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donc, prêtre, voulez-vous nous faire dîner ici ?" disaient les uns. „Donnez-la-nous," disaient les autres, et ce sera bientôt fini.“ Fais ton office," disaient-ils au bourreau.

Sans autre commandement, le bourreau la saisit: elle embrassa la croix et marcha vers le bûcher; des gendarmes anglais l'y entraînaient avec fureur.

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Le bûcher était dressé sur un massif de plâtre. Lorsqu'on y fit monter Jeanne, on plaça sur sa tête une mitre où étaient écrits ces mots: hérétique, relapse, apostate, idolâtre. Frère Martin l'Advenu, son confesseur, était monté sur le bûcher avec elle; il y était encore que le bourreau alluma le feu. „Jésus!" s'écria Jeanne; et elle fit descendre le bon prêtre. Tenez-vous en bas," dit-elle, „levez la croix devant moi, que je la voie en mourant, et dites-moi de pieuses paroles jusqu'à la fin.“ Elle assura encore qu'elle ne croyait pas avoir été trompée et qu'elle n'avait rien fait que par ordre de Dieu. Ainsi protestant de son innocence et se recommandant au ciel, on l'entendit encore prier à travers la flamme; le dernier mot qu'on put distinguer fut: „Jésus!"

De Barante.

18. FRANÇOIS Ier 1) ET LE CHARBONNIER.

François Ier s'égara un jour à la chasse, et après bien des courses inutiles pour retrouver son chemin, il arriva dans la cabane d'un charbonnier. Le mari était absent: il ne trouva que la femme auprès du feu. C'était en hiver, et il avait plu. Le roi demanda une retraite pour la nuit, et à souper. Il fallut attendre le retour du mari. Pendant ce temps, le roi se chauffa, assis sur une mauvaise chaise, la seule qu'il y eût dans la maison. Vers les dix heures arrive le charbonnier, las de son travail, fort affamé et tout mouillé. Le compliment d'entrée ne fut pas long. La femme exposa la chose à son mari et tout fut dit. Mais à peine le charbonnier eut-il salué son hôte, et secoué son chapeau tout trempé, qu'il prit la place la plus commode et le siège que le roi occupait et lui dit: „Monsieur, je prends votre place, parce que c'est celle où je me mets toujours, et cette chaise parce qu'elle est à moi:

Or par droit et par raison 2),

Chacun est maître en sa maison."

1) Regierte von 1515-1547. 2) Nach Fug und Recht.

François applaudit au proverbe, et se plaça ailleurs sur une sellette de bois. On soupa: on régla les affaires du royaume; on se plaignit des impôts: le charbonnier voulait qu'on les supprimât. Le prince eut de la peine à lui faire entendre raison. A la bonne heure, donc," dit le charbonnier; „mais, ces défenses rigoureuses pour la chasse, les approuvez-vous aussi? Je vous crois honnête homme, et je pense que vous n'en direz rien au Grand-nez (nom que le peuple donnait à François Ier). J'ai là un morceau de sanglier qui en vaut bien un autre: mangeons-le; mais surtout bouche close." François promit tout; mangea avec appétit, se coucha sur des feuilles, et dormit bien. Le lendemain la suite du roi arriva et le charbonnier apprit que c'était le Grand-nez lui-même à qui il avait donné l'hospitalité. C'est à cette aventure qu'il faut rapporter l'origine du proverbe: Charbonnier est maître chez lui.

19. HENRI IV 1).
I.

Un duc de Savoie demandait à Henri IV, combien la France lui rapportait. „Autant que je veux," répondit le roi, car je possède le cœur de mes sujets."

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II.

On conseillait à Henri IV de se montrer sévère à l'égard de quelques villes qui n'avaient pas voulu se soumettre. „La satisfaction qu'on tire de la vengeance, ne dure qu'un moment," répondit ce prince, „celle que donne la clémence, est éternelle."

III.

Henri IV demanda un jour au jeune duc de Montmorency quelle était la plus grande qualité d'un roi. Le duc répondit sans hésiter que c'était la clémence. „Pourquoi la clémence,“ ajouta le roi, „plutôt que le courage, la libéralité et tant d'autres vertus qu'un souverain doit posséder ?“ "C'est," répondit le duc, qu'il n'appartient qu'aux rois de pardonner ou de punir le crime en ce monde."

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1) Regierte von 1589-1610.

IV.

Un jour que Henri IV marchait à quatre pattes portant sur son dos le dauphin 1), un ambassadeur entra tout à coup, et le surprit dans cette posture. Le monarque sans se déranger, lui dit: Monsieur l'ambassadeur, avez-vous des enfants?"

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Oui, Sire." „En ce cas,“ dit Henri, „je puis achever le tour

de la chambre."

V.

Henri IV, dans une chasse, s'étant écarté de ses gardes et de sa cour, rencontra un paysan assis entre deux arbres. „Que fais-tu là?" lui dit le prince. „J'étais venu ici, dès le point du jour, pour voir passer le roi," répondit le paysan; ,,sans ce désir, je serais à labourer mon champ, qui n'est pas fort éloigné." „Si tu veux monter sur la croupe de mon cheval," lui répliqua Henri, „je te conduirai où est le roi, et tu le verras à ton aise."

Le paysan, enchanté, profite de la rencontre, monte derrière le chevalier et demande chemin faisant comment il pourra reconnaître le roi. „Tu n'auras qu'à regarder celui qui sera couvert pendant que tous les autres auront la tête nue."

Enfin le moment arrive où le roi rejoint une partie de sa cour et se trouve parmi ses courtisans; tous se découvrent, excepté lui. Alors il demande au paysan: „Eh bien, quel est le roi?" „Ma foi, monsieur," lui répondit-il, c'est vous ou moi, car il n'y a que nous deux qui ayons notre chapeau surla tête."

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VI.

Henri IV assiégeait Paris en 15902). La ville était réduite aux dernières extrémités. La famine la plus affreuse régnait. On allait jusqu'à piler les os des morts pour essayer d'en faire une pâte qu'on pût manger. Tandis que les partisans de l'Espagne et les fanatiques refusaient d'ouvrir leurs portes, sous prétexte que le roi était un huguenot, Henri IV se montrait

1) Siehe Seite 2 und 150. 2) Mit Heinrich IV. gelangten die Bourbons auf den französischen Thron. Da er Protestant war, so erkannten verschiedene Provinzen und Städte den König nicht an. Erst als er zur katholischen Kirche übertrat, unterwarf sich ihm das ganze Land.

aussi humain que la guerre le lui permettait. Il laissait sortir de la ville les bouches inutiles; il laissait parfois introduire du pain pour les assiégés. Un jour, on lui amena deux paysans qui avaient cherché à introduire des vivres dans la ville. Π les fit relâcher et leur donna de plus tout l'argent qu'il avait sur lui. „Allez," dit-il, le Béarnais1) est pauvre; s'il en avait davantage, il vous le donnerait." Il ajoutait: „J'aimerais mieux n'avoir point de Paris que de l'avoir ruiné par la mort de tant de personnes."

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VII.

Certain jour, le bon roi Henri,
Revenant d'assez long voyage,
Allait entrer à Montlhéri 2).
Et vite, et vite à son passage
Accourent tous les habitants.
Le curé s'est mis à leur tête.
A le haranguer il s'apprête;
Mais, n'ayant eu que peu d'instants
Pour préparer ce qu'il doit dire,
Il se présente et lui dit: „Sire,
Les habitants de Montlhéri

Sont charmés de vous voir ici."

„Bien!" dit le vainqueur de la Ligue3), „Votre harangue me plaît fort;

Mais je voudrais l'entendre encor:

Bis, si cela ne vous fatigue."

„Point du tout, Sire!" Et sur-le-champ,

D'une voix plus ferme et plus nette,

Notre bon curé lui répète

Son court et naïf compliment.

"

Encor mieux!" dit le roi, „j'ordonne

Que, pour ses indigents, l'on donne

Cent écus au digne pasteur."

"Bis, Sire!" répond l'orateur.

1) Familiärer Beiname von Heinrich IV. Navarra und Bearn (Seite 6) waren die Stammlande dieses Herrschers. 2) Ort in der Nähe von Paris (Departement Seine-et-Oise). 3) Die katholische Partei. Vergl. 1 auf

Seite 123.

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Ventre Saint-Gris!) j'aime cet homme,"

Dit le bon monarque en riant;

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Un jour Louis XIV jouait au tric-trac3) et il y eut un coup douteux. On disputait. Les courtisans demeuraient dans. le silence.

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Le comte de Grammont arrive. „Servez-nous donc d'arbitre," lui dit le roi. „Sire, c'est vous qui avez tort," dit le comte. Et comment pouvez-vous me donner tort avant de savoir de quoi il s'agit?" - "Eh, Sire, ne voyez-vous pas que, si la chose avait été seulement douteuse, tous ces messieurs vous auraient donné gain de cause!"

II.

Madame de Sévigné1) à M. de Pompone.

Il faut que je vous conte une petite histoire, qui est trèsvraie et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des vers: MM. de Saint-Aignan et de Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal), que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin, il dit au maréchal de Grammont: „Monsieur le maréchal, lisez, je vous prie, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent; parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons." Le maréchal, après l'avoir lu, dit au roi: „Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes les choses; il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu." Le roi se mit à rire, et lui dit: „N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est. un fat?" „Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre

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1) Tausend Sapperment! Eine Lieblingsbeteuerungsformel von Heinrich IV. 2) Regierte von 1643-1715. 3) Eine Art Brettspiel. 4) Frau von Sévigné, eine berühmte Schriftstellerin zur Zeit Ludwigs XIV. 5) Ein kleines, zierliches Gedicht.

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