Page images
PDF
EPUB

barrette dans la basse-cour du couvent, après l'avoir attachée à une ficelle, et faisait ainsi la chasse aux volatiles. » Le voilà peint très-plaisamment; mais c'est probablement une légende. Le tableau et le lieu même de la scène auront été imaginés d'après ce que l'on connaît plus certainement des dix-huit mois passés chez les oratoriens de la rue Saint-Honoré et du séminaire de Saint-Magloire. La note écrite par ceux-ci est suffisante pour que nous nous représentions l'inconstant novice s'abandonnant aux distractions de la poésie.

Nous savons donc que, dès l'âge de vingt ans, le confrère Jean de la Fontaine n'aimait rien tant que les poëtes, et laissait là pour eux la dévotion et la théologie. Il ne peut être tout à fait exact de dire, comme l'a fait d'Olivet1, qu'à vingtdeux ans << il ne se portoit encore à rien, lorsqu'un officier, qui étoit à Château-Thierry en quartier d'hiver, lut devant lui, par occasion, » l'Ode de Malherbe sur la mort de Henri IV. On ne refusera pas de croire, avec d'Olivet, que cette lecture le transporta d'admiration, qu'il voulut étudier l'excellent poëte, « et s'y attacha de telle sorte qu'après avoir passé les nuits à l'apprendre par cœur, il alloit de jour le déclamer dans les bois, » enfin qu'il fit alors quelques essais dans le goût de Malherbe 2. Mais il ne fallait pas donner à entendre que ces essais furent les premiers de son jeune talent. Les vers harmonieux et nobles de la fameuse ode purent être pour lui la révélation d'une grande poésie qu'il n'avait pas jusque-là soupçonnée, et faire, pour la première fois, vibrer une corde de la lyre intérieure qui n'avait pas encore été touchée. Quelque autre cependant, beaucoup moins grave sans doute, n'avait pas attendu d'être éveillée par Malherbe. Loin qu'il soit vrai que la Fontaine ne se portât encore à rien, il avait goûté, dans sa cellule de l'Oratoire, d'autres poëtes, ses plus anciens initiateurs; il avait même, dès ce temps peut-être, certainement avant d'avoir entendu la récitation de l'officier, commencé bien jeune, comme Maucroix, dont l'exemple dut être contagieux, à écrire de petits vers légers.

Si l'on voulait, la chronologie en main, suivre chez la Fon

[blocks in formation]

taine le premier développement de son amour pour la poésie, ce ne serait pas facile avec les vagues indications des précédents biographes. Charles Perrault dit que son père «< exigea de lui.... qu'il s'appliquât à la poésie.... Quoique ce bonhomme n'y connût presque rien, il ne laissoit pas de l'aimer passionnément, et il eut une joie inconcevable, lorsqu'il vit les premiers vers que son fils composa1. » On n'est pas habitué à voir d'honnêtes et prudents bourgeois user de l'autorité paternelle pour pousser leurs fils vers ce chemin du Parnasse, plus semé de fleurs que d'or, et se réjouir de l'envie qu'ils ont d'y courir. Nous croyons que le père de la Fontaine songea pour lui à des occupations plus solides, quand il le vit renoncer à l'état ecclésiastique. La pensée de lui transmettre son office date probablement de cette époque, et il dut lui faire faire quelques études de jurisprudence, chercher ainsi à l'initier aux affaires. Notre la Fontaine administra fort mal les siennes; mais il est certain qu'il a, dans l'occasion, parlé affaires pertinemment. Il eut de bonne heure le titre d'avocat au Parlement 2. Il y avait donc eu un temps où, avec plus ou moins de succès, on lui avait fait étudier Cujas et Bartole. C'est, il nous semble, de ces études de droit qu'a voulu parler M. Louis Paris, quand il a dit que la Fontaine avait, de même que François de Maucroix, terminé à Paris ses études commencées à Château-Thierry 3. Maucroix eut, comme avocat, des débuts assez heureux, et que fit surtout remarquer la grâce de son débit*; mais, se sentant trop timide, il renonça au barreau, où il n'avait « plaidé, a-t-il dit lui-même ', que

1. Les Hommes illustres, tome I, p. 83.

2. Il le porte dans l'acte de cession du 21 janvier 1649, consenti par son frère Claude. Voyez Walckenaer, aux Pièces justificatives de son Histoire de la Fontaine, p. 586 et 587.

3. Maucroix, OEuvres diverses, tome I,

p. xx.

4. Vie de François de Maucroix, par Walckenaer, dans le volume intitulé Poésies diverses de.... la Sablière et de François de Maucroix, Paris, 1825, in-8°, p. 169.

5. Lettre du 29 avril 1706, à un Père de la compagnie de Jésus, sans doute d'Olivet, qui, entré, au sortir de ses classes, chez les jésuites, les quitta vers 1715 (Maucroix, OEuvres diverses, tome II, P. 244).

cinq ou six fois1. » Ce sont probablement cinq ou six plaidoyers de plus que n'en essaya la Fontaine.

Laissons, quel qu'il ait été, son apprentissage d'avocat au Parlement, pour revenir à son apprentissage de poëte, plus intéressant à connaître, et commencé au plus tard, nous l'avons vu, pendant son noviciat d'oratorien. Sous quels maîtres il le fit, on l'apprend par son propre témoignage.

Qu'il ait d'abord connu Malherbe, dans l'occasion qui nous a été contée, ou tout autrement, il comptait parmi les plus anciennes les leçons qu'il avait reçues de lui :

Je pris certain auteur autrefois pour mon maître, dit-il, au vers 46 de son épître A Monseigneur l'évêque de Soissons (Pierre-Daniel Huet), écrite en 1687. Ce n'est pas de Voiture qu'il parlait, comme l'ont cru quelques-uns 2, ayant sans doute peine à admettre que, s'il s'agissait de Malherbe, il ait pu dire qu'il pensa le gâter, et lui reprocher « son trop d'esprit. » Cela d'abord déroute un peu; mais rapportons-nousen au plus fin juge du bon goût et au plus sûr interprète de la pensée de la Fontaine, c'est-à-dire à lui-même : la note qu'il a faite sur les vers 52-54 de la même épître :

.... Ses traits ont perdu quiconque l'a suivi, etc.,

ne laisse place à aucune équivoque : « Quelques auteurs de ce temps-là affectoient les antithèses, et ces sortes de pensées qu'on appelle concetti. Cela a suivi immédiatement Malherbe.>> Voici qui n'est pas moins décisif: reprochant à son ancien maître de s'épandre << en trop de belles choses,» il dit (vers 54): Tous métaux y sont or, toutes fleurs y sont roses,

«

et c'est un vers de Malherbe dans le Récit d'un berger au ballet de Madame, princesse d'Espagne. Tout en corrigeant,

1. La Fontaine, dans une chanson, a dit de lui :

Tandis qu'il étoit avocat,

Il n'a pas fait gain d'un ducat.

2. Voyez l'article JEAN DE LA FONTAINE dans la Biographie générale. 3. OEuvres de Malherbe, tome I, p. 232, poésie LXXII, vers 68 :

Tous métaux seront or, toutes fleurs seront roses,

LA FONTAINE. I

B

par quelques réserves, certaines imprudences de sa vieille admiration, il ne la reniait pas, puisque, un peu plus loin, dans cette épître, regrettant les beaux temps de l'Ode, qui «< baisse un peu,» il s'écriait (vers 93-96):

Malherbe, avec Racan, parmi les chœurs des anges,
Là-haut de l'Éternel célébrant les louanges,

Ont emporté leur lyre; et j'espère qu'un jour
J'entendrai leur concert au céleste séjour.

Il ne pouvait être ingrat pour celui dont il a été certainement le disciple, un disciple qui a surpassé le maître dans un grand nombre de vers où, quelque simple que soit le genre de ses ouvrages, il s'est élevé jusqu'à la haute poésie.

Si l'on s'est trompé en cherchant Voiture où il fallait reconnaître Malherbe, ce n'est pas à dire que la Fontaine n'ait pas dù quelque chose aussi au spirituel écrivain cher à l'hôtel de Rambouillet. On ne peut oublier que, parmi ceux dont il n'a pas négligé les traces, notre poëte, dans une lettre à SaintÉvremond, de la même année que l'épître à Huet, a donné place à maître Vincent aussi bien qu'à maître Clément, ajoutant à ces noms, avec une courtoisie qui n'était pas imméritée, le nom de son correspondant:

J'ai profité dans Voiture,
Et Marot, par sa lecture,
M'a fort aidé, j'en conviens.
Je ne sais qui fut son maître;
Que ce soit qui ce peut être,
Vous êtes tous trois les miens.

« J'oubliois, continue-t-il, maître François (Rabelais), dont je me dis encore le disciple.

[ocr errors]

Quand il mettait tant de bonne grâce à ne pas désavouer ses premiers modèles, il n'était plus jeune, et se rendait compte assurément des défauts mêlés aux agréments de Voiture, de bien des traits recherchés, plus encore chez lui que chez Malherbe; mais il ne serait pas surprenant qu'il eût toujours gardé un faible pour l'agréable badinage de ce bel esprit. Au temps où il commença à aimer les vers, la séduction qu'exerça sur lui Voiture s'explique encore mieux. Voiture était alors de l'Académie, et il n'était pas contesté qu'il y fût, parmi ses con

frères, un des plus illustres. Beaucoup plus tard, Boileau semblait le mettre au rang d'Horace1; et même à une époque où, avec un goût plus sévère, il lui fit une plus juste part, il l'appelait encore

Cet auteur si charmant

Et pour mille beaux traits vanté si justement2.

Il y a une petite comédie, ou plutôt églogue, de la Fontaine, intitulée : Clymène, et peu lue aujourd'hui, quoique maints vers en soient fort jolis. Elle a été publiée en 1671, mais écrite beaucoup plus tôt, avant la chute de Foucquet, comme le prouve un de ses vers3 qui rend hommage aux surintendants. Nous en rapporterions volontiers la composition aux premiers temps des relations du poëte avec l'opulent Mécène; elle porte, ainsi que l'a bien remarqué Walckenaer*, d'évidentes marques de jeunesse. Elle nous apprend, plus certainement encore par sa date que les vers de 1687, tout à l'heure cités, parmi quels auteurs la Fontaine chercha de bonne heure ses modèles. Cette comédie de Clymène mettant tout d'abord Apollon en scène avec les Muses, l'occasion s'offrait de faire louer par ce dieu les poëtes qui lui plaisent. «< Essayez, dit-il à Calliope,

Un de ces deux chemins qu'aux auteurs ont frayés
Deux écrivains fameux: je veux dire Malherbe,
Qui louoit ses héros en un style superbe,
Et puis maître Vincent, qui même auroit loué
Proserpine et Pluton en un style enjoué; »

ce maître Vincent, ajoute-t-il,

dont la plume élégante

Donnoit à son encens un goût exquis et fin,
Que n'avoit pas celui qui partoit d'autre main.

Il donne à Érato un conseil à peu près semblable :

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

1. Satire 1x, vers 27.

2. Satire XII, vers 43 et 44.

3. Le vers 10.

4. Histoire de la vie.... de la Fontaine, tome I,

[blocks in formation]
« PreviousContinue »