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1701, in-12. C'était une sorte d'avertissement au lecteur, une espèce de sauvegarde pour l'ouvrage contre les critiques ignorants ou malintentionnés. Le titre en est ainsi commenté, pour qu'on ne se trompe pas sur l'intention de l'éditeur : « LE SERPENt et la lime, fable de Monsieur de la Fontaine, adressée aux auteurs qui ont critiqué les Aventures de Télémaque. >

On conte qu'un Serpent, voisin d'un Horloger
(C'étoit pour l'Horloger un mauvais voisinage),
Entra dans sa boutique, et cherchant à manger,
N'y rencontra pour tout potage

Qu'une Lime d'acier, qu'il se mit à ronger1.
Cette Lime lui dit, sans se mettre en colère2 :
« Pauvre ignorant! et que prétends-tu faire?
Tu te prends à plus dur que toi.

Petit Serpent à tête folle3,
Plutôt que d'emporter de moi

I. In officinam fabri venit Vipera.

Hæc quum tentaret si qua res esset cibi,
Limam momordit.... (PHÈDRE, vers 3-5.)

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2. Dans la fable de Romulus, c'est en riant que la Lime parle à la Vipère: Tunc Lima ridens ait ad Viperam : « Quid vis, improba, tuos lædere dentes? » Dans l'emblème de Corrozet, le Serpent mord une épée; chez le Noble, qui ne sait jamais se borner, un crampon de fer, puis une lime, puis l'enclume.

3. Toutes les éditions originales ont ici la conjonction et, qui du reste s'emploierait encore fort bien aujourd'hui après l'exclamation « Pauvre ignorant! » La plupart des éditeurs modernes ont remplacé et par eh!

4. Phèdre dit (vers 1) « plus mordant, »

Mordaciorem qui improbo dente appetit;

et Romulus: Cum acriore nihil certandum est. Nous suivons la ponctuation de l'édition de 1678. Celle de 1668 met une virgule à

la fin du vers 8, et un point et virgule après le vers 9.

5. Le Noble s'exprime à peu près de même :

Couleuvre de fort petit sens.

Seulement le quart d'une obole*,
Tu te romprois toutes les dents".
Je ne crains que celles du temps.

Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre,
Qui, n'étant bons à rien, cherchez sur tout à mordre'.
Vous vous tourmentez vainement.

Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
Sur tant de beaux ouvrages?

6. L'édition de 1678 porte : d'un obole, ainsi que celles de 1688 et de Londres 1708. Nous pensons que c'est simplement une faute d'impression. L'édition de 1668 donne une obole, et celle de 1678 elle-même écrit ainsi ces mots au dernier vers de la fable XII du livre II. Nous devons toutefois faire remarquer que le mot obole a été autrefois du masculin, comme le grec č60λos. Le Dictionnaire de Nicot le fait de ce genre en 1606, et Ménage, tout en déclarant qu'il est du féminin, le range encore dans la liste des noms de genre douteux voyez ses Observations sur la langue françoise (édition de 1675, p. 156).

7. La pensée est ainsi développée dans la fable d'Ysopet 1 :
Ta dent de riens ne me puet nuire,
Mais ie puis les tienez destruire.
Bien say, tu ne me cognois mie :
Es dent le fer use et esmie,

Et fais farine deuenir.

8. « Cette idée très-philosophique, jetée dans le discours que la Fontaine prête à la Lime, fait beaucoup d'effet, parce qu'elle est entièrement inattendue. » (CHAMFOrt.) « Les dents du temps » rappellent le tempus edax rerum et l'edax vetustas d'Ovide (livre XV des Métamorphoses, vers 234 et 872). Ailleurs (Pontiques, livre IV, épitre VIII, vers 49 et 50) le même poëte rend ainsi l'idée, que nous avons ici, du fer même consumé par le temps:

Tabida consumit ferrum lapidemque vetustas;
Nullaque res majus tempore robur habet.

9. « Cette couleuvre est la figure du satirique insolent, dit le Noble dans la morale en prose qu'il a placée à la suite de sa fable.

Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant1o.

10.

Exegi monumentum ære perennius,
Regalique situ Pyramidum altius.

(HORACE, livre III, ode xxx, vers 1.)

- Geruzez fait remarquer que Lebrun (livre VI, ode xx111) dit, lui aussi, de son recueil d'Odes, mais avec moins de raison qu'Horace :

Grâce à la muse qui m'inspire,

Il est fini ce monument....
Plus hardi que les Pyramides,

Et plus durable que l'airain.

Pantaleo Candidus termine par une tout autre affabulation :

Multi cupitis sic adhærent mordicus,

Ut damna quæ patiuntur haud curent sua.

Voyez encore d'autres applications de l'allégorie dans a notice en tête de la fable.

FABLE XVII.

LE LIÈVRE ET LA PERDRIX.

Phèdre, livre I, fab. 9, Passer et Lepus. Neckam, fab. 14, de Lepore et Accipitre et Passere (Éd. du Méril, Poésies inédites du moyen áge, p. 187 et 188). On retrouve la même moralité, avec un sujet et des personnages différents, dans la fable 141 d'Abstemius, de Lupo in fossam lapso et Vulpe irridente (voyez ci-après la note 1). Mythologia asopica Neveleti, p. 394, p. 595.

Dans Phèdre, dans Neckam, et dans la vieille fable d'Ysopet II citée par Robert (tome I, p. 344-346), le cadre n'est pas tout à fait le même. Le Moineau se moque du Lièvre pris par un Aigle, et il est lui-même pris par un Épervier.

Il ne se faut jamais moquer des misérables :
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux1?
Le sage Ésope dans ses fables

1. Ces deux vers traduisent à peu près la morale de la fable d'Abstemius mentionnée dans la notice: Fabula indicat aliorum calamitatibus nunquam insultandum, quum in easdem nos quoque incidere possimus. - « Cette raison de ne pas se moquer des misérables a l'air d'être peu noble et peu généreuse. En effet, une âme honnête ne se moquerait pas des misérables, quand même elle serait assurée d'être toujours dans le bonheur. Mais la Fontaine se contente de nous renvoyer au simple bon sens, et fonde sa morale sur la nature commune et sur la raison vulgaire. On a remarqué qu'il n'était pas le poëte de l'héroïsme, c'est assez pour lui d'être celui de la nature et de la raison. » (CHAMFORT.) — Voici l'affabulation d'Ysopet II, presque identique aussi pour l'idée :

-

Peschié est et folie

De dire vilonie
A hom desconforté.

Tel est or hui en vie,

Nous en donne un exemple ou deux❜.
Celui qu'en ces vers je propose,

Et les siens, ce sont même chose.

Le Lièvre et la Perdrix, concitoyens d'un champ',
Vivoient dans un état, ce semble, assez tranquille,
Quand une meute s'approchant

Oblige le premier à chercher un asile :

Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut.

Enfin il se trahit lui-même

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nous semble sortir moins directement du récit.

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2. On voit par la notice que dans les fables grecques dites d'Ésope nous ne trouvons pas de fable qui corresponde à celle-ci. - Dans les manuscrits de Courart, dont nous avons parlé déjà plusieurs fois, au milieu d'un certain nombre de fables de la Fontaine il s'en rencontre une (tome XI, p. 535), intitulée le Renard et l'Écureuil, qui commence par ces quatre vers:

Il ne se faut jamais moquer des misérables, etc.

M. Édouard Fournier l'a insérée dans son livre de l'Esprit des autres (p. 114 et 115, 4o édition, 1861); et M. Paul Lacroix l'a placée en tête de ses OEuvres inédites de J. de la Fontaine (Paris, L. Hachette, 1863, in-8°, p. 3 et 4). Nous y reviendrons ailleurs.

3. Au sujet du complément qu'a ici le mot concitoyens, voyez le Lexique.

4. M. Littré définit fort, terme de chasse : « Le plus épais du bois et des buissons où les bêtes sauvages se retirent. » Voyez encore le Lexique; et en outre ci-dessus, p. 173, note 9.

5. Ce nom de chien, que nous retrouverons dans la fable xiv du livre IX (vers 27), vient du verbe brifer, « manger avidement, » et

J. DE LA FONTAINE, I

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