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FABLE XVII.

PAROLE DE SOCRATE.

Phèdre, livre III, fab. 9, Socrates ad amicos.

Mythologia sopica Neveleti, p. 421.

Athénée (livre XII, § 45, p. 533) cite, d'après le livre I du traité de l'Amitié, de Cléarque, une parole semblable de Thémistocle. Ayant fait batir, à Magnésie, une salle à manger fort élégante, il dit qu'il serait content s'il pouvait la remplir d'amis, dyanav pŋoev el τοῦτον (τρίκλινον) φίλων πληρώσειεν. Casaubon fait remarquer, au sujet de ce passage, que dans une salle à trois lits (pixλtvov) il n'y avait guère place que pour neuf convives. Élien, dans ses Histoires diverses (livre IV, chapitre x1), parle de la maisonnette (olxlotov) de Socrate. Diogène lui reprochait de s'en être occupé avec un soin trop curieux. Si nous en croyons ce que Xénophon fait dire à Socrate dans l'Économique (chapitre 1, § 3), cette maisonnette avait bien peu de valeur : « Je pense que si je rencontrais un bon acheteur, j'aurais très-facilement de tout mon avoir, avec ma maison, cinq mines. » La mine valait, comme on le sait, cent drachmes, c'est-à-dire environ quatre-vingt-dix francs. Démétrius de Phalère, cité par Plutarque (Vie d'Aristide, fin du chapitre 1), fait Socrate plus riche. « Il ne possédait pas seulement, dit-il, sa maison, mais encore soixante-dix mines, que Criton lui faisait valoir. » Voyez à ce sujet Boeckh, Économie politique des Athéniens, livre I, chapitre xx (tome I, p. 189, de la traduction française de Laligant).

Socrate un jour faisant bâtir,

Chacun censuroit son ouvrage1:

1. « Comme c'est la coutume, ut fieri solet, dit Phèdre, qui se borne à rapporter une seule critique. On a rappelé à ce propos le proverbe latin :

Qui struit in calle multos habet ille magistros. « Qui bâtit sur la rue a beaucoup de maîtres. »

L'un trouvoit les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage ;

L'autre blàmoit la face, et tous étoient d'avis
Que les appartements en étoient trop petits.
Quelle maison pour lui! l'on y tournoit à peine.
« Plut au ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine!

Le bon Socrate avoit raison

De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami; mais fol' qui s'y repose :

Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose3.

2. Fol est l'orthographe de toutes les anciennes éditions.
3. Vulgare amici nomen, sed rara est fides. (PHÈDRE, vers 1.)

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FABLE XVIII.

LE VIEILLARD ET SES ENFANTS.

Ésope, fab. 171, Tewрyou лxides (Coray, p. 105, p. 358). - Babrius, fab. 47, Γεωργὸς καὶ Υἱοί. Haudent, ire partie, fab. 4, d'un Père et de ses Enfans. – Le Noble, conte 5, du Fagot. L'union. Mythologia sopica Neveleti, p. 231.

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Cette fable est au Manuscrit de Sainte-Geneviève.

Elle forme le sujet du xxx111o emblème de l'Hécatongraphie de Corrozet, sous ce titre : Amytié entre les freres. M. Liotard, p. 28 (voyez ci-dessus, p. 154), dit l'avoir trouvée aussi dans un livre fort rare publić en 1574 à Édimbourg, et intitulé: le Réveille-matin des François et de leurs voisins. Galand, dans la continuation de la Bibliothèque orientale de d'Herbelot (tome IV, p. 507), raconte ainsi l'apologue : « Un jour Ginghizkhan, voyant ses fils et ses parents les plus proches assemblés autour de lui, tira une flèche de son carquois et la rompit. Il en tira deux autres, qu'il rompit de même tout à la fois. Il fit la même chose de trois et de quatre. Mais enfin il en prit un si grand nombre qu'il lui fut impossible de les rompre. Alors il leur tint ce discours, et dit : « Mes enfants, la même chose sera de « vous que de ces flèches. Votre perte sera inévitable, si vous tom« bez un à un, ou deux à deux, entre les mains de vos ennemis. « Mais si vous êtes bien unis ensemble, jamais personne ne pourra « vous vaincre ni vous détruire1. » Voltaire (tome XLVIII des OEuvres, p. 306) parle aussi de cette fable comme se trouvant parmi les Tartares. Il se souvient de l'avoir lue dans le recueil des voyages de Plancarpin (du Plan Carpin), de Rubruquis et de Marc Paolo (Marco Polo). Nous n'avons pas besoin, après ce que nous

1. C'est à la suite de cette allégorie que se lit, dans la Bibliothèque orientale, celle des deux serpents, que nous avons citée plus haut, p. 94, et que nous avons mise à tort sous le nom de d'Herbelot. Elle est, comme celle-ci, rapportée par Galand, dans la partie intitulée Paroles remarquables et maximes des Orientaux.

2. Elle se trouve en effet au chapitre xvii de l'Histoire orientale ou Histoire des Tartares, de Haiton, Arménien, imprimée dans le recueil

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avons dit dans diverses notices, de faire remarquer qu'il va beaucoup trop loin, lui comme bien d'autres, lorsqu'il dit à ce propos qu' e il « n'y a pas une seule bonne fable de la Fontaine qui ne vienne du ‹ fond de l'Asie. » — Chez Plutarque, c'est Scilure, roi des Scythes, qui, avant de mourir, instruit par cette leçon allégorique ses quatre-vingts fils, en leur donnant à rompre un faisceau de dards (àxovtlwv, dopatiwv). Voyez les Apophthegmes des rois et des capitaines (et Stobée, titre LXXXIV, 16), et le traité du Babil, chapitre xvII. Un emblème analogue se lit au chapitre Iv du Livre de l'Ecclésiaste (verset 12): Si quispiam prævaluerit contra unum, duo resistunt ei; funiculus triplex difficile rumpitur. La parabole des deux queues de cheval, que Plutarque raconte au chapitre xvi de la Vie de Sertorius, a aussi la même signification. Enfin Robert rapproche encore de cet apologue une fable ésopique, enseignant, par une tout autre action, la même morale: les (deux, trois ou quatre) Taureaux et le Lion. C'est la 296e dans Coray (p. 193 et 194, sous cinq formes, et p. 401), la 44o dans Babrius; elle a été mise en français par Haudent (1re partie, fab. 192), par Desmay (fab. 10), et longtemps avant, dans les recueils que Robert nomme Ysopet-Avionnet et Ysopet II. Voltaire, cité par Solvet (Études sur la Fontaine, p. 135), semble regretter que le Vieillard, chez la Fontaine, instruise ses Enfants par une allégorie plutôt que par cette fable proprement dite. La Fontaine reconnaît lui-même (au vers 8) que c'est plutôt une histoire qu'une fable qu'il nous raconte; mais, bien entendu, il ne s'excuse pas de la chose où jamais a-t-il pris l'engagement de se borner à ce que Voltaire nomme « la fable proprement dite? »

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Toute puissance est foible, à moins que d'être unie3 :

des Voyages faits principalement en Asie dans les XII, XIII, XIV et xve siècles..., publié par P. Bergeron (tome II, in-4°, col. 31 et 32, la Haye, 1735).

3. Haudent (fable 4) traduit, pour en faire son affabulation, le célèbre axiome que Salluste (Jugurtha, chapitre x) a placé dans le discours adressé par Micipsa mourant à ses deux fils et à Jugurtha : Concordia parvæ res crescunt, discordia maximæ dilabuntur.

Le moral est que par concorde
On voit petites choses croistre,
Et les grandes souuent decroistre
Par maintenir noyse et discorde.

Écoutez là-dessus l'esclave de Phrygie.

Si j'ajoute du mien à son invention,

C'est pour peindre nos mœurs, et non point par envie *: Je suis trop au-dessous de cette ambition.

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Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire";
Pour moi, de tels pensers me seroient malséants.

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4. Au sujet du mot envie, Chamfort fait une critique qui nous paraît peu fondée : « Le désir de surpasser un auteur mort il y a deux mille quatre cents ans ne peut s'appeler envie. C'est une noble émulation qui ne peut être suspecte. Celui même de surpasser un auteur vivant ne prend le nom d'envie que lorsque ce sentiment nous rend injuste envers un rival. » Ce n'est point une hardiesse qui excède les droits du style poétique, que d'appeler envie une émulation qu'on veut modestement donner pour blàmable. D'ailleurs le mot envie n'implique pas toujours « chagrin des avantages d'autrui : » voyez le Dictionnaire de l'Académie. Phèdre a exprimé des idées analogues dans l'Épilogue du livre II (vers 5-8), et dans le Prologue du livre III (vers 38 et 39, 52 et suivants). Dans le premier de ces passages (vers 8), il a soin d'exclure aussi, en y opposant le terme émulation, tout sentiment d'envie :

Nec hæc invidia, verum est æmulatio.

Il rappelle, de même que notre fabuliste, mais avec une intention de dédain que celui-ci n'a en aucune façon, la contrée où est né Ésope (vers 52):

Si Phryx Esopus potuit, si Anacharsis Scytha...;

et il parle également (vers 50) de « peindre les mœurs : »

Verum ipsam vitam et mores hominum ostendere.

5. Dans le Manuscrit de Sainte-Geneviève, il y a au-dessus, pour audessous. C'est une variante évidemment fautive, qui ôte à la pensée toute modestie, mais, il faut en convenir, la rend, pour nous, beaucoup plus juste.

6. C'est un motif que Phèdre ne dissimule guère. Il dit dans le Prologue cité du livre III (vers 38) qu'il a fait du sentier du Phrygien une large voie :

Ego illius pro semita feci viam;

et (vers 61) qu'il a droit à la gloire :

....

Mihi debetur gloria.

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J. DE LA FONTAINE, I

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