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L'empereur, ému du courage et de la naïveté de cet enfant, dit à Berthe d'une voix adoucie:

„Relève-toi, ma sœur; en faveur de ton fils, je te pardonne." „Ah! mon cher frère," répondit madame Berthe se relevant joyeuse, que le petit Roland te récompense un jour de tes bontés envers moi; qu'il devienne tel que toi, l'auguste emblème des héros; que sa bannière et son écusson portent les couleurs de différents royaumes, qu'il trouve sa place à la table des rois et leur prouvé qu'il ne respire que pour le salut et l'honneur de son propre pays." Fouqueau de Pussy (Saures Lesebuch).

7. MORT DE ROLAND A RONCEVAUX.

Charlemagne avait un neveu qu'il chérissait beaucoup, fier et redoutable guerrier, Roland, dont plusieurs chefs étaient jaloux. Lorsque l'empereur était en Espagne dont il avait soumis la plus grande partie, il voulut, avant de rentrer en Gaule, envoyer une ambassade à un roi arabe, nommé Marsile. Or, les députés qu'on lui avait déjà envoyés, n'étaient pas revenus. Roland propose de charger Ganelon de cette mission périlleuse; celui-ci l'accepte, mais jure qu'il se vengera de Roland. Il se laisse séduire par Marsile et indique au Sarrasin la route que prendra l'armée des Francs; l'effort de Marsile sera toujours dirigé contre l'arrière-garde que doit commander Roland. Ganelon revient trouver Charlemagne et lui apporter, à sa grande joie, la soumission de Marsile.

Charles donc se mit en marche et franchit les montagnes avec le gros de son armée. Roland suivait et arriva bientôt, avec l'arrière-garde, dans une étroite vallée appelée la Vallée de Roncevaux. Alors de toutes les forêts voisines s'élancèrent des ennemis jusque-là invisibles, de toutes les hauteurs roulèrent d'énormes quartiers de rochers qui écrasaient les soldats de Roland.

Celui-ci combat avec acharnement, mais le nombre des ennemis grossit sans cesse. Roland, voyant presque tous ses compagnons tués, sonne de son cor pour appeler Charlemagne. Le bruit de ce cor enchanté allait jusqu'à quinze lieues à la ronde; il arrive aux oreilles de Charles. C'est mon neveu qui m'appelle," dit-il avec inquiétude. „Non," dit Ganelon qui l'accompagnait, votre neveu chasse à travers les montagnes." Et le roi poursuivit sa route. Cependant Roland sonna si fort

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que les veines de son cou se rompirent et que le sang jaillit de sa bouche. Il vit qu'il fallait mourir. Mais il ne voulait pas que sa terrible épée, sa Durandal, comme on l'appelait, tombât entre les mains des infidèles. Il chercha un rocher pour la briser; ce fut la roche qui se fendit, et les montagnards montrent encore aux voyageurs une brêche énorme qu'on dit être la brêche de Roland. Ne pouvant briser Durandal, il la jeta dans une fontaine empoisonnée où elle doit rester jusqu'à la fin des temps.

Charlemagne avait pourtant fini par comprendre les sons désespérés du cor de Roland et accourait, mais trop tard. Roland était mort ainsi que tous ses compagnons. Ducoudray.

8. PIERRE L'ERMITE.

La gloire de délivrer Jérusalem devait appartenir à un simple pèlerin. Né avec l'esprit actif et inquiet, Pierre chercha dans toutes les conditions de la vie un bonheur qu'il ne put trouver. L'étude des lettres, le métier des armes, l'état ecclésiastique, ne lui avaient rien offert qui pût remplir son cœur et satisfaire son âme ardente. Dégoûté du monde et des hommes, il se retira parmi les cénobites 1) les plus austères. Le jeûne, la prière, la méditation, le silence de la solitude exaltèrent son imagination. Dans ses visions, il entretenait un commerce habituel avec le ciel et se croyait l'instrument de ses desseins. Il avait la ferveur d'un apôtre, le courage d'un martyr. Son zèle ne connaissait point d'obstacles, et tout ce qu'il désirait lui semblait facile: tel fut l'homme extraordinaire qui donna le signal des croisades.

Le bruit des pèlerinages en Orient fit sortir Pierre de sa retraite; il suivit dans la Palestine la foule des chrétiens qui allaient visiter les saints lieux. A l'aspect de Jérusalem il fut plus ému que tous les autres pèlerins; mille sentiments contraires vinrent agiter son âme exaltée. Après avoir suivi ses frères sur le Calvaire 2) et au tombeau de Jésus-Christ, il se rendit auprès du patriarche3) de Jérusalem. Les cheveux blancs de Siméon, sa figure vénérable, et surtout la persécution qu'il avait éprouvée, lui méritèrent toute la confiance de Pierre; ils

1) Klostermönch. Die getrennt lebenden Mönche hießen Anachoreten (anachorètes). 2) Der Berg Golgatha. 3) Patriarch war der Titel des Bischofs von Jerusalem.

pleurèrent ensemble sur les maux des chrétiens. L'Ermite, le cœur ulcéré, le visage baigné de larmes, demanda s'il n'était point de terme, point de remède à tant de calamités. „O, le plus fidèle des chrétiens," lui dit alors le patriarche, „ne voyez-vous pas que nos iniquités nous ont fermé l'accès de la miséricorde du Seigneur? L'Asie est au pouvoir des musulmans; tout l'Orient est tombé dans la servitude; aucune puissance de la terre ne peut nous secourir." A ces paroles, Pierre interrompit Siméon et lui fit entendre que les guerriers de l'Occident pourraient être un jour les libérateurs de Jérusalem. Oui, sans doute,"

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répliqua le patriarche, quand la source de nos afflictions sera comblée, quand Dieu sera touché de nos misères, il amollira le cœur des princes de l'Occident, et les enverra au secours de la ville sainte." A ces mots, Pierre et Siméon ouvrirent leurs âmes à l'espérance, et s'embrassèrent en versant des larmes de joie. Le patriarche résolut d'implorer par ses lettres le secours du pape et des princes de l'Europe; l'Ermite jura d'être l'interprète des chrétiens d'Orient et d'armer l'Occident pour leur délivrance.

Après cet entretien, l'enthousiasme de Pierre n'eut plus de bornes. Il quitte la Palestine, traverse les mers, débarque sur les côtes de l'Italie et va se jeter aux pieds du pape. La chaire de saint Pierre était alors occupée par Urbain II. Urbain le reçut comme un prophète, il applaudit à son dessein et le chargea d'annoncer la prochaine délivrance de Jérusalem.

L'ermite Pierre traversa l'Italie, passa les Alpes, parcourut la France et la plus grande partie de l'Europe, embrasant tous les cœurs du zèle dont il était dévoré. Il voyageait monté sur une mule, un crucifix à la main, les pieds nus, la tête découverte, le corps ceint d'une grande corde, couvert d'un long froc et d'un manteau d'ermite de l'étoffe la plus grossière. La singularité de ses vêtements était un spectacle pour le peuple; l'austérité de ses mœurs, sa charité, la morale qu'il prêchait, le faisaient révérer comme un saint.

Il allait de ville en ville, de province en province, implorant le courage des uns, la piété des autres; tantôt il se montrait dans la chaire des églises, tantôt il prêchait dans les chemins et sur les places publiques. Le peuple se pressait en foule sur les traces de Pierre. Le prédicateur de la guerre sainte était partout reçu comme un envoyé de Dieu, on s'estimait heureux

de toucher ses vêtements, le poil arraché à la mule qu'il montait était conservé comme une sainte relique. A sa voix, les différends s'apaisaient dans les familles, les pauvres étaient secourus; on ne parlait que des vertus de l'éloquent cénobite1), on racontait ses austérités et ses miracles, on répétait ses discours à ceux qui ne l'avaient point entendu, et qui n'avaient pu s'édifier par sa présence.

Souvent il rencontrait dans ses courses des chrétiens d'Orient qui avaient été bannis de leur patrie, et qui parcouraient l'Europe en demandant l'aumône. L'ermite Pierre les présentait au peuple comme des témoignages vivants de la barbarie des infidèles: en montrant les lambeaux dont ils étaient couverts, il s'élevait avec violence contre leurs oppresseurs et leurs bourreaux. A ce spectacle, les fidèles éprouvaient tour à tour les plus vives émotions de la pitié et toutes les fureurs de la vengeance; tous déploraient dans leurs cœurs les malheurs et la honte de Jérusalem! Le peuple élevait la voix vers le ciel, pour demander à Dieu qu'il daignât jeter un regard sur la ville chérie. Les uns offraient leurs richesses, les autres leurs prières; tous promettaient de donner leur vie pour la délivrance des saints lieux.

9. CONCILE DE CLERMONT.

Michaud.

Le concile s'assembla dans la grande place de Clermont3), qui se remplit bientôt d'une foule immense. Suivi de ses cardinaux, le pape monta sur une espèce de trône qu'on avait dressé pour lui; à ses côtés on vit paraître l'ermite Pierre, dans ce costume grossier et bizarre qui lui avait attiré partout l'attention et le respect de la multitude. L'apôtre de la guerre sainte parla le premier; il rappela les profanations et les sacrilèges dont il avait été témoin, les tourments et les persécutions qu'un peuple ennemi de Dieu et des hommes faisait souffrir à ceux qui allaient visiter les saints lieux. Il avait vu des chrétiens chargés de fers, traînés en esclavage, attelés au joug comme les plus vils des animaux; il avait vu les oppresseurs de Jérusalem vendre aux enfants du Christ la permission de saluer le tombeau de leur Dieu, leur arracher

1) Siehe Seite 102. 2) Clermont, die Hauptstadt der Auvergne; siehe Seite 36.

jusqu'au pain de la misère, et tourmenter la pauvreté ellemême pour en obtenir des tributs, il avait vu les ministres de Dieu arrachés du sanctuaire, battus de verges et condamnés à une mort ignominieuse. En racontant les malheurs et la honte des chrétiens, Pierre avait le visage abattu et consterné, sa voix était étouffée par des sanglots, sa vive émotion pénétrait tous les cœurs.

Le souverain pontife qui parla après Pierre l'Ermite, s'adressa à toutes les nations qui étaient représentées dans le concile; il s'adressa surtout aux Français, qui formaient le plus grand nombre de l'assemblée. „Nation chérie de Dieu," leur dit-il, „c'est dans votre courage que l'Église chrétienne a placé son espoir; c'est parce que je connais votre piété et votre bravoure que j'ai traversé les Alpes, et que je suis venu apporter la parole de Dieu dans ces contrées. Vous n'avez pas oublié que la terre que vous habitez a été envahie par les Sarrasins, et que la France aurait reçu les lois de Mahomet sans les exploits de Charles - Martel1). Rappelez sans cesse à votre esprit les dangers et la gloire de vos pères; conduits par des héros dont le nom est immortel, ils ont délivré votre patrie, ils ont sauvé l'Occident d'un honteux esclavage. De plus nobles triomphes vous attendent sous la conduite du Dieu des armées; vous délivrerez l'Europe et l'Asie; vous sauverez la cité de JésusChrist, cette Jérusalem que s'était choisie le Seigneur, et d'où la loi nous est venue."

A mesure qu'Urbain prononçait son discours, les sentiments dont il était animé, pénétraient dans l'âme de ses auditeurs; lorsqu'il parlait de la captivité et des malheurs de Jérusalem, toute l'assemblée fondait en larmes; lorsqu'il rappelait la tyrannie et les persécutions des infidèles, les guerriers qui l'écoutaient portaient la main sur leur épée et juraient dans leur cœur de venger la cause des chrétiens. Urbain redoubla encore leur enthousiasme en leur annonçant que Dieu les avait choisis pour accomplir ses desseins; il les exhorta à tourner contre les musulmans les armes qu'ils portaient contre leurs frères. Ils n'avaient plus à venger les injures des hommes, mais celles de la Divinité: ce n'était plus la conquête d'une ville ou d'un château qui s'offrait à leur valeur, mais les richesses de

1) Siehe Seite 96.

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