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et son nouvel époux est, conjointement avec elle, chargé de la tutelle des personne et biens d'Anne de Jouy, fille mineure de la dame Pidoux. Cette demi-sœur de la Fontaine est restée dans l'ombre, si l'on refuse de voir en elle, suivant la conjecture que nous proposons plus loin, Mme de Villemontée.

L'enfance de la Fontaine et sa vie de petit écolier n'ont laissé que peu de traces, et toutes ne sont pas certaines. Nous sommes loin des faits positifs et de l'intérêt qu'offre l'histoire de Racine dans les écoles de Port-Royal. D'Olivet a dit : « Il étudia sous des maîtres de campagne, qui ne lui enseignèrent que du latin1. » Mais quoi? des maîtres de campagne, lorsqu'il paraît si naturel de croire que ses parents le confièrent aux régents du collège de Château-Thierry, qui avait la réputation de rivaliser avec ceux de Reims et de Paris 2! Il n'est pas sans vraisemblance qu'il fit là ses classes, et que nous avons un souvenir de ce collége dans le précieux petit volume dont la découverte est due à M. Rathery, et qui avait appartenu aux Pintrel. C'est un exemplaire de Lucien (August. Picton. 1621), au haut de la première garde intérieure duquel on lit: de la Fontaine, bon garçon, fort sage et fort modeste. « Et sur le titre, à travers un bâtonnage postérieur, on distingue le nom de Ludovicus Maucroix3. » Ce Louis de Maucroix était frère aîné de François de Maucroix, l'ancien et très-intime ami de la Fontaine. « A l'intérieur, p. 89 et 151, on rencontre [le nom] de la Fontaine, tracé négligemment et incomplètement, en caractères majuscules se rapprochant de ceux de l'imprimerie. » Nous pouvons conclure de ce témoignage que la Fontaine eut pour condisciples les deux Maucroix, plus âgés que

1. Histoire de l'Académie françoise (3° édition, in-12, 1743), tome II (par d'Olivet), p. 321.

2. Voyez la biographie de Maucroix par M. Louis Paris, intitulée: Maucroix, sa vie et ses ouvrages, au tome I, p. xvIII, de son édition des OEuvres diverses de Maucroix, 2 vol. in-12, Paris, 1854. 3. Ibidem, p. xix.

4. Ibidem. Nous avons vu, dans les registres de baptême de Château-Thierry (17 janvier 1630), une signature de Jehan de la Fontaine, qui donne lieu à la même observation sur l'écriture imitant la lettre moulée. Le signataire avait huit ans et demi.

lui. Ce ne serait pas à Château-Thierry, mais à Reims, si l'on s'en rapportait à Fréron, qui a dit dans sa Vie de la Fontaine2: « On croit qu'il fit ses premières études à Reims, ville qu'il a toujours extrêmement chérie. » Quand on admettrait que Fréron tenait ce renseignement, comme il paraît en avoir tenu quelques autres, de Charles-Louis de la Fontaine, il se pourrait que celui-ci n'eût nommé Reims, sous forme dubitative d'ailleurs, que parce qu'il savait que son grand-père avait étudié avec l'un des deux futurs chanoines de cette ville, peutêtre avec l'un et l'autre.

A Reims, ou à Château-Thierry, le bon et sage garçon la Fontaine fut-il un studieux écolier, et, dès le collége, un brillant humaniste? Le Lucien, et le satisfecit donné par le camarade, ne nous l'apprennent pas. Goûta-t-il beaucoup les leçons de ses maîtres ? Sans être en droit d'affirmer qu'il ait gardé d'eux un médiocre souvenir, on le supposerait, si l'on ne voyait pas simplement une boutade de poëte dans ces vers d'une de ses fables 3:

Certain enfant qui sentoit son collége,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilége
Qu'ont les pédants de gâter la raison.

Ne sais bête au monde pire

Que l'écolier, si ce n'est le pédant.

1. François de Maucroix était né le 7 janvier 1619. Nous ne trouvons pas la date de la naissance de Louis de Maucroix; mais, comme il fut pourvu d'un canonicat à Reims le 16 février 1637 (Maucroix, sa vie et ses ouvrages, p. LI, à la note), il semble bien qu'il faille lui donner quelques années de plus qu'à son frère; et, si c'est lui qui a écrit la note sur la garde du Lucien, étant alors au collége avec la Fontaine, celui-ci devait alors être bien enfant. Mais ne pourrait-elle être de François de Maucroix, dans les mains de qui le livre aurait passé, après avoir été dans celles de son aîné?

2. En tête des Fables choisies mises en vers..., Paris, Barbou, 1806, p. VI. Nous citons, d'après cette édition, la Vie de la Fontaine par Fréron; mais elle a été imprimée d'abord en 1743, dans les Observations sur les écrits modernes, au tome XXXII, p. 74-90. 3. La v du livre IX.

Il ne serait pas étonnant, après tout, que déjà rêveur et savourant la félicité de ne faire nulle chose, il eût mal apprécié les mérites de ses pédagogues. Ces natures de génie se développent surtout par leur séve intérieure, sans qu'il faille trop se demander ce que, dans leur première croissance, elles ont pu devoir à la culture.

Arrivé à la fin de ses études de collége, la Fontaine dut se diriger vers une carrière. Il en choisit d'abord une, ou peutêtre on la choisit pour lui, à laquelle il n'était certes pas appelé par une vocation très-sûre. « A l'âge de dix-neuf ans, dit d'Olivet', il entra dans l'Oratoire, et dix-huit mois après, il en sortit. Quand on aura vu quel homme c'étoit, on sera moins en peine de savoir pourquoi il en sortit, que de savoir comment il avoit songé à se mettre dans une maison où il faut s'assujettir à des règles. » Cette entrée de la Fontaine au noviciat des oratoriens, lorsqu'il était plus près de vingt ans que de dix-neuf, n'est pas un fait douteux. Il se trouve ainsi constaté dans les Annales manuscrites de la maison de l'Oratoire établie rue Saint-Honoré : « Le 27 (avril 1641), M. Jean de la Fontaine, âgé de vingt ans, a été reçu pour faire les exercices de piété de nos confrères. Il est de Château-Thierry et fils de Charles, conseiller du Roi et maître des eaux et forêts de ce duché. » Adry, qui fut bibliothécaire de l'Oratoire (son témoignage a donc ici de l'autorité), complète cette mention authentique, bien connue de lui assurément (il est d'accord sur la date du 27 avril 1641): « Son exemple, dit-il, y attira, au mois d'octobre, son frère puîné, qui ne sortit de l'Oratoire qu'en 16505. Jean fut envoyé au séminaire de Saint

1. Histoire de l'Académie, p. 314.

2. Annales de la maison de l'Oratoire..., tome I, p. 212, Archives nationales, M. M. 623.

3. Dans la note 2 des pages xx11 et xxш de la Vie de la Fontaine, déjà citée, qui est en tête de l'édition de 1806 des Fables choisies. 4. Voyez aux Pièces justificatives, no 11, l'acte de baptême de ce frère puîné.

5. En effet, dans les Catalogues alphabétiques (dressés en 1710), des Noms des prétres et confrères reçus dans la Congrégation de l'Oratoire (Archives nationales, M. M. 207), on lit au feuillet 29 r° du second catalogue: «< Claude de la Fontaine de Château-Thierry, 1641;

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Magloire le 28 octobre, et il y resta environ un an, après lequel il n'est plus fait mention de lui dans les registres de cette congrégation. » Jusqu'ici rien qui ne soit d'accord avec les documents les plus certains. Mais Adry ajoute : « Ce goût passager pour l'état ecclésiastique pouvoit lui avoir été inspiré par G. Héricart, chanoine de Soissons, qui à cette époque lui fit présent, entre autres livres de piété, d'un Lactance de l'édition de Tournes, Lyon, 1548, exemplaire que je possède. Cette explication d'une ferveur d'un moment, qui n'est présentée qu'à titre de conjecture, Walckenaer et Sainte-Beuve l'ont admise1. Moralement, et à n'en juger que sur la connaissance du caractère de la Fontaine, elle est loin d'être invraisemblable. Il ne faudrait pas trop s'étonner que, de l'auteur des Contes et de l'élève de M. Hamon, qui a écrit Esther, le plus enflammé de zèle pour l'état ecclésiastique, à une heure fugitive, il est vrai, de jeunesse, et celui qu'on pourrait le moins soupçonner de s'y être laissé engager par l'espoir d'un bénéfice, c'eût été le premier plutôt que le second. La bizarrerie ne serait qu'apparente. L'imagination et l'âme naïve de la Fontaine étaient ouvertes à tous les enthousiasmes, de quelque côté qu'en soufflât le vent; il n'y avait rien dont il ne fût prêt à s'éprendre, pas une voix qui ne trouvât en lui un facile écho, sans qu'il y ait à excepter celle de la dévotion. On sait à quel point le charma, bien des années plus tard, le prophète Baruch : pourquoi, dans sa jeunesse, des lectures chrétiennes, faites dans des livres que l'on pouvait lui avoir prêtés, n'auraient-elles pas, les pieux conseils aidant, exercé sur lui la même séduction ? Nous n'aurions donc aucune objection à ce que suppose le bibliothécaire de l'Oratoire, s'il ne s'en rencontrait une, la plus sérieuse qu'il puisse y avoir, une objection de date. Guillaume Héricart, docteur en Sorbonne, chanoine de la cathédrale de Soissons, était neveu de Marie Héricart, qui devint la femme de la Fontaine. Son père, Louis Héricart, était né en 16292, et lui-même ne vint au

sort 1650 »; et au feuillet 10 vo du premier catalogue : « Jean de la Fontaine, 1641 ».

1. Histoire de la vie.... de la Fontaine, tome I, p. 4, et Causeries du lundi, tome VII, p. 520.

2. Nous devons ces renseignements sur le chanoine de Soissons

monde que bien après le mariage de sa tante. Il fut baptisé le 5 février 1664, et eut pour parrain un Jacques Jannart, second fils du substitut de Foucquet. On voit qu'il n'était pas encore question du chanoine en 1641. Le don du Lactance n'a donc pu être fait « à cette époque », comme le veut Adry; et celui-ci n'a eu aucune raison d'attribuer aux Héricart l'éphémère vocation religieuse de la Fontaine. C'est à l'entrée d'une autre voie, où il s'engagea quelques années plus tard, et qui n'était pas mieux faite pour lui, que nous rencontrerons cette famille.

Dans des Mémoires manuscrits de l'Oratoire, différents de ceux que nous avons cités tout à l'heure, le P. Adolphe Perraud1, historien de cette congrégation, a trouvé une note qui, en confirmant ce que nous savons déjà de la courte durée de la vocation de la Fontaine, fait voir qu'il ne s'y prit pas trèsbien pour y persévérer : « Le confrère Jean de la Fontaine resta peu de temps au noviciat. Plus tard il avouoit à son ami Boileau qu'il s'occupoit plus volontiers à lire des poëtes que Rodriguez. » S'il y eut jamais un esprit que, dans ses libres et variables fantaisies, rien ne put enchaîner, ce fut le sien.

Avant l'admission à l'Oratoire de Paris, la Fontaine était-il entré au séminaire de l'abbaye oratorienne de Juilly? On raconte dans les Annales de la Société historique et archéologique de Château-Thierry3 qu'il fut mis à Juilly, où l'on croit encore à cette tradition, pour y étudier les dogmes, mais qu'il y étudiait davantage Marot et autres rimeurs : « De la fenêtre de sa cellule, que l'on montre encore à Juilly, il lançait sa

à M. l'abbé Hazard, curé de la paroisse Saint-Nicolas de la FertéMilon, aussi bien que tous les autres détails sur la famille Héricart, qu'on trouvera aux Pièces justificatives, no III, dans la note qui suit l'acte de baptême de la femme de la Fontaine.

1. Aujourd'hui évêque d'Autun, et membre de l'Académie française.

2. L'Oratoire de France au XVIIe et au XIXe siècle (2a édition), Paris, 1866, p. 207, note 2. Le jésuite espagnol Alphonse Rodriguez est l'auteur de la Pratique de la perfection chrétienne (1614), dont il parut, dès 1621, une traduction française, par le P. Paul Duez; une autre, vers le même temps, par Pierre d'Audiguier. 3. Année 1874, p. 24 et 25.

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