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à Apollon. Les Delphiens l'en arrachèrent. « Vous violez cet asile, leur dit-il, parce que ce n'est qu'une petite chapelle, mais un jour viendra que votre méchanceté ne trouvera point de retraite sûre, non pas même dans les temples. Il vous arrivera la même chose qu'à l'Aigle, laquelle, nonobstant les prières de l'Escarbot, enleva un Lièvre qui s'étoit réfugié chez lui : la génération de l'Aigle en fut punie jusque dans le giron de Jupiter. » Les Delphiens, peu touchés de tous ces exemples, le précipitèrent'.

Peu de temps après sa mort, une peste très-violente exerça sur eux ses ravages. Ils demandèrent à l'oracle par quels moyens ils pourroient apaiser le courroux des Dieux. L'oracle leur répondit qu'il n'y en avoit point d'autre que d'expier leur forfait, et satisfaire aux mânes d'Ésope. Aussitôt une pyramide fut élevée. Les Dieux

1. VAR. : dedans les temples. (1668, in-4°, et 1729.) — Dans est la leçon de l'in-12 de 1668 et des éditions suivantes.

2. Larcher, dans son Essai de chronologie d'Hérodote (tome VI de sa traduction, p. 526), place la mort d'Esope, d'après l'autorité d'Eusèbe, en l'an 560 avant Jésus-Christ, la quatrième année de la cinquante-quatrième olympiade. Méziriac, nous l'avons vu plus haut (p. 46, note 1), la met à la première année de la même olympiade. Nous avons dit ci-dessus (p. 29, note 5) ce que nous pensions de la chronologie relative à Ésope.

3. Sur la réponse de l'oracle, les Delphiens « furent contraints d'envoyer par toutes les fêtes publiques et assemblées générales des Grecs, faire proclamer à son de trompe, s'il y avoit aucun de la parenté d'Esope qui voulût avoir satisfaction de sa mort, qu'il vînt, et qu'il l'exigeât d'eux telle comme il voudroit. Mais il ne se trouva personne qui prétendît avoir ce droit, jusqu'à la troisième génération, qu'il se présenta un Samien nommé Jadmon, petit-fils du premier Jadmon qui avoit été maître d'Æsope en l'ile de Samos; et les Delphiens, lui ayant fait quelque satisfaction, furent délivrés de leurs calamités, et dit-on que depuis ce temps-là ils transférèrent le supplice des sacriléges de la roche d'Hyampie à celle de Nauplie. » (MEZIRIAC, Vie d'Ésope, p. 306.)

ne témoignèrent pas seuls combien ce crime leur déplaisoit les hommes vengèrent aussi la mort de leur sage. La Grèce envoya des commissaires pour en infor mer, et en fit une punition rigoureuse1.

1. Les Athéniens élevèrent plus tard une statue à Ésope. Cette statue, qui était l'ouvrage du fameux Lysippe, fut placée, dit-on, en avant de celles des sept sages, ἑπτὰ σοφῶν ἔμπροσθεν (Anthologie de Planude, livre IV, 332).

Esopi ingenio statuam posuere Attici,
Servumque collocarunt æterna in basi,
Patere honoris scirent ut cunctis viam,
Nec generi tribui, sed virtuti, gloriam.

(PHEDRE, livre II, épilogue, vers 1-4.)

A

MONSEIGNEUR LE DAUPHIN'.

Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons':
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes; 5
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d'un prince aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes3,

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1. Voyez ci-dessus, p. 1, la note 1 de l'Épitre dédicatoire en prose. 2. C'est, dit Geruzez, une « allusion au proverbe : Muet comme un poisson. »

3. En 1667, Louis XIV en personne avait conquis la Flandre, ayant Turenne sous ses ordres. « Cette campagne s'appelle la campagne de Lille. Prise de Charleroi par M. de Turenne le 2 juin; le maréchal d'Aumont prend Armentières le 28 mai, Saint-Vinox le 6 juin, et Furnes le 12. Le Roi prend Ath le 16, et Tournai le 24, Douai et le fort de Scarpe le 6 juillet. Le maréchal d'Aumont prend Courtrai le 18, et Oudenarde le 31. Le Roi prend Lille en neuf jours, le 27 août, où il s'exposa assez pour que M. de Turenne le menaçât de se retirer, s'il ne se ménageoit pas davantage. Le comte de Marsin et le prince de Ligne, qui venoient au secours, sont battus par MM. de Créqui et de Bellefonds, le 31.... M. de Turenne prend Alost le 12 septembre. » (Abrégé chronologique de l'histoire de France, par le président Hénault, nouvelle édition, corrigée, etc., par C. A. Walckenaer, Paris, 1821, tome III, p. 865.) — Au moment même où la Fontaine écrivait cette épître, le Roi venait, pendant l'hiver

Quelque autre te dira d'une plus forte voix
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t'entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures;
Et si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris*.

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de 1668, de conquérir, avec le grand Condé, toute la FrancheComté, en moins d'un mois. Bientôt le traité d'Aix-la-Chapelle, signé le a mai, allait faire de Louis XIV l'arbitre de l'Europe. On voit, par tous ces faits, que les vers de la Fontaine ne sont pas une vaine flatterie.

4. Voltaire, dans son Catalogue des écrivains français du siècle de Louis XIV (tome XIX des OEuvres, p. 128), reprend bien sévèrement ces deux derniers vers : « On sent assez, dit-il, qu'il n'y aurait nul honneur à ne pas emporter le prix d'agréer. La pensée est aussi fausse que l'expression est mauvaise. » L'expression pourrait, ce nous semble, se défendre; et quant à la pensée, Voltaire la défigure: n'est-il pas honorable, lors même qu'on échoue, d'avoir tenté une louable entreprise, surtout quand on l'a tentée avec une aussi légitime confiance que le pouvait faire la Fontaine?

LIVRE PREMIER.

FABLE I1.

LA CIGALE ET LA FOURMI.

Ésopes, fab. 134, Τέττιξ καὶ Μύρμηκες; fab. 244, Μύρμηξ καὶ Κάν Oxpos (Coray, p. 75 et 76, p. 161, p. 334 et 335). Aphthonius, fab. 1, Fabula Cicadarum et Formicarum, instigans adolescentes ad laAvianus, fab. 34, Formica et Cicada.

borem.

Romulus, livre IV, fab. Formica et Cicada. 19, Marie de France, fab. 19, d'un Gresillon et d'un Frɔmi. — Haudent, 1" partie, fab. 181, d'un Fourmy et d'un

1. L'édition in-4o de 1668, qui est la première des livres I-VI, donne ainsi les titres: FABLE première, pable seconde, FABLE TROISIÈME, etc. Les autres éditions publiées par l'auteur n'ont le mot fable, suivi d'un chiffre romain, qu'à la première fable de chaque livre (ainsi au livre premier : fABLE 1); aux autres fables, elles ont simplement un chiffre romain.

2. Pour faciliter les rapprochements, nous indiquons en tête de chaque fable, dans un premier alinéa, les fables de sujet identique ou analogue qui nous ont paru dignes d'être signalées, chez les anciens, ou chez les modernes antérieurs à la Fontaine, ou chez ses contemporains; nous ne mentionnons les écrivains postérieurs à notre fabuliste que lorsqu'ils peuvent être l'objet d'une comparaison vraiment intéressante.

Dans un second alinéa, nous renvoyons aux fables anciennes contenues dans la Mythologie ésopique de Nevelet, recueil où nous pensons que la Fontaine a le plus souvent pris ses sujets; mais nous nous bornons à indiquer les pages, afin de ne pas répéter inutilement les titres. — Un troisième alinéa mentionne, quand l'occasion s'en présente, certains recueils, imprimés ou manuscrits, où la fable a été reproduite, comme les Manuscrits de Conrart, le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, le Recueil du P. Bouhours, etc. Nous mar

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