Page images
PDF
EPUB

FABLE XIV.

LE RENARD ET LE BUSTE.

Ésope, fab. 11, Αλώπηξ; Αλώπηξ πρὸς Μορμολύκειον (Coray, p. 9, p. 286). Phèdre, livre I, fab. 7, Vulpis ad personam tragicam. Romulus, livre II, fab. 15, même titre.

et Larva.

[ocr errors]

Faërne, fab. 66, Vulpes Haudent, rre partie, fab. 16, d'un Regnard et d'une Teste

d'homme; fab. 139, d'un Loup et d'une Teste d'homme taillée en pierre. Corrozet, fab. 28, du Loup et de la Teste. Boursault, les Fables d'Ésope, acte I, scène 1, le Renard et la Téte peinte. Le Noble, fab. 99, du Loup et de la Tête de bois. Le beau sot.

Mythologia sopica Neveleti, p. 95, p. 394, p. 511.

Geruzez fait observer avec raison que cette fable n'est qu'une épigramme dont l'affabulation est le trait. - La Motte (livre I, fable iv) critique l'apologue en ces termes :

.... Je me déclare

Pour le Renard gascon qui renvoie aux goujats
Des raisins mûrs qu'il n'atteint pas1;

Mais il n'a plus sa grâce naturelle

Avec la tête sans cervelle.

Son mot est excellent : d'accord;

Mais un autre devoit le dire.

Jacobs, dans l'Appendice à la Théorie des beaux-arts de Sulzer (tome V, p. 284, note aa), est de l'avis de la Motte, et voudrait, au lieu du Renard, un Homme. Mais que d'autres fables ne faudrait-il pas condamner pour la même invraisemblance! Elle est moins grande au reste chez la Fontaine et Phèdre que chez la plupart des autres fabulistes, qui introduisent leur Renard ou leur Loup (voyez la note 4) soit chez un comédien, soit chez un musicien, ou encore, comme Benserade (quatrain xx1) et le Noble, chez un sculpteur. Benserade nous avertit au moins de l'invraisemblance, en disant :

[ocr errors]

Il n'y va pas souvent une pareille bête. Jacobs dit encore,

et avec raison, je crois, que cet apologue, tel

1. Allusion à la fable x1 du livre III de la Fontaine.

que nous l'avons sous les noms d'Ésope et de Phèdre, est né de la comparaison, si naturelle, qu'on a coutume de faire de la beauté sans esprit ou des vaines apparences de la majesté, de la sagesse, etc., avec un masque de théâtre. Il fait remarquer aussi que la circonstance du masque ne permet pas d'attribuer la fable à Ésope, puisque ce n'est qu'au temps d'Eschyle qu'on adopta cet usage au théàtre. - Lessing, dans sa fable xiv du livre II, ajoute un autre trait de satire. Le masque trouvé par le Renard a la bouche grande ouverte, et le Renard s'écrie : « Sans cervelle, et la bouche béante! Ne serait-ce pas la tête d'un bavard? » - Le Noble a délayé ridiculement, en quatre-vingt-treize vers, ce sujet, qui demande une si sobre et fine brièveté.

Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre2; Leur apparence impose au vulgaire idolâtre.

3

L'Ane n'en sait juger que par ce qu'il en voit:
Le Renard', au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout sens; et quand il s'aperçoit
Que leur fait n'est que bonne mine,

Il leur applique un mot qu'un buste de héros

Lui fit dire fort à propos.

C'étoit un buste creux, et plus grand que nature.
Le Renard, en louant l'effort de la sculpture :

5

10

2. Notre poëte donne ainsi place dans son premier vers au masque des fabulistes grecs et latins (κεφαλὴν μορμολυκείου, personam tragicam, larvam), que, dans sa fable même, il remplace par un buste.

3. Inspire le respect, mais en trompant, en faisant illusion. Voyez le Lexique.

4. Fleury de Bellingen, dans l'Étymologie des Proverbes (livre II, chapitre xxx1, p. 223, la Haye, 1656), substitue au Renard une bête plus maligne encore, le Singe. Haudent (dans sa fable 139), le Noble et Benserade le remplacent, bien moins à propos, par le Loup, à l'exemple du vieux fabuliste français (Ysopet I, fos 79 et 80). Chez ce dernier du moins, le Loup, fidèle à son caractère, ne se plaint pas que « la Tête peinte » n'ait point de cervelle, mais simplement qu'elle ne puisse se manger et lui servir à apaiser sa faim.

5. Faërne insiste de même sur l'examen fait par le Renard :

Inque manus sumens, animoque et lumine lustrans.

« Belle tête, dit-il; mais de cervelle point®. »

Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point"!

6. On connait le jeu de mots (entre κεφαλήν, tête, et ἐγκέφαλον, cervelle) qui, en grec, aiguise l'épigramme. Juvénal paraît faire al

lusion à notre fable lorsqu'il dit dans sa xive satire, vers 57 et 58: vacuumque cerebro caput. · Benserade tourne ainsi le trait final:

-

.... Il dit : « La belle tête!

Mais pour de la cervelle au dedans, serviteur. »>

7. Juvénal dit encore, en parlant d'un jeune homme enflé de sa haute noblesse (satire vIII, vers 73 et 74):

Rarus enim ferme sensus communis in illa
Fortuna....

FABLES XV ET XVI'.

LE LOUP, LA CHÈVRE, ET LE CHEVREAU.

LE LOUP, la mère, et l'enfant.

FABLE XV. Appendix fabularum æsopiarum, fab. 32, Hædus et Lupus. Romulus, livre II, fab. 10, Hædus et Lupus. - Neckam, fab. 42, de Capella et Lupo (Éd. du Méril, p. 211). Marie de France, fab. 90, de la Cheure et ses Cheuriax. fab. 135, d'un petit Boucq et d'un Loup. Loup et du Cheureau.

La garde d'une fille.

Haudent, rre partie,

Corrozet, fab. 24, du Le Noble, fab. 15, du Loup et du Chevreau.

Mythologia sopica Neveleti, p. 507 (fable, en distiques latins, de l'auteur que Nevelet désigne par le nom de l'Anonyme).

M. Soullié (p. 219-221) cite la fable de Corrozet, et, la comparant à la fable de la Fontaine, montre en quoi celle-ci est supérieure. Les traits les plus agréables du récit, le « mot du guet, patte blanche, » sont de l'invention de notre poëte.

La Bique', allant remplir sa traînante mamelle,

1. Ces deux fables sont ainsi réunies dans les éditions originales et dans les anciennes impressions, de même que les fables xv et XVI du livre I et les fables xi et XII du livre II. La gravure de Chauveau est divisée en deux parties, qui représentent chacune le sujet d'une des deux fables. Nous aurions dû faire une remarque semblable au sujet de la gravure qui accompagne les fables xi et xii du livre II. 2. Mot de même radical que l'italien becco (bouc), lequel est différent, comme le font remarquer MM. Diez et Littré, de l'allemand Bock, d'où vient bouc. Le Noble nomme la Chèvre « mère la Cabre; et le Chevreau, Biquet (comme la Fontaine), Boucon, Chevrotin. Dans cette fable encore, M. Taine (p. 299) relève et approuve l'emploi des mots vulgaires, ici Bique, plus loin loquet. Nodier, dans son édition des Fables (1818), critique ce dernier terme comme nous faisant perdre de vue les mœurs de la Chèvre. Il faut pourtant bien, et dans la fable en général, et surtout chez notre

D

[blocks in formation]

« Foin du Loup et de sa race! »
Comme elle disoit ces mots,

Le Loup de fortune 5

passe;

Il les recueille à propos,

Et les garde en sa mémoire.

La Bique, comme on peut croire,

N'avoit pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton®,

Et d'une voix papelarde'

Il demande qu'on ouvre, en disant : « Foin du Loup! » Et croyant entrer tout d'un coup.

Le Biquet soupçonneux par la fente regarde :

5

ΤΟ

15

fabuliste, prendre son parti du très-fréquent mélange des mœurs et aptitudes des hommes avec celles des animaux.

3. Signal, signe de reconnaissance, mot d'ordre et de ralliement; c'est le composé latin insigne; le simple, signum, a parmi ses sens celui de « mot d'ordre. »

4. Interjection familière, marquant répulsion, et sur l'étymologie de laquelle on n'est point d'accord. On l'emploie avec et sans régime. Voyez le Lexique.

5. Par hasard; il dit ailleurs : d'aventure. La locution de fortune est plusieurs fois dans Rabelais: voyez, par exemple, livre IV, chapitre XLVIII, tome II, p. 119; et livre V, chapitre xv, tome II, P. 218.

6. «Simulant voix caprine, dit Haudent. L'Anonyme de Nevelet emploie de même un mot qu'il tire de capra :

Sta procul, Hædus ait, caprizas gutture falso.

7. Hypocrite. C'est encore un mot de Rabelais : « Les abus d'ung tas de papelarts et faulx prophetes. » (Livre II, chapitre xxix, tome I, p. 330.)

« PreviousContinue »