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« Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point, »
S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.
Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage,
Comme il étoit venu s'en retourna chez soi.
Où seroit le Biquet, s'il eût ajouté foi
Au mot du guet que de fortune
Notre Loup avoit entendu ?

Deux sûretés valent mieux qu'une,

Et le trop en cela ne fut jamais perdu”.

8. Voyez ci-dessus, note 5.

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9. Chez la plupart des autres fabulistes, la morale est différente : c'est un conseil aux enfants d'obéir à leurs parents. Ainsi dans l'Appendice des fables ésopiques :

Laus magna natis obsequi parentibus;

et chez Corrozet :

Qui donc obeist aux parens,

Tout bien et tout honneur lui vient.

M. Soullié, à l'endroit indiqué, fait remarquer avec raison que cette moralité est moins bien appropriée à la fable que celle de la Fontaine, surtout avec les circonstances ajoutées par lui.

FABLE XVI. Ésope, fab. 138, Aúxos xaì l'paus (Coray, p. 80 et 81, p. 337, sous cinq formes, dont l'une est celle que nous indiquons ci-après sous le nom d'Aphthonius).

Babrius, fab. 16,

même titre. Aphthonius, fab. 39, Fabula Nutricis et Lupi, ostendens

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Faërne, fab. 76, Lupus et Mulier.

Lupus. Haudent, Ire partie, fab. 110, d'un Loup et d'une Mere. - Corrozet, fab. 102, de la Nourrice et du Loup (une des quatre fables en prose ajoutées au recueil primitif). Le Noble, tome I, p. 269, conte de la Nourrice, du Loup et du Bambin.

Mythologia sopica Neveleti, p. 200, p. 352, p. 454.

Ce sujet a été traité au seizième siècle par Baïf, en sixains, et par Philibert Hégémon. M. Soullié (p. 227-230) cite leurs deux fables. La Fontaine n'a pris chez ses devanciers, anciens et modernes, que la première partie de sa fable, et encore pour le fond seulement. La fin, le triste sort du Loup, est de son invention. Plusieurs des fables grecques, et la vieille fable française (Ysopet-Avionnet) citée par Robert, ont une seconde partie toute différente, qui amène une affabulation épigrammatique. Quand le Loup rentre chez lui, la Louve lui demande pourquoi il n'apporte rien. « C'est que j'ai en le tort, répond-il, de croire à parole de femme. »

Πῶς γὰρ, ὃς γυναικὶ πιστεύω; (BABRIUS, vers 10.)

Le Noble (1697) a donné à cette fable un tour allégorique trèsprétentieux et très-laborieux. Il la dédie au prince de Galles, Jacques-Édouard, fils de Jacques II, qui a échappé au Loup fatal (Guillaume III), qui a pour nourrice la Fortune, et qu'on élève « dans un berceau français. » L'apologue est suivi de la Chanson de la Nourrice au Bambin royal, composée de sept couplets, qui ont chacun pour refrain:

Louis est pour vous, c'est assez.

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Mme de Sévigné avait prédit que la fuite du jeune prince ferait un jour, elle ne dit pas une fable, mais un roman: voyez sa lettre du 13 décembre 1688, tome VIII, p. 325. M. Saint-Marc Girardin, dans sa vie leçon (tome I, p. 243 et 244), cite comme une piquante variation, un apologue, en distiques, de Weiss (Pantaleo Candidus), poëte latin dont nous avons déjà parlé plusieurs fois. C'est le vie de sa re section, de Diis. Il est intitulé: « le Diable et l'Usurier, » Diabolus et Fenerator; on le trouvera à l'Appendice de

ce volume. M. Taine (p. 205 et 206) fait remarquer avec quelle vérité notre fabuliste, dans plusieurs de ses fables, et en particulier dans celle-ci, a peint le Loup, et il trouve le « portrait demi-sérieux, demi-moqueur, » qu'il en fait, « plus vrai que la sombre et terrible peinture de Buffon. »

Ce Loup1 me remet en mémoire

Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris :
Il y périt. Voici l'histoire :

Un villageois avoit à l'écart son logis.

Messer Loup attendoit chape-chute1 à la porte;
Il avoit vu sortir gibier de toute sorte,

Veaux de lait, agneaux et brebis,

Régiments de dindons, enfin bonne provende*.
Le larron commençoit pourtant à s'ennuyer.
Il entend un Enfant crier :

La Mère aussitôt le gourmande,

Le menace, s'il ne se tait,

De le donner au Loup. L'animal se tient prêt,
Remerciant les Dieux d'une telle aventure,

Quand la Mère, apaisant sa chère géniture,

Lui dit : « Ne criez point; s'il vient, nous le tuerons".

1. Le Loup, dans l'édition de 1678 A.

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Chape-chute, bonne aubaine due à la négligence ou au malheur d'autrui. Voyez le Lexique.

3. Veaux qui tettent encore.

4. Provende, provision de bouche.

5. Dans la plupart des fables anciennes, c'est une nourrice ou une

vieille femme (τίτθη, τήθη, γραῦς, nutrix).

6. Benserade (quatrain xcIv) a un tour assez vif:

« Mon fils, si vous pleurez, le Loup vous mangera,»
Dit la Nourrice. Il vint, dès que l'Enfant pleura.

7. Baïf et Philibert Hégémon imitent bien le parler de la Mère. Chez le premier, elle commence ainsi :

Nenny, nenny, non, non, ne pleure;

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Qu'est ceci? s'écria le mangeur de moutons : Dire d'un, puis d'un autre ! Est-ce ainsi que l'on traite Les gens faits comme moi? me prend-on pour un sot? Que quelque jour ce beau marmot

Vienne au bois cueillir la noisette!

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Comme il disoit ces mots, on sort de la maison:

Un chien de cour l'arrête; épieux et fourches-fières
L'ajustent de toutes manières 1o.

«

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Que veniez-vous chercher en ce lieu? » lui dit-on.
Aussitôt il conta l'affaire.

« Merci de moi! lui dit la Mère;

Tu mangeras mon Fils! L'ai-je fait à dessein

Qu'il assouvisse un jour ta faim? »

On assomma la pauvre bête.

Un manant" lui coupa le pied droit et la tête :

Le seigneur du village à sa porte les mit;

Et ce dicton picard à l'entour fut écrit :

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chez le second, elle finit en criant au Loup même, avec une interjection de chasseur : « Sauve-toi, avant qu'on ne t'accroche, »

Hay! deuant, beste, qu'on ne t'accroche!

8. Dans Baïf :

Ceans l'on dit l'un, l'autre on tient.

Dans plusieurs des fables grecques : Αλλα μὲν λέγουσιν, ἄλλα δὲ πράττουσιν.

9. M. Littré, dans son Dictionnaire, entend par fourche-fière une fourche à deux dents, longues, aiguës et solides, qui sert à élever les gerbes pour le chargement et le tassement des récoltes. Voyez le Lexique. Le mot est dans Rabelais (Prologue du livre III, tome I, p. 360), où le Duchat l'explique d'une façon qui ne s'appliquerait guère à l'emploi qu'en fait ici la Fontaine.

10. M. Littré cite la locution « ajuster de toutes pièces, » qu'il traduit par « maltraiter en paroles ou en actions. » Nous disons aujourd'hui, arranger, dans le même sens.

II.

Un paysan. Voyez ci-dessus, p. 82, note 4.

« Biaux chires Leups11, n'écoutez mie 13
Mère tenchent chen fieux qui crie 1*.

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12. Les éditions originales s'accordent à écrire leups, mais l'orthographe picarde est plutôt leu, leus. Voyez le Glossaire du patois picard de l'abbé Corblet, où du reste on pourra remarquer que la plupart de ces formes picardes appartiennent en même temps à plusieurs autres dialectes du centre de la France.

13. Voyez le Lexique.

14. Mis en français d'aujourd'hui, le dicton serait : Beau sire Loup*, n'écoutez pas

Mère tançant son fils qui crie.

Voyez Raynouard, Observations philologiques et grammaticales sur le Roman de Rou (Rouen, 1829, in-4o), p. 92, où l'auteur cite ces deux vers, et p. 28, où il parle des règles relatives à l'orthographe des noms dans la langue du moyen âge. Ces règles veulent que dans les substantifs qui n'ont qu'une seule forme pour les deux nombres, le cas sujet au singulier (et de même le vocatif) prenne l's, et que le cas régime ne le prenne point. En supposant donc au singulier tous les substantifs des deux vers, il eût fallu les écrire ainsi :

Biaus chire Leus, n'escoutez mie

Mere tenchent chen fieu qui crie.

Chire (sire) sans s, parce que ce nom a une autre forme au pluriel : Segnor. Pour l'adjectif beau, le cas sujet pluriel eût été biel (bel). Mais hâtons-nous de dire que la Fontaine ne pensait guère et ne pouvait penser à ces règles inconnues de son temps. M. Taine (p. 238) nous fait remarquer que le fabuliste est « historiographe exact, ▾ au point d'écrire « l'épitaphe avec le style et l'orthographe du pays. Génin dit dans ses Récréations philologiques (tome 1, p. 285): «Est-ce par allusion à l'histoire de ce Loup qu'on dit encore en Picardie ein pover leu, pour « un pauvre diable? » chest ein pover leu! terme de compassion, de commisération affectueuse. Cela donnerait à penser que la Fontaine avait puisé cet apologue à une source picarde, car pourquoi ce dicton picard?» — M. Tivier, dans un discours sur la Fontaine prononcé dans une séance solennelle de l'Académie d'Amiens, s'appuierait volontiers sur l'emploi de ce même dicton par notre poëte pour décider en faveur de la Picardie une question qui, dit-il, est restée douteuse, celle de savoir si la Fontaine est né Picard ou Champenois. Toutefois il ne dissimule pas les arguments qu'on peut faire valoir pour la Champagne.

Voyez livre I, fable v, vers 3.

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