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« Ces enfants ne sont pas, dit l'Aigle, à notre ami'.
Croquons-les. » Le galand n'en fit pas à demi :
Ses repas ne sont point repas à la légère.]
Le Hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers nourrissons, hélas! pour toute chose.
Il se plaint; et les Dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors : « N'en accuse que toi1o,
Ou plutôt la commune loi

Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable 11.

Tu fis de tes enfants à l'Aigle ce portrait :

En avoient-ils le moindre trait? »

11

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40

9. Dans Regnard le Contrefait, où, comme nous l'avons dit, le Corbeau remplace le Hibou :

10.

Ce ne sont pas ceulx du Corbel

Qui m'a tant dit qu'ils sont si bel.

Ce sont icy diables d'enfer.

A toy t'en prens et bas ta coulpe. (Ibidem.)

11. Babrius dit de même (vers 9): « Chacun juge le sien beau, ›

Τὸν αὐτὸς αὑτοῦ πᾶς τις εὐπρεπῆ κρίνει.

Et Abstemius: Fabula indicat neminem natum adeo deformem qui parentibus suis non videatur esse formosus.

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La moralité est plus générale

chez Camerarius et chez Weiss; le second la rend ainsi :

Qui proprio laudes proprias ebuccinat ore,
Propinat ille ceteris se risui.

Le Noble la réduit à cette application particulière : « Le Singe entêté de la beauté de ses petits magots est la figure d'un poëte infatué du mérite de ses ouvrages, »

FABLE XIX.

LE LION S'EN ALLANT EN Guerre1.

Abstemius, fab. 95, de Asino tubicine et Lepore tabellario (voyez la fin de la note 8). — Haudent, 2o partie, fab. 152, de l'Asne esleu trompette des Bestes et du Lieure eslu messager.

Mythologia sopica Neveleti, p. 574.

Le Lion dans sa tête avoit une entreprise2 :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein*, chacun selon sa guise* :
L'Éléphant devoit sur son dos

Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire;

L'Ours, s'apprêter pour les assauts;

5

1. Dans l'édition de 1679 (Amsterdam): « LE LION S'en allant a

LA GUERRE. D

2. Dans les fables d'Abstemius et de Haudent il s'agit de la guerre des animaulx et bestes de la terre contre les oiseaux. Chez le premier, le Lion range déjà son armée en bataille.

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3. « Le Lion de la Fontaine, dit M. Taine (p. 89), sait les affaires; il est prévoyant, calculateur; il administre, enrégimente, organise, et sait même se passer d'un Louvois. Il tient conseil de guerre, envoie ses prévôts, assigne à chacun son poste, connaît les divers talents et tire usage de ses moindres sujets. » — Le nom de prévôt, tiré du latin præpositus præpostus), avait de nombreuses applications. Il désignait des magistrats ou officiers, des délégués et des agents d'ordre et de rang très-divers. Voyez le Lexique.

4. De l'entreprise.

11

5. Chacun à sa manière, selon ses talents. Dans le sens qu'on donne habituellement au mot guise aujourd'hui, l'expression « selon sa guise ou plutôt « à sa guise » signifierait : « comme il voulut, comme il lui plut. »

Le Renard, ménager de secrètes pratiques;

Et le Singe, amuser l'ennemi par ses tours.

«

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Renvoyez, dit quelqu'un, les Anes, qui sont lourds', Et les Lièvres, sujets à des terreurs paniques.

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Point du tout, dit le Roi; je les veux employer:

Notre troupe sans eux ne seroit pas complète.
L'Ane effraiera les gens, nous servant de trompette; 15
Et le Lièvre pourra nous servir de courrier3. »

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connoît les divers talents".

10

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens 1o.

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6. Ce quelqu'un, chez Abstemius, c'est l'Ours. Chez Haudent, le Lion lui-même veut renvoyer l'Ane et le Lièvre, et c'est l'Ours qui lui dit le parti qu'on pourra tirer d'eux.

7.

....

L'Asne à tout (avec) ses grandz aureilles
Est paresseus et tardif à merueilles. (HAUDENT.)

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8. Voyez la fable xix du livre II (vers 8). Asinus tubæ suæ clangore milites ad pugnam concitabit; Lepus vero ob pedum celeritatem tabellarii fungetur officio. (ABSTEMIUS.) — Le mot tabellarius a été plusieurs fois employé par Cicéron pour dire « porteur de tablettes, de lettres, messager. »

9.

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Quant au Lieure, en tant qu'il est agile,

Legier du corps et de courir habile,

Bien nous pourra aider et soullager

Par nous seruir d'un loyal messager. (HAUDENT.)

Leurs divers talents, » dans l'édition de 1688.

D

10. « La manière dont le Roi distribue les emplois de son armée est très-ingénieuse. Ces quatre vers qui expriment la moralité de cette fable sont excellents, et le dernier surtout est parfait. » (CHAMFORT.) — L'idée de ce dernier vers est dans Abstemius: Neminem adeo contemptibilem qui aliqua re nobis prodesse non possit.

FABLE XX.

L'OURS ET LES DEUX COMPAGNONS.

Ésope, fab. 249, "Odoiñópoi xaì "Apxtos (Coray, p. 163 et 164, p. 386 et 387, sous trois formes).

Avianus, fab. 9, Viatores. Abstemius, fab. 49, de Coriario emente pellem Ursi a Venatore nondum capti. Commines, Mémoires, livre IV, chapitre 1.

Haudent,

Ire partie, fab 7, de deux Compaignons; 2o partie, fab. 108, d'un Veneur et d'un Courrieur (Corroyeur).

Amys et de l'Ourse.

Corrozet, fab. 85, de deur

Mythologia sopica Neveleti, p. 291, p. 460, p. 554.

Parmi les fables que mentionne la notice, trois seulement ont tout à fait le même sujet que la nôtre : ce sont celle d'Abstemius, la seconde de Haudent, et celle de Commines. Dans les autres il ne s'agit pas d'une peau d'ours vendue d'avance. Deux voyageurs, rencontrant un ours, échappent au péril de la même manière que nos deux Compagnons, et celui qui a fait le mort conte à l'autre que la bête lui a dit à l'oreille : « Il ne faut pas faire route avec des amis qui ne vous assistent pas dans le danger. » — Commines met l'apologue dans la bouche de l'empereur d'Allemagne, Frédéric III, répondant aux ambassadeurs du roi Louis XI, qui étaient venus lui proposer de la part de leur maître « de s'engager mutuellement à ne faire ni paix ni trêve l'un sans l'autre, et à confisquer les seigneuries du Duc (de Bourgogne), lui celles qui relevoient de l'Empire, le Roi celles qui étoient tenues du royaume de France. » Voyez l'Histoire des ducs de Bourgogne du baron de Barante, Charles le Téméraire, livre V, année 1475. On trouvera à l'Appendice la fable de Commines. M. SaintMarc Girardin, dans sa xvi® leçon (tome II, p. 73-76), la donne en entier, et dit : « La Fontaine n'a eu qu'à traduire. Il a ajouté seulement, en vrai poëte comique, tout ce qui met le mieux en relief la présomption des deux Compagnons. » Après ces mots, l'éminent critique cite à l'appui les dix premiers vers de notre fable.

Deux Compagnons1, pressés d'argent,

1. Commines emploie de même le mot Compagnons. Seulement il y

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Mais qu'ils tueroient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent'.
C'étoit le roi des ours au compte de ces gens.
Le marchand à sa peau devoit faire fortune3;
Elle garantiroit des froids les plus cuisants:

On en pourroit fourrer plutôt deux robes qu'une".
Dindenaut prisoit moins ses moutons qu'eux leur Ours :
Leur, à leur compte, et non à celui de la bête.
S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, et se mettent en quête,

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a trois compagnons, au lieu de deux, et c'est à un tavernier qu'ils vendent la peau; ils lui doivent de l'argent et le prient de leur faire encore crédit d'un écot; ils le payeront avant deux jours car ils prendront cet ours, « dont la peau valloit beaucoup d'argent, sans les presens qui leur seroient faictz des bonnes gens. > Chez Abstemius, et chez Haudent (2o partie, fable 108), qui l'a traduit, ils font marché, comme ici, avec un corroyeur, un fourreur, qui leur donne l'argent d'avance.

2. « Cette suspension fait un effet charmant. Jusqu'à ce mot on croirait que l'Ours est mort, ou du moins pris et enchaîné. » (CHAMFORT.)

3. Quelques éditions modernes ponctuent ces deux vers ainsi :

C'étoit le roi des ours: au compte de ces gens,

Le marchand à sa peau devoit faire fortune.

Notre ponctuation est celle de toutes les éditions originales.

4. M. Taine (p. 152 et 153) cite ce vers et les trois précédents, et compare la discrétion et la mesure de notre poëte avec la faconde intarissable de Dindenaut chez Rabelais : voyez la note suivante.

5. C'est ce marchand goguenard qui se moque de Panurge en vantant si fort ses moutons, et dont Panurge se venge si plaisamment et si cruellement. Il finit par lui acheter un mouton qu'il jette a la mer, et tous les moutons sautent à l'eau pour faire comme leur camarade; et le marchand lui-même, en voulant les retenir, est entraîné et se noie avec ses bêtes. De là vient le mot si connu : « les moutons de Panurge. » On aurait dû dire, pour être exact, « les moutons de Dindenaut. » Voyez Rabelais, livre IV, chapitres v-vIII.

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