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On ne manquera pas de m'objecter que l'infini s'applique à d'autres choses qu'à la durée, au nombre et à l'étendue, du moins en prenant ce mot dans un sens figuré, ce qui ne l'empêcherait pas d'exprimer un attribut tout aussi réel que les mots de réflexion et d'action ou d'effort intellectuels, qui sont également pris dans un sens métaphorique.

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Il est certainement plusieurs choses qui, bien que limitées dans le temps, par exemple, sous d'autres rapports sont infinies, en ce qu'il nous serait impossible de comprendre dans quel sens, comment et par quoi elles pourraient être limitées d'ailleurs. Mais il est clair que cet infini n'est pas un attribut réel, et que l'on prend alors ce mot dans un sens négatif.

Il en est aussi qu'on appelle infinies, en prenant ce mot dans un sens positif; et l'on entend par là, ou des choses dont les limites ne sont point aperçues, ne sont point assignées, ni même assignables, mais qui existent néanmoins; en sorte qu'elles ne sont qu'indéfinies, et non véritablement infinies; ou des choses seulement très-grandes, très-intenses, ou d'un degré très-élevé, qui dépasse les bornes de notre imagination; et dans ces deux cas, c'est par abus que l'on emploie ce mot d'infini. Mais quand on le prend en effet dans toute la rigueur du terme, pour indiquer que les choses dont on parle sont réellement d'une grandeur infinie, je maintiens que nous n'avons aucune idée distincte d'un pareil attribut.

Nous ne pouvons avoir une idée claire et distincte que de l'indéfini positif et de l'infini négatif: de la

comparaison de ces choses naît l'idée très-vague, très-obscure, très-confuse, de l'infini positif. Il est donc impossible que cette dernière idée, tant parce que nous pouvons l'acquérir de cette manière, que parce qu'elle n'a rien de lucide, existe à priori dans l'intelligence, comme quelques-uns le prétendent, ou qu'elle soit innée. En tout cas, l'idée de fini, de borne, de limite, entre nécessairement dans l'idée d'infini, et cela est réciproque. Ces deux idées ne peuvent pas se présenter à l'esprit, du moins pour la première fois, l'une sans l'autre ; car chacune d'elles, quoique positive en elle-même, en tant qu'idée, peut être considérée comme une négation de l'autre. Si donc, l'une de ces idées était innée, il faudrait qu'elles le fussent toutes deux.

Toutes deux sont également innées en ce sens, qu'elles existent virtuellement, ou en puissance, dans la conception, ou dans telle autre propriété de l'âme, qui en est la cause conditionnelle; mais elles ne peuvent passer de la puissance à l'acte que par une cause efficiente; et cette cause, il faut la chercher dans la comparaison des choses qui ont des limites et de celles qui n'en ont pas pour nous, ou dont les limites ne sont point aperçues; comparaison qu'amène naturellement la considération de celles dont les limites s'écartent de plus en plus, jusqu'à ce qu'elles disparaissent tout à fait, ce qui appelle l'attention sur cette circonstance, que les choses qui nous sont connues sont renfermées dans des limites plus ou moins rapprochées, et fait ainsi naître en nous les idées de fini, d'infini et d'indéfini. Ces idées, ayant

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leur cause conditionnelle dans quelque propriété de l'âme, mais exigeant une cause efficiente pour passer de la virtualité à l'actualité, ou se montrer à l'esprit pour la première fois, ne diffèrent donc en rien (quant à leur origine) des autres idées simples dont se composent nos pensées, et en premier lieu de nos idées sensibles.

De l'infini dans la grandeur, nous passons facilement, par similitude, à l'infini dans l'intensité et dans la perfection; et, ces idées acquises, nous arrivons naturellement à l'idée composée d'absolu infini, ce qui suppose d'ailleurs que nous avons déjà les idées d'absolu et de relatif, qui n'ont pu venir non plus l'une sans l'autre, et qui ne sont pas plus innées que celles d'infini et de fini. L'idée d'homme est une idée absolue, l'idée de père est une idée relative; mais ces idées nous représentent des choses bornées et finies sous tous les rapports. L'absolu infini ne se trouve qu'en Dieu. Mais ces idées, ni celle de Dieu lui-même, quoiqu'elles existent virtuellement dans l'intelligence, comme les sensations dans la sensibilité physique, ne sont point innées dans le sens propre du mot, et elles ne pourraient jamais se montrer à l'esprit, si des causes efficientes ne les y appelaient.

CAUSE EFFICIENTE.

$ 1.

I. Lorsque deux phénomènes se suivent ou coexistent, et que de l'existence de l'un dépend celle de l'autre, on donne le nom de cause efficiente ou productrice, au phénomène dont l'autre dépend, et à celui-ci le nom d'effet.

Une cause, proprement dite, est donc un phénomène considéré relativement à l'effet qu'il produit, et un effet est un phénomène considéré relativement à sa cause, ou en tant qu'il dépend d'une cause.

Il suit de cette définition qu'il n'y a point de cause sans effet, ni d'effet sans cause.

Mais il ne s'ensuit pas, et il n'est pas vrai que tout phénomène soit cause, ou du moins, soit nécessairement cause, ou produise nécessairement un effet; et il ne s'ensuit pas non plus, quoiqu'il soit sans doute vrai, que tout phénomène est un effet, ou dépend nécessairement d'une cause.

Toute cause efficiente consiste en l'action de quelque substance. On donne alors à cette substance le nom d'agent, et quelquefois aussi, mais improprement, le nom même de cause.

Nous disons qu'une substance agit sur une autre lorsque celle-ci éprouve une modification quelconque et que nous attribuons cette modification à la présence ou à l'existence de la première.

Lorsque cette modification n'est qu'un simple changement dans l'état de mouvement ou de repos local d'une substance matérielle, c'est-à-dire un passage du mouvement au repos, du repos au mouvement, ou d'une vitesse à une autre ; et que l'action, ou la cause qui produit un pareil changement, n'est que l'impulsion d'une autre substance matérielle, cette impulsion prend le nom d'action mécanique.

Toute action suppose, dans la substance qui l'exerce, une propriété qui détermine la nature de cette action.

Cette propriété, en tant qu'on la considère par rapport à l'effet qui en dépend, et lorsque cet effet est une production ou une destruction de mouvement, ou bien encore une tendance au mouvement, est en général ce que l'on nomme force; et la force mécanique est la propriété en vertu de laquelle un corps exerce une action mécanique sur un autre corps, et produit un changement dans son état de mouvement ou de repos. Cette propriété est l'impénétrabilité de la matière mise en jeu par le mouvement respectif des corps.

Il arrive assez souvent, et même le plus ordinairement, que telle action, ou telle cause que nous remarquons, est séparée de tel effet que nous remarquons aussi, par une suite de phénomènes, de modifications, ou de changements, auxquels nous ne faisons aucune attention, ou que nous n'apercevons même pas, et dont chacun est à la fois effet et cause; en sorte qu'il y a presque toujours un certain intervalle de temps entre la seule cause et le seul effet que

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