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dans notre attente, et que, pour la première fois, nous éprouvions la sensation odeur sans voir la chose visible, ou lumineuse, comme cela pourra arriver si le corps lumineux et le corps odorant ne sont pas le même corps, et que le corps lumineux soit inodore et le corps odorant invisible. L'idée de cette sensation odeur se liera-t-elle, dans ce cas, à l'idée de quelque autre chose? Non, sans doute, d'autant plus que nous n'en connaissons point d'autre, et que celle qui nous est connue ne suffit pas pour nous donner l'idée d'une chose en général; et dans ce cas, après avoir éprouvé seulement une grande surprise de ce changement inattendu, nous cesserons désormais de lier entre elles les idées que jusque-là nous avions crues inséparables.

Mais lorsque nous aurons appris de l'expérience, qu'il existe d'autres sensations que la sensation odeur, telles, par exemple, que la sensation chaleur et la sensation contraire; qu'il existe d'autres corps extérieurs que celui que nous avions vu d'abord; qu'ils sont plus ou moins lumineux, et par là plus ou moins visibles; que, quoique lumineux, ils cessent d'être visibles dans certaines circonstances, comme, par exemple, lorsqu'ils sont trop petits; et qu'en général une sensation suppose constamment la présence ou l'existence d'un objet extérieur ; alors l'idée d'une sensation quelconque rappellera toujours l'idée de quelque autre chose, et toujours, en éprouvant cette sensation, nous croirons, nous serons persuadés, qu'il existe en effet quelque chose hors de nous, quelque objet visible ou invisible, sans lequel

la sensation qui nous affecte n'existerait point, et ne pourrait exister.

Je dis exister; car, sans doute, nous remarquerions facilement qu'une sensation n'est point une chose qui préexistait et qui peut être absente ou disparaître, sans cesser d'être; mais une chose qui n'existait point, qui naît, et puis qui cesse d'exister, pour renaître encore : ce qui nous donnerait l'idée de production ou de création (mot dont on a singulièrement abusé), laquelle nous conduirait à celle de chose ou de cause productrice, ou créatrice; car, voyant qu'une sensation, ou tout autre phénomène, ne peut naître qu'à cette condition qu'une autre chose existe déjà, nous ne pourrions pas ne pas regarder comme un attribut de cette chose, non la sensation elle-même, mais sa production. De là l'idée du rapport de dépendance qui lie l'effet à sa cause; idée d'ailleurs assez vague, assez mal déterminée, comme chacun pourra s'en convaincre, en cherchant à se rendre compte de la manière dont il conçoit cette dépendance.

La constante reproduction des mêmes phénomènes à l'aspect des mêmes agents, suffirait donc, ce semble, pour nous suggérer l'idée de cause, telle qu'il nous est donné de la concevoir. Elle est nécessaire, en tout cas, pour rendre plus claire et plus distincte cette idée, ou mieux, pour nous familiariser avec elle; et elle seule peut nous faire assigner à chaque phénomène sa véritable cause.

Mais, quoi qu'il en puisse être, toujours est-il que c'est bien réellement dans l'action des corps, non en

tant qu'ils produisent, même sur le toucher, des sensations proprement dites, mais en tant qu'ils ré– sistent à nos mouvements, à nos efforts, que nous puisons, avec l'idée de matière, la première idée de cause.

IDÉES INNÉES.

$ 1.

I. Une idée qui se trouverait déjà dans l'esprit de l'homme au moment de sa naissance, comme s'il l'avait acquise antérieurement à cette époque, ou comme si Dieu la lui avait directement suggérée en le créant, c'est-à-dire en créant l'âme dont il l'a doué, si elle a été créée; voilà, sans doute, ce que serait une idée̱ innée; et plusieurs philosophes prétendent qu'en effet il existe dans l'âme de telles idées.

le

Mais avant d'examiner plus particulièrement cette question, qui n'a pas pour moi la même importance que pour eux, je veux faire voir d'abord ce que vulgaire, sans s'en apercevoir, entend par ces mots d'idées innées, de sentiments innés, et analyser, sous ce rapport, la pensée du commun des hommes.

Toute idée est un phénomène, et tout phénomène implique deux causes : l'une efficiente, qui se trouve le plus ordinairement hors de la substance qui subit la modification que nous appelons phénomène; l'autre conditionnelle, qui existe toujours dans cette substance même, dont elle est une des propriétés consti

tuantes.

Je prouverai qu'il n'y a rien dans l'âme qui lui soit inné, ou qui s'y trouve naturellement, que ses propriétés, tant actives que passives, et qu'il ne s'y passe aucun phénomène, du moins aucun de ceux

que nous appelons idées, sensations et sentiments, avant que quelque cause extérieure ait pu agir sur elle.

Mais comme les phénomènes de l'âme existent, si l'on peut ainsi dire, en puissance dans leurs causes conditionnelles, qui sont innées, c'est-à-dire dans les propriétés de l'âme, puisqu'ils ne sont, en quelque sorte, que ces propriétés elles-mêmes en tant qu'elles se manifestent actuellement par l'action d'une cause efficiente; de même qu'une maladie à laquelle un homme est sujet existe en puissance, ou virtuellement, dans certaines dispositions particulières de ses organes; et de même encore que les vibrations d'une cloche existent en puissance dans l'élasticité de cette cloche: on peut dire, en ce sens, que toutes nos idées, et toutes nos sensations même, nous sont naturelles ou innées; comme on peut le dire de telles maladies chez certains individus. Et, en effet, aucune de nos sensations, par exemple, ne nous vient du dehors, quoiqu'elles aient toutes leur cause efficiente, ou productrice, dans les objets extérieurs, c'est-à-dire dans l'action de ces objets sur nos sens : donc elles existent virtuellement en nous.

De plus, comme, d'une part, les propriétés de l'âme diffèrent les unes des autres dans le plus et le moins, ou dans leur degré d'intensité; et que, d'une autre part, chaque propriété est plus prononcée, ou plus parfaite, chez quelques hommes que chez tous les autres; on peut dire, jusqu'à certain point, de ces propriétés, et par suite, des idées dont elles sont les causes conditionnelles, et en tant que ces idées

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