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FABLE XXII.

L'alouette et ses petits, avec LE MAÎTRE D'UN CHAMP.

Babrius, fab. 88, Kopuòaλòç xaì Neoσσol 1. -- Aulu-Gelle, Nuits attiques, livre II, chapitre xxIx2. - Avianus, fab. 21, Rusticus et Avis. Faërne, fab. 96, Cassita. Haudent, re partie, fab. 194, d'une

Allouette et de ses Petis.

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Mythologia sopica Neveleti, p. 470.

Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III,

p. 354.

Faërne n'a fait que mettre en vers, avec moins de grâce peut-être et de naturel, le récit d'Aulu-Gelle. Lequel des deux a servi de modèle à la Fontaine? Il serait difficile de le décider; pourtant j'incline à penser que c'est Faërne, à cause des éditions si nombreuses et de la popularité de son recueil. Le lecteur en jugera lui-même; nous mettons les deux morceaux sous ses yeux dans l'Appendice de ce vo

1. Avant la découverte du manuscrit du mont Athos, Furia, le premier, avait publié cette fable de Babrius, en 1810, d'après un manuscrit du Vatican, qui la donne comme de la prose. Coray (p. 273 et 274), et après lui plusieurs autres philologues, l'avaient mise en vers choliambiques. La version du Vatican diffère de celle du mont Athos par un certain nombre de variantes; la plus importante est que le rôle principal appartient, non, comme dans la vraie fable de Babrius, à l'Alouette huppée (Kopuòzλós), mais à un autre oiseau, appelé Xapaoptós, oiseau jaune, dit-on, et nichant dans des crevasses, mais dont on ne sait pas le nom actuel. A sa fable en vers Coray (p. 274 et 275) joint une imitation en prose grecque qu'il a faite luimême de la fable latine d'Aulu-Gelle mentionnée ci-après.

2. Aulu-Gelle nous apprend qu'Ennius avait traité ce sujet dans une de ses satires, scite admodum et venuste, en vers iambiques de quatre mètres ou huit pieds; il cite les deux derniers de ces vers, où se trouve exprinié ce proverbe :

Hoc erit tibi argumentum semper in promtu situm,
Ne quid exspectes amicos, quod tute agere possies.
Faërne a pris pour affabulation ce fragment d'Ennius.
J. DE LA FONTAINE. I

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lume.-M. Sainte-Beuve, dans ses Critiques et Portraits (2o édition, 1841, tome I, p. 103 et 104), dit au sujet de cette fable et de quelques autres: «La Fontaine a encore, sur ses devanciers du seizième siècle, l'avantage d'avoir donné à ses tableaux des couleurs fidèles qui sentent, pour ainsi dire, le pays et le terroir. Ces plaines immenses de blés où se promène de grand matin le Maître, et où l'Alouette cache son nid; ces bruyères et ces buissons où fourmille tout un petit monde; ces jolies garennes dont les hôtes étourdis font la cour à l'Aurore dans la rosée et parfument de thym leur banquet, c'est la Beauce, la Sologue, la Champagne, la Picardie; j'en reconnais les fermes avec leurs mares, avec les basses-cours et les colombiers. La Fontaine avait bien observé ces pays, sinon en maître des eaux et forêts, du moins en poëte; il y était né; il y avait vécu longtemps.

Ne t'attends qu'à toi seul : c'est un commun proverbe 3. Voici comme Ésope* le mit

-

En crédit :

Les alouettes font leur nid

3. T'attendre aux yeux d'autrui, quand tu dors, c'est erreur.

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(Livre XI, fable 111, vers 62.)

In nobis tantum ipsis nitamur, dit Aulu-Gelle. — Plaute (Mercator, acte V, scène Iv, vers 51) rend le même axiome sous forme affirmative :

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La Motte, dans son Discours sur la fable (édition in-4o, p. xvi et XVII), critique la Fontaine d'avoir mis en tête de la fable la morale qu'« Ésope avait dessein de prouver par la fable même, » et d'avoir ainsi ôté au lecteur « le plaisir amusant de la suspension. » M. SaintMarc Girardin, dans sa xxIII leçon (tome II, p. 259), lui répond que l'ordre adopté par notre poëte « est tout naturel, » et que « le lecteur ne languit pas en écoutant le récit; le plaisir de voir le récit confirmer la maxime vaut celui de deviner d'avance la maxime dans le récit. >

4. Aulu-Gelle intitule la fable: Apologus Esopi Phrygis, memoratu non inutilis. Le texte grec attribué à Esope n'est point parvenu jusqu'à nous.

5. « Il fallait, dit Chamfort, mettre ces deux vers en un, ce qui

Dans les blés, quand ils sont en herbe,
C'est-à-dire environ le temps

Que tout aime et que tout pullule dans le monde,
Monstres marins au fond de l'onde,

Tigres dans les forêts, alouettes aux champs'.
Une pourtant de ces dernières

Avoit laissé passer la moitié d'un printemps
Sans goûter le plaisir des amours printanières.
A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature, et d'être mère encore 8.
Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore,
A la hâte le tout alla du mieux qu'il put.

:

Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée'

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IO

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était facile, et ce qui sauvait en même temps les trois rimes consécutives en it. »

6.

Ales est cassita....

In segetibus nidulari sucta et ova excudere.

(FAËRNE, vers 1 et 2.)

Aulu-Gelle commence la fable à peu près de même.

7. Voyez, dans Lucrèce, l'invocation à Vénus qui commence le poëme et se termine par ces vers (18–21):

Denique per maria, ac monteis, fluviosque rapaceis,
Frundiferasque domos avium, camposque virenteis,
Omnibus incutiens blandum per pectora amorem,
Efficis ut cupide generatim secla propagent.

- « Un mot, dit Chamfort, suffit à la Fontaine pour
imagination mobile et sensible. >>

réveiller son

8. Dans les fables latines d'Aulu-Gelle et de Faërne, l'Alouette n'est pas mère trop tard, mais elle a mis son nid dans des blés hâtifs (sementes tempestiviores).

9. L'édition de 1688 a substitué à nitée son synonyme nichée. L'abbé Corblet donne les deux mots dans son Glossaire du patois picard. L'Académie n'a admis nitée que dans ses trois dernières éditions (1798, 1835, 1878). Nicot (1606) donne, dans le même sens, niée; et le Glossaire du centre de la France de M. le comte Jaubert, nigée. La Fontaine, dit M. Taine (p. 302 et 303) à propos de ce mot et d'autres semblables, « a tant de goût pour le mot propre qu'il

Se trouvât assez forte encor

Pour voler et prendre l'essor 10,

De mille soins divers l'Alouette agitée

S'en va chercher pâture, avertit ses enfants
D'être toujours au guet et faire sentinelle.

« Si le possesseur de ces champs

Vient avecque son fils ", comme il viendra, dit-elle, Écoutez bien selon ce qu'il dira,

Chacun de nous décampera.

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Sitôt que l'Alouette eut quitté sa famille,

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Le possesseur du champ vient avecque son fils.
« Ces blés sont mûrs, dit-il : allez chez nos amis "1
Les prier que chacun, apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour.
Notre Alouette de retour

Trouve en alarme sa couvée 13.

L'un commence : « Il a dit que, l'aurore levée,
L'on fit venir demain ses amis pour l'aider.

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S'il n'a dit que cela, repartit l'Alouette,
Rien ne nous presse encor de changer de retraite ;
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.

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va le chercher jusque dans les dialectes de province. C'était le conseil de Montaigne, notre plus grand peintre. >>

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11. Dans la fable grecque de Babrius, le maître vient seul; non, comme ici et chez Aulu-Gelle et Faërne, avec son fils; et il ne vient que deux fois. A la seconde, voyant que ses amis ne se sont pas rendus à son invitation, il déclare que dès le lendemain il mandera, en leur envoyant un salaire, les moissonneurs et les porteurs de gerbes.

12. Dans le récit d'Avianus, il envoie d'abord chez ses voisins, et la seconde fois chez ses amis; dans celui de Haudent, d'abord chez les voisins et familiers, puis chez les parents et cousins. 13. Pulli trepiduli circumstrepere, dit Aulu-Gelle.

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Cependant soyez gais; voilà de quoi manger.
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout.
L'Alouette à l'essor 14, le Maître s'en vient faire
Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.

« Ces blés ne devroient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui 15 se repose
Sur de tels paresseux 16, à servir ainsi lents.
Mon fils, allez chez nos parents

Les prier de la même chose. »

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L'épouvante est au nid plus forte que jamais.

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Il a dit ses parents, mère, c'est à cette heure....
-Non, mes enfants; dormez en paix :

Ne bougeons de notre demeure. »
L'Alouette eut raison; car personne ne vint.
Pour la troisième fois, le Maître se souvint
De visiter ses blés. « Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous.

14.

Profecta rursus ad pastum alite.... (FAËRNE, vers 18.)

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— « Être à l'essor se dit d'un oiseau qui vole loin de son nid pour ses différents besoins. » (Dictionnaire de M. Littré.)

15. Ellipse facile à suppléer : « et tort a celui qui......... D

16. « Se fier à ses amis, dit Babrius (vers 12), c'est ne se hâter guère; »

Ὃς γὰρ φίλοις πέποιθεν οὐκ ἄγαν σπεύδει.

Dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, le vers entier est remplacé par celui-ci :

Sur des amis si négligens.

La leçon que nous donnons est celle des éditions originales; elle est reproduite par la petite édition de 1682, par celles de la Haye 1688, de Londres 1708.

17. Dans Faërne (vers 22): affines et propinquos; et dans AuluGelle: cognatos, affines, vicinosque.

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