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Tu te trouverois mal d'un pareil stratagème.

Je vois de loin, j'atteins de même. »

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6. C'est un souvenir des épithètes qui accompagnent ordinairement le nom d'Apollon chez Homère, et qu'il emploie même parfois sans substantif pour désigner ce Dieu (voyez l'Iliade, livre I, vers 96 et 110) : ἑκηβόλος, Εκατηβόλος, ἑκατηβελέτης, Εκάεργος, ἕκατος, « qui lance au loin, qui atteint de loin, » etc. — Le premier hémistiche rappelle le τηλεσκόπον ὄμμα qu'Aristophane applique si poétiquement aux Nuées (Nuées, vers 286).

FABLE XX.

L'AVARE QUI A PERDU SON TRÉSOR.

Ésope, fab. 59, Pikápyupos (Coray, p. 36, p. 311). — Faërne, fab. 48, Avarus. Haudent, Ire partie, fab. 43, d'un Auaricieux. Mythologia sopica Neveleti, p. 138.

Lessing (livre II, fable xvi), après avoir reproduit la fable ésopique, la continue par une addition qui à l'avarice ajoute l'envie. Au voisin qui dit à l'Avare : « Figure-toi que la pierre mise à la place est ton trésor, et tu ne seras pas plus pauvre, » l'Avare répond : «Mais un autre en sera d'autant plus riche. J'enrage quand j'y pense. >

L'usage seulement fait la possession'.

Je demande à ces gens de qui la passion

Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme,
Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme.
Diogène là-bas est aussi riche qu'eux,

I.

Quo mihi fortunæ tantum ? quo regna sine usu?
Quid, nisi possedi dives avarus, opes?

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(OVIDE, les Amours, livre III, élégie VII, vers 49 et 50.)

Horace a dit également (livre I, épitre v, vers 12):

Quo mihi fortunam, si non conceditur uti?

Et Montaigne (Essais, livre I, chapitre XLII, tome I, p. 401): « C'est le iouïr, non le posseder, qui nous rend heureux. » — « La possession n'est rien, dit la fable grecque, si l'usage ne s'y joint; » oùòèv ἡ κτῆσις, ἐὰν μὴ ἡ χρῆσις προσῇ.

2. C'est l'idée exprimée par Phèdre dans la fable du Renard et le Dragon, contre les Avares (livre IV, fable xix, vers 8 et 9):

....

Quem fructum capis

Hoc ex labore, quodve tantum est præmium?

3. Chez les morts. Les tragiques grecs emploient de même, par

Et l'avare ici-haut comme lui vit en gueux.
L'homme au trésor caché qu'Ésope nous propose,
Servira d'exemple à la chose.

Ce malheureux attendoit,

Pour jouir de son bien, une seconde vie;
Ne possédoit pas l'or, mais l'or le possédoit*.
Il avoit dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec3, n'ayant autre déduit
Que d'y ruminer jour et nuit,

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Et rendre sa chevance à lui-même sacrée9.

Qu'il allat ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,
On l'eût pris de bien court, à moins qu'il ne songeåt

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euphémisme, Exɛï pour v "Atdou (voyez les Suppliantes d'Eschyle, vers 232, l'Antigone de Sophocle, vers 76, etc.). Ce mot s'oppose à ici-haut, qui est au vers suivant: voyez le Lexique, à l'article Icr.

4. C'est un mot du philosophe Bion le Bory sthénite. Il disait en parlant d'un riche avare : « Celui-ci ne possède pas son avoir, mais c'est son avoir qui le possède; » οὐχ οὗτος, ἔφη, τὴν οὐσίαν κέκτηται, ἀλλ ̓ ἡ οὐσία τοῦτον. Voyez sa vie au livre IV de Diogène de Laërte (chapitre VII, S 50).

5. La fable grecque dit de meme : συγκατορύξας ἐκεῖ καὶ τὴν ψυχὴν Éautoũ xaì tòv vouv. Et Benserade (quatrain CLVI):

L'avare avec son cœur enterra son trésor.

6. Terme du style badin, divertissement, plaisir. Ce mot, très-fréquent chez nos anciens poëtes, était déjà vieilli au temps de la Fontaine, de même que chevance, employé deux vers plus loin. L'Académie ne donne pas ce dernier dans la première édition de son Dictionnaire (1694).

7. Et de rendre, dans les éditions de 1678 et de 1688. La première corrige cette faute à l'Errata.

8. Son bien: voyez le Lexique.

9. On s'est servi de même en latin de sacer dans le sens de vetitus, « interdit, inviolable, à quoi il est défendu de toucher, dont l'accès n'est pas permis. » Ainsi Valerius Flaccus (livre I, vers 632) a dit sacros fluctus; et Silius Italicus (livre III, vers 501) sacros fines et (livre IV, vers 70) sacros montes, en parlant des Alpes, que personne avant Annibal n'avait franchies.

A l'endroit où gisoit cette somme enterrée1o.
Il y fit tant de tours qu'un fossoyeur11 le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.

Notre Avare, un beau jour, ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire 12,
Il se tourmente, il se déchire 13.

Un passant lui demande à quel sujet ses cris.

« C'est mon trésor que l'on m'a pris.

guerre,

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- Votre trésor? où pris? - Tout joignant cette pierre.
Eh! sommes-nous en temps de
Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en votre cabinet15,

Que de le changer de demeure?

Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure. - A toute heure, bons Dieux! ne tient-il qu'à cela1?

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10. « Prendre quelqu'un de court, » c'est le presser, ne pas lui donner le temps de faire quelque chose. Geruzez explique ainsi ce passage: « Il eût fallu saisir un intervalle bien court pour le prendre ne songeant pas à l'endroit, etc. »

11. Ce mot est aussi un archaïsme, et doit évidemment se prendre dans ce sens étendu que lui donne encore le Dictionnaire de Nicot (1606): « Fossoyeur est en général celuy qui fait fosses et fossez, a un homme qui bêche, qui creuse la terre. Dans la fable grecque : twv ¿pyatm̃v tis, « un ouvrier, un laboureur. »

12. Nous avons déjà vu cet hémistiche au vers 12 de la fable Iv du livre I.

13. Dans la fable grecque il s'arrache les cheveux : tiλλei tàs τρίχας.

14. Ici l'orthographe du mot est bien Eh dans les éditions originales.

15. Cabinet, vers la fin du dix-septième siècle, avait encore diver sens. Il désignait particulièrement, pour nous servir des termes de Furetière, soit « un petit lieu retiré........ où l'on étudie, où l'on serre ce qu'on a de plus précieux; » soit « un buffet où il y a plusieurs volets et tiroirs pour y enfermer les choses les plus précieuses. »

16. Ne tient-il qu'à cela? » c'est-à-dire : est-ce aussi simple que cela? aussi simple que vous paraissez le croire? aussi simple à faire qu'à dire?

L'argent vient-il comme il s'en va ?

Je n'y touchois jamais. — Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent "7 ::
Mettez une pierre à la place,

Elle vous vaudra tout autant 18. »

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17. Nous nous sommes conformés, pour la ponctuation, à l'édition de 1678; c'est aussi celle de la petite édition de 1682, qui met même un point d'interrogation après argent, à cause du mouvement interrogatif de la phrase. Dans l'édition de 1668 in-4°, les derniers vers de la fable sont ponctués de la manière suivante :

.... Dites-moi donc, de grâce,

Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant:
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,
Mettez une pierre à la place;

Elle vous vaudra tout autant.

Cette manière de couper la phrase a été adoptée par presque tous les éditeurs modernes, y compris Walckenaer. L'édition de la Haye 1688, et celle de Londres 1708, pour mieux appuyer encore, ont mis un point après tant.

18. Le fabuliste grec dit à peu près de même : tv aútǹv yáp ooc #λпpúσει Xpelav. — Faërne explique élégamment l'idée (vers 12): πληρώσει χρείαν.

Tam deest avaro quod habet quam quod non habet.

Elle est aussi développée avec une énergique simplicité dans deux recueils de fables indiennes : « Si ce sont des trésors enfouis dans notre maison qui nous font riches, ne le serions-nous pas de même, si dans notre maison il n'y en avait pas d'enfouis? » (Pantschatantra, livre II, strophe 156.) — « Si nous sommes riches par des biens que nous n'employons ni pour les dépenser ni pour en jouir, nous le sommes tout autant par les trésors qui sont enfouis dans les mines au sein de la terre. » (Hitopadeça, livre I, strophe 149.)

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