwig XIV.

IV.

Boileau, célèbre auteur satirique du 17ième siècle, était aimé pour sa franchise et son impartialité.

Un jour un courtisan lui montra des vers en lui disant: „Je sais que vous êtes un juge très sévère, mais je sais aussi que vous êtes franc. Dites-moi, je vous prie, ce que vous pensez de mes vers." Boileau, les ayant trouvés mauvais, le courtisan blessé lui dit: „Madame la Dauphine1) et Sa Majesté les ont pourtant trouvés charmants."

„A chacun son métier," dit Boileau. „Je suis parfaitement sûr que le roi s'entend à merveille à assiéger les villes, à conquérir des provinces, de même que Madame la Dauphine est une personne accomplie et d'un goût parfait, mais en matière de vers, vous devez avouer que je m'y entends tout aussi bien qu'eux.

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Le courtisan n'eut rien de plus pressé que d'aller vers Louis XIV lui raconter la chose à sa manière. Figurez-vous, Sire, que Boileau prétend qu'il se connaît mieux en vers que Sa Majesté et Madame la Dauphine."

„Il a parfaitement raison," dit le roi; „en fait de vers, son jugement est supérieur au nôtre."

V.

La duchesse de Longueville n'ayant pu obtenir une faveur qu'elle avait demandée à Louis XIV, en fut si vivement piquée qu'il lui échappa contre lui des paroles très-déplacées. Une seule personne les avait entendues; mais cette personne fut indiscrète. La chose fut rapportée au roi, qui en parla au prince de Condé, frère de la duchesse. Le prince répondit que ce rapport devait être faux. „J'en croirai votre sœur elle-même,“ répliqua le roi, „si elle le dément.“

Le prince va voir sa sœur, qui ne lui cache rien; en vain il tâche, pendant toute une soirée, de lui persuader qu'en cette occasion la sincérité serait trop dangereuse; qu'en la déclarant innocente il avait cru dire la vérité; qu'elle ne devait pas lui donner tort, et qu'elle ferait même plus plaisir au roi en niant sa faute qu'en l'avouant. Voulez-vous," lui dit-elle, „que je répare cette faute par une plus grande? Celui qui m'a

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1) Frau Kronprinzessin. Seite 2 und 150.

dénoncée, a grand tort; mais, après tout, il ne m'est pas permis de le faire passer pour un calomniateur, puisqu'en effet il ne l'est pas."

non

Elle alla trouver le roi et avoua tout. Louis XIV, seulement lui pardonna de bon cœur, mais lui accorda quelques grâces auxquelles elle ne s'attendait pas. Elle crut même remarquer que depuis ce jour il la traita avec plus de considération et de bonté qu'auparavant.

21. ANECDOTE.

A l'avènement de Louis XVI1) au trône, des ministres nouveaux et humains firent un acte de justice et de clémence, en revisant les registres de la Bastille 2) et en élargissant beaucoup de prisonniers.

Dans leur nombre était un vieillard qui, depuis quarantesept ans, gémissait, détenu entre quatre épaisses et froides murailles. Durci par l'adversité, qui fortifie l'homme, quand elle ne le tue pas, il avait supporté l'ennui et les horreurs de la captivité avec une constance mâle et courageuse. Ses cheveux blancs et rares avaient acquis presque la rigidité du fer, et son corps, plongé si longtemps dans un cercueil de pierre, en avait contracté, pour ainsi dire, la fermeté compacte.

La porte basse de son tombeau tourne sur ses gonds effrayants, s'ouvre, non à demi comme de coutume, et une voix inconnue lui dit qu'il peut sortir.

Il croit que c'est un rêve; il hésite, il se lève, s'achemine d'un pas tremblant, et s'étonne de l'espace qu'il parcourt. L'escalier de la prison, la salle, la cour, tout lui paraît vaste, immense, presque sans bornes. Il s'arrête comme égaré et perdu: ses yeux ont peine à supporter la clarté du grand jour; il regarde le ciel comme un objet nouveau; son œil est fixe; il ne peut pas pleurer; stupéfait de pouvoir changer de place, ses jambes malgré lui demeurent aussi immobiles que sa langue. Il franchit enfin le redoutable guichet.

Quand il se sentit rouler dans la voiture qui devait le ramener à son ancienne habitation, il poussa des cris inarticulés;

1) Ludwig XVI, der lette König vor der großen französischen Revolution. 2) Das alte, verhaßte Staatsgefängnis.

il ne put en supporter le mouvement extraordinaire; il fallut le faire descendre.

Conduit par un bras charitable, il demande la rue où il logeait; il arrive; sa maison n'y est plus, un édifice public la remplace. Il ne reconnaît ni le quartier ni la ville ni les objets qu'il y avait vus autrefois. Les demeures de ses voisins, empreintes dans sa mémoire, ont pris de nouvelles formes. En vain, ses regards interrogèrent toutes les figures; il n'en vit pas une seule dont il eût le moindre souvenir.

Effrayé, il s'arrête, et pousse un profond soupir: cette ville a beau être peuplée d'êtres vivants, c'est pour lui un peuple mort; aucun ne le connaît, il n'en connaît aucun; il pleure, et regrette son cachot.

Au nom de la Bastille qu'il invoque, et qu'il réclame comme un asile, à la vue de ses habillements qui attestent un autre siècle, on l'environne. La curiosité, la pitié s'empressent autour de lui: les plus vieux l'interrogent, et n'ont aucune idée des faits qu'il rappelle. On lui amène par hasard un vieux domestique, ancien portier, tremblant sur ses genoux, qui, confiné dans sa loge depuis quinze ans, n'avait plus que la force suffisante pour tirer le cordon de la porte: il ne reconnaît pas le maître qu'il a servi, mais il lui apprend que sa femme est morte, il y a trente ans, de chagrin et de misère, que ses enfants sont allés dans des climats inconnus, que tous ses amis ne sont plus. Il fait ce récit cruel avec cette indifférence que l'on témoigne pour les évènements passés et presque effacés.

Le malheureux gémit, et gémit seul. Cette foule nombreuse qui ne lui offre que des visages étrangers, lui fait sentir l'excès de sa misère plus que la solitude effroyable dans laquelle il vivait.

Accablé de douleur, il va trouver le ministre dont la compassion généreuse lui fit présent d'une liberté qui lui pèse. Il s'incline et dit: „Faites-moi reconduire à la prison d'où vous m'avez tiré. Qui peut survivre à ses parents, à ses amis, à une génération entière; qui peut apprendre le trépas universel des siens sans désirer le tombeau? Toutes ces morts qui, pour les autres hommes, n'arrivent qu'en détail et par gradation, m'ont frappé dans un même instant. Séparé de la société, je vivais avec moi-même. Ici, je ne puis vivre ni avec moi Rahn, Franz. Lesebuch. 1.

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ni avec les hommes nouveaux, pour qui mon désespoir n'est qu'un rêve. Ce n'est pas mourir qui est terrible, c'est mourir le dernier."

Le ministre s'attendrit. On attache à cet infortuné le vieux portier, qui pouvait lui parler encore de sa femme et de ses enfants. Il n'eut d'autre consolation que de s'en entretenir. Il ne voulut point communiquer avec la race nouvelle, qu'il n'avait pas vue maître; il se fit, au milieu de la ville, une espèce de retraite non moins solitaire que le cachot qu'il avait habité près d'un demi-siècle, et le chagrin de ne rencontrer personne qui pût lui dire: nous nous sommes vus jadis, ne tarda point à terminer ses jours.

22. TRAIT DE BIENFAISANCE.

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Le roi Louis XVI et son auguste épouse, peu de temps avant de monter sur le trône, se promenaient dans le parc de Versailles 1), libres du faste importun qui sans cesse assiège les grands; ils aperçurent une jeune enfant qui portait une écuelle et quelques cuillers d'étain. "Que portes-tu là ?" dit la princesse. ,,Madame, c'est la soupe pour mon père et ma mère qui travaillent là-bas aux champs." „Et avec quoi estelle faite ?" - Avec de l'eau, madame, et des racines." — „Quoi, sans viande ?" „Oh! madame, nous sommes bien heureux quand nous avons du pain.“ Eh bien! porte ce louis à ton père pour vous faire à tous de meilleure soupe.“ Le prince et la princesse la suivirent considérant de loin l'homme courbé sous le poids de son travail, qui, dès que sa fille lui a remis le louis et lui a fait part de cette heureuse rencontre, tombe à genoux avec sa femme et ses enfants, et lève les mains vers le ciel. „Ah! vois-tu, mon ami,“ s'écria la princesse, „ils prient pour nous. Quel plaisir on goûte à faire du bien!"

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23. LA FRANCE AVANT LA RÉVOLUTION.

I.

Les droits seigneuriaux.

Il y a des gens qui regrettent encore le bon vieux temps. Mais ces admirateurs ne connaissent pas l'histoire de leur pays.

1) Siehe Seite 17.

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