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VII

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Acte d'inhumation de LA FONTAINE (extrait du registre des sépultures de la paroisse de Saint-Eustache de Paris1).

Le jeudy 14 (avril 1695), deffunct Jean de la Fontaine, un des quarante de l'Acad. françoise, âgé de soixante-seize ans, demeurant rue Plâtrière à l'hoste Derval (sic), décédé du 13o du présent mois, a esté inhumé au cimetierre des Saints-Innocents.

CHANDELET.

R. (reçu) 64 1. 10 s.

VIII

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Acte d'inhumation de MARIE HÉRICART, veuve de JEAN DE LA FONTAINE (extrait des registres mortuaires de Château-Thierry).

L'an 1709, le 9 novembre, a été inhumée au grand cemitiere dame Marie Hericard, veufve de Jean de la Fontaine, genthôme (sic ?) servant ordinaire de Madame la duchesse d'Orleans, âgée de soixante et dix sept ans, au convoy de laquelle ont assisté ses parens et amys avec nous soussignés.

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1. Nous le donnons d'après le Dictionnaire critique d'histoire et de biographie de Jal, p. 723 B. ·D'Olivet s'est trompe, lorsqu'il a dit (Histoire de l'Académie, p. 332) que la Fontaine « fut enterré dans le cimetière de SaintJoseph, à l'endroit même où Molière avoit été mis, vingt-deux ans auparavant. On trouvera ci-après, dans l'Appendice, sous le numéro II, une note sur la sépulture de la Fontaine.

2. C'est le nom du curé, Pierre-Louis Douceur, bachelier de Sorbonne.

APPENDICE.

I

Page ccn.

ÉLOGE DE LA FONTAINE PAR FÉNELON.

IN FONTANI MORTEM.

Heu! fuit vir ille facetus, Esopus alter, nugarum laude Phædro superior per quem brutæ animantes, vocales factæ, humanum genus edocuere sapientiam, Heu! Fontanus interiit. Proh dolor! interiere simul Joci dicaces, lasciv Risus, Gratia decentes, doctæ Camena. Lugete, o quibus cordi est ingenuus lepos, natura nuda et simplex, incompta et sine fuco elegantia! Illi, illi uni per omnes doctos licuit esse negligentem. Politiori stilo quantum præstitit aurea negligentia! Tam caro capiti quantum debetur desiderium! Lugete, Musarum alumni. Vivunt tamen æternumque vivent carmini jocoso commissæ veneres, dulces nuga, sales attici, suadela blanda atque parabilis; neque Fontanum recentioribus, juxta temporum seriem, sed antiquis, ob amænitates ingenii, adscribimus. Tu vero, lector, si fidem deneges, codicem aperi. Quid sentis? Ludit Anacreon. Sive vacuus, sive quid uritur Flaccus, hic fidibus canit. Mores hominum atque ingenia fabulis Terentius ad vivum depingit. Maronis molle et facetum spirat in hoc opusculo. Heu! quandonam Mercuriales viri quadrupedum facundiam æquiparabunt?

Traduction 2.

SUR LA MORT DE LA FONTAINE.

Hélas! il n'est plus le poëte enjoué, nouvel Ésope, et supérieur à Phèdre dans l'art de badiner, celui qui a donné une voix aux bétes, pour qu'elles fissent entendre aux hommes les leçons de la sagesse. Hélas! la Fontaine a expiré. Ô douleur! Ont expiré avec lui les Jeux pleins de malice, les Ris folâtres, les Grâces élégantes, les savantes Muses. Pleurez, vous qui aimez le naïf enjouement, la nue et simple nature, l'élégance sans apprêt et sans fard. A lui, à lui seul, les doctes ont tous permis la négligence. Combien chez lui cette belle négligence se montre supérieure à un style plus poli! Que de regrets

1. « .... Vacui, sive quid urimur........ » (Horace, livre I, ode vi, vers 19.) 2. Si l'on avait trouvé la traduction du duc de Bourgogne, elle eût été eurieuse à donner ici, au lieu de celle que nous avons hasardée.

mérite une tête si chère! Pleurez, nourrissons des Muses. Et cependant vivent et vivront toujours les beautés qui brillent dans les jeux de sa muse, et les aimables badinages, les plaisanteries attiques, le persuasif attrait, charmant et facile. Nous ne plaçons pas la Fontaine, comme le voudrait l'ordre des temps, parmi les modernes, mais, pour les agréments de son esprit, au rang des anciens. Ne nous en crois-tu pas, lecteur? Ouvre le livre. Qu'en pensestu? C'est Anacréon qui se joue. C'est Horace, soit libre de soucis, soit ayant une flamme au cœur, qui chante sur cette lyre. C'est Térence, lorsqu'il fait, dans ses comédies, la peinture vivante des mœurs et du caractère des hommes. La douceur et l'élégance de Virgile respirent dans ce petit ouvrage1. Oh! quand les favoris de Mercure2 égaleront-ils jamais l'éloquence de ses personnages à quatre pattes?

II

LA SÉPULTURE DE LA FONTAINE.

L'erreur commise par d'Olivet sur le lieu de la sépulture de la Fontaine, erreur que dément, sans laisser place au moindre doute, l'acte d'inhumation, cité par nous un peu plus haut, aux Pièces justificatives (p. ccx, no VII), n'a été qu'assez tard reconnue et signalée par Walckenaer. Elle paralt avoir été la cause et le point de départ d'autres erreurs, qui se sont traduites en actes assez étranges, assez regrettables pour qu'il ne soit pas inutile de les rappeler ici. Quelques personnes croient encore aujourd'hui avoir au cimetière de l'Est le tombeau qui renferme les restes de la Fontaine : ce n'est malheureusement qu'un cenotaphe.

L'histoire du tombeau du grand fabuliste se trouve liée à celle du tombeau de Molière. Le corps de celui-ci avait été porté, le 21 février 1673, au cimetière Saint-Joseph, et, d'après un témoignage contemporain, enterré là, au pied de la croix. D'Olivet a dit que la Fontaine fut inhumé au même endroit. Dès que l'on ajoutait foi à cette parole, il était naturel que l'on espérât pouvoir retrouver l'une près de l'autre les deux illustres dépouilles, et que l'on songeât à ne les pas séparer. Benjamin de Laborde, au tome IV, page 253, de son Essai sur la musique ancienne et moderne, publié en 1780, dit, en parlant des deux poëtes, qu'il croyait inhumės, l'un comme l'autre, au cimetière Saint-Joseph : Vers l'année 1750, en creusant une fosse dans le cimetière, on trouva leurs cercueils, et on les transporta dans l'église où ils sont maintenant. Cette église est-elle celle de Saint-Eustache? On pourrait le supposer lorsqu'on lit dans la Descrip

1. Il vaut la peine de remarquer que Fénelon, par son diminutif opusculo, a bien soin de borner son éloge aux Fables.

2. Les poëtes lyriques, ce qui fait penser aux chants nobles, étudiés. C'est un mot pris d'Horace, livre II, ode xvII, vers 27.

3. Voyez les Points obscurs de la vie de Molière, par Jules Loiseleur, p. 350, à la note.

tion de la ville de Paris, par Germain Brice (nouvelle édition1, 1752, tome 1, p. 495), le nom de Jean de la Fontaine parmi ceux des personnes considérables inhumées dans cette église. Il ne faut cependant penser qu'à la chapelle Saint-Joseph «aide (succursale), comme dit le Registre de la Grange, de la paroisse Saint-Eustache, et dans laquelle, suivant le témoignage du même Registre, Molière fut inhumé. Cette chapelle, qui était autrefois au milieu de l'ancien cimetière Saint-Joseph, fut reconstruite rue Montmartre, en juillet 1640, dans un nouveau cimetière. C'est celui dont parle Germain Brice (édition de 1698, tome I, p. 224), lorsqu'il dit : Presque à l'extrémité de la rue Montmartre est la petite église de SaintJoseph, dans le cimetière de laquelle est enterré le fameux Molière. » Il ne nomme pas la Fontaine. L'addition qui se trouve dans l'édition de 1752, et qui ne semble être qu'une erreur née de l'erreur de d'Olivet, peut avoir engendré, à son tour, celle de Benjamin de la Borde.

Jal, dans son Dictionnaire critique (p. 723), élève de fortes objections contre la supposition que le corps de la Fontaine inhumé, sans contestation possible, dans le cimetière des Saints-Innocents, aurait été déterré pour être déposé au cimetière Saint-Joseph, à côté de celui de Molière. Il resta, dit-il, dans le cimetière des Innocents « jusqu'au jour où le cimetière fut fouillé pour la construction du quartier des Halles (en 1786). Si sa tombe fut retrouvée alors, c'est ce que je ne saurais dire. » Jamais cercueil d'un grand homme ne paraît avoir été plus irrévocablement perdu. En 1792, on ne s'inquiéta pas pour le retrouver de tant de difficultés. La section de la Fontaine Montmartre, qui avait changé son nom en celui de section de Molière et de la Fontaine, se fit gloire de recueillir les restes des deux grands poëtes. Le procès-verbal qu'elle rédigea de l'exhumation n'est pas un monument de sage critique; pour parler avec plus de netteté, il est prodigieusement ridicule. Le témoignage de l'acte d'inhumation de la Fontaine y est récusé, et il y est dit que le mot des Saints-Innocents est une erreur non certifiée (sic), » attendu que « les amis de la Fontaine demandèrent qu'il fût enterré au cimetière Saint-Joseph, en une fosse particulière, au pied du crucifix, ainsi qu'il l'avait désiré et demandé : ce qui lui fut accordé; fait attesté par tous les historiens, même les contemporains. » Le procès-verbal s'appuie ensuite « sur les témoignages de feu Mme de Neuilly, sa nièce, et de toute la famille...; fait attesté de plus par Mme Duval [on veut dire d'Hervart], chez laquelle il est décédé. En conséquence, le vendredi 6 juillet 1792, on fit la levée du corps (du moins réputé tel) de Molière. Le mercredi 21 novembre suivant, les citoyens ont fait fouiller les terres et ont trouvé au pied du crucifix, à cinq pieds de profondeur, un corps seul, qui a paru avoir été

1. Les trois premiers volumes de cette édition ont été revus par Mariette. Dans les éditions précédentes, la Fontaine n'est pas nommé parmi les morts célèbres dont Saint-Eustache possédait les tombeaux.

2. Elle n'est pas rejetée par Féletz, dans son article Jean de la Fontaine de la Biographie universelle.

3. Il est inséré dans le Musée des monuments français......., par Alexandre Lenoir, tome VIII, p. 162.

4. Non pas sa nièce, mais la femme, en premières noces, de son petit-fils.

enfermé dans un cercueil de chêne, dont les ornements aussi paraissaient annoncer l'époque indiquée. » Des apparences si convaincantes ont suffi; il n'est resté aucun doute sur la possession des reliques de la Fontaine.

Malgré leur peu d'authenticité, le 2 germinal an VII (22 mars 1799), Alexandre Lenoir demanda au Directoire exécutif l'autorisation, qui lui fut accordée le 15 floréal suivant (4 mai), de déposer les corps de Molière et de la Fontaine dans le Jardin Élysée des monuments français. Un arrêté du préfet de la Seine, en date du 28 février 1817, ordonna le transport au Père-Lachaise de ces ossements que nul ne peut croire aujourd'hui être ceux des deux poëtes. Ils furent exhumés le 6 mars, et mis, le 2 mai 1817, aux tombeaux, où ils sont aujourd'hui.

III

LES DESCENDANTS DE LA FONTAINE.

On aimera sans doute à trouver ici sur les descendants de la Fontaine quelques détails qui n'ont pas paru devoir être donnés dans la Notice biographique de leur aïeul.

Son fils, CHARLES DE LA FONTAINE, dont nous avons fait connaitre cidessus la date de naissance (30 octobre 1653), « a été, dit le P. Niceron 1, l'héritier de sa pauvreté, sans l'être de ses talents........ On [l']a vu, quelque temps, simple commis dans la ville de Troyes. » Ce fut, selon Adry 2, vers 1700 qu'un emploi dans les Aides lui fut procuré, dans cette ville, par les amis qu'y avait eus son père. A la fin de 1714, il fut nommé greffier du prévôt des maréchaux de France, par lettres patentes datées du 4 décembre. Quelques années avant, à l'âge de cinquante-trois ans3, il avait épousé Jeanne-Françoise du Tremblay, dont la famille était à Paris dans la cour des Aides et dans la chambre des Comptes; elle avait, à ChâteauThierry, un frère, Pierre-Louis du Tremblay, conseiller du Roi, receveur des gabelles. Le fils de la Fontaine mourut en 1722, suivant Walckenaer (tome II, p. 204). Nous croyons plutôt que ce fut en 1723. L'acte qui confère à sa veuve la tutelle de ses enfants mineurs est du 18 mai de cette dernière année. Ces enfants étaient Marie-Jeanne-Guillaume, ÉlisabethLouise-Sébastienne, Jeanne-Françoise et Charles-Louis.

Les trois petites-filles de notre poëte ne se marièrent pas, sans doute parce qu'elles étaient sans fortune. Elles habitaient, à Château-Thierry, une maison que l'Histoire de Château-Thierry, par l'abbé Poquet (tome II, p. 106), dit avoir été achetée par leur père. Elle doit être cependant la

1. Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres, tome XVIII, p. 329. 2. Note 13 sur la Vie de la Fontaine par Fréron, p. xxvi.

3. Histoire de Château-Thierry, par l'abbé Poquet, tome II, p. 123. — Le mariage de Charles de la Fontaine serait donc de l'année 1706. Jeanne du Tremblay, née en 1689, n'avait que dix-sept ans.

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