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FABLE XIII.

LE CHEVAL S'ÉTANT VOULU VENGER DU CERF.

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Ésope, fab. 313, Inños xai "Elaços (Coray, p. 206-208, sous quatre formes, dont la première est tirée de la Rhétorique d'Aristote, livre II, chapitre xx ; la seconde des Narrations de Conon, no XLII; la troisième de Nicéphore Basilacas, fab. 2). — Horace, livre I, épitre x, vers 34 et suivants. ·Phèdre, livre IV, fab. 4, Equus et Aper. Romulus, livre IV, fab. 9, Equus, Cervus et Venator. · Haudent, 1" partie, fab. 156, d'un Cheual, d'un Homme et d'un Cerf. - Corrozet, fab. 77, du Cerf et du Cheual. Le Noble, fab. 64, de l'Écuyer et du Cheval. La liberté. Nous avons vu une lettre de Boissonade à Walckenaer, du 21 février 1827, dans laquelle il est dit que << Charles Fontaine, au seizième siècle, a très-élégamment narré cette fable (dans un poëme intitulé la Contre-Amye de Court 1). »

Mythologia asopica Neveleti, p. 366, p. 43o.

Cette fable est au Manuscrit de Sainte-Geneviève.

Chez Aristote, la fable a une énergique concision; elle est racontée par Stésichore aux citoyens d'Himère, qui viennent de choisir Phalaris pour général, et qui veulent en outre lui donner une garde. Dans la narration de Conon, Phalaris est remplacé par Gélon. Plutarque, dans la Vie d'Aratus (chapitre xxxvIII), mentionne la fable (qu'il attribue à Ésope) à propos d'Antigone Doson, élu généralissime par les Achéens; et pour peindre comment il se les soumit, il y emprunte plusieurs métaphores très-expressives (én, χαλινουμένους). Voyez ci-après, dans la note 13, deux autres applications de la fable, l'une encore historique, l'autre toute morale; et, dans l'Appendice de ce volume, une vive et spirituelle causerie, extraite de la xvi leçon de M. Saint-Marc Girardin, et nous faisant passer, d'une façon très-significative, de l'allégorie au sens propre. —

1. Cette fable de Charles Fontaine, où sont traduits, ou plutôt développés librement en quatorze vers, les huit vers d'Horace, a été imprimée dans le recueil qui a pour titre : les Poëtes françois depuis le x11° siècle jusqu'à Malherbe, tome III, p. 441 (Paris, Crapelet, 1824).

Robert (tome I, p. 267-273) cite deux vieilles fables, dont la première (Ysopet 1, fos 54 et 55) a pour personnages le Renard et son compère le Loup. Un bouvier, excité par le Renard, tue le Loup; mais le Renard tombe ensuite dans un piége et expie le mal qu'il a fait à son compère. La seconde (Ysopet II) se rapproche beaucoup plus de la nôtre. Le Cheval implore l'aide de l'Homme et est retenu par lui en esclavage, sans même avoir pu atteindre le Cerf, qui est sauvé par sa rapidité. Dans la fable latine de Romulus, et dans les deux de Neckam et de Baldo (Poésies inédites du moyen åge, par M. Éd. du Méril, p. 197 et 256), l'action est la même que dans Ysopet II : le Cheval ne peut vaincre le Cerf et pourtant demeure esclave de l'Homme.

De tout temps les chevaux ne sont nés pour les hommes.
Lorsque le genre humain de gland' se contentoit,
Ane, cheval, et mule, aux forêts habitoit *;

Et l'on ne voyoit point, comme au siècle où nous sommes,
Tant de selles et tant de båts",

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2. Ce vers, dont le sens est clair, mais la construction insolite et peu régulière, a été ainsi défiguré dans l'édition de 1679 (Amsterdam):

De tout temps les chevaux étant nés pour les hommes.

3. Presque tous les éditeurs modernes, y compris Walckenaer, donnent glands, au pluriel. Les éditions originales, ainsi que la petite édition de 1682, celle de la Haye 1688, et celle de Londres 1708, écrivent gland ou glan, au singulier; et c'est le singulier qu'il faut en effet. Ce mot est pris dans un sens collectif, et désigne ici la nature de l'aliment; c'est la même locution que : « se nourrir de pain, de viande, de poisson, etc. » Horace (livre I, satire III, vers 99 et suivants) a dit absolument de la même façon :

Quum prorepserunt primis animalia terris,

Mutum et turpe pecus, glandem atque cubilia propter....

:: Pugnabant..,.

4. Voyez, pour ce singulier, la fable iv de ce livre, vers 6.

5. Sur son exemplaire de la Fontaine, le poëte lyrique Lebrun avait écrit la note suivante, citée par Solvet dans ses Études sur la Fontaine (1re partie, p. 129): « Au lieu de ces deux derniers vers et des quatre suivants, qui sont peu dignes de la Fontaine, on pourroit mettre seulement :

Nul n'étoit asservi comme au siècle où nous sommes. » Si Lebrun s'était horné à dire : « Les vers de la Fontaine équivalent à

Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses;
Comme aussi ne voyoit-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or un Cheval eut alors différend

Avec un Cerf plein de vitesse;

Et ne pouvant l'attraper en courant,

Il eut recours à l'Homme, implora son adresse.
L'Homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,
Ne lui donna point de repos

Que le Cerf ne fut pris, et n'y laissàt la vie;

Et cela fait, le Cheval remercie

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L'Homme son bienfaiteur, disant : « Je suis à vous; Adieu : je m'en retourne en mon séjour sauvage. -Non pas cela, dit l'Homme'; il fait meilleur chez nous,

cette pensée, ils peuvent se traduire de cette façon, » l'observation se rait juste. Mais il est étrange qu'un poëte ait si mal compris la bonhomie satirique de notre fabuliste, et qu'il ait proposé sérieusement une correction qui altère à ce point le caractère du morceau.

6. Petites voitures légères, par opposition à carrosses, qui désigne des voitures plus grandes et plus lourdes. Le Manuscrit de SainteGeneviève porte chariots, au lieu de chaises.

7. Le Cerf est remplacé par un Sanglier chez Phèdre et dans le quatrain grec mis sous le nom de Gabrias (Coray, p. 208, et Nevelet, p. 366).

8. Bien-faiteur, en deux mots réunis par un trait d'union, dans l'édition de 1678. Celle de 1668 écrit bienfaiteur, en un seul mot.

9. Horace (vers 38) exprime par « un trait heureux et rapide, comme dit M. Soullié (p. 91), l'issue de l'aventure pour le Cerf :

Non equitem dorso, non frenum depulit ore.

Charles Fontaine traduit :

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Je vois trop quel est votre usage1o.
Demeurez donc; vous serez bien traité,
Et jusqu'au ventre en la litière 11. »
Hélas! que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté1??

13

Le Cheval s'aperçut qu'il avoit fait folie 13;

L'Homme ne voulut demonter,

Ains tint le Cheual tousiours serf.

Et Benserade (quatrain LII) :

L'Homme....

Lui met, pour le venger, et la selle et le frein :
Il eut toujours depuis et le frein et la selle.

10. De quel usage vous êtes et pouvez être.

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11. (L'Asne) feut frotté, dit Rabelais (livre V, chapitre vii, tome II, p. 198), torchonné, estrillé, lictiere fresche iusqu'au ventre, et plein ratelier de foing, pleine mangeoire d'auoine. » — . Dans la fable grecque de Nicéphore il est aussi question de l'étable, de la crèche : Ὁ δὲ Ιππος ἐπὶ φάτνης εἱστήκει, μετὰ χλόης καὶ τῆς πηγῆς προσαφαιρεθεὶς καὶ τὸ ἄνετον. « Le Cheval était là auprès de la crèche, ayant perdu, avec l'herbe verte et la fontaine (qu'il avait disputées au Cerf), son indépendance. »

12. Voyez ci-dessus, livre I, fable v, le Loup et le Chien (p. 73, note 8). 13. « Vous auez faict comme le Cheual, qui, pour se deffendre du Cerf, lequel il sentoit plus viste et vigoureux que luy, appella l'Homme à son secours ; mais l'Homme luy mit un mords en la bouche, le sella et sangla, puis monta dessus aueq bons esperons, et le mena à la chasse du Cerf, et par tout ailleurs, où bon luy sembla, sans vouloir descendre de dessus, ny luy oster la bride et la selle; et par ce moyen le rendit souple à la houssine et à l'esperon, pour s'en seruir à toute besongne, à la charge et à la charruë, comme le roy d'Espagne faict de vous. » (Satire Ménippée, harangue de Monsieur d'Aubray, p. 188 et 189.) Dans Horace (vers 39-41), l'affabulation a un caractère tout philosophique :

Sic qui, pauperiem veritus, potiore metallis

Libertate caret, dominum vehet improbus, atque
Serviet æternum, quia parvo nesciet uti.

Charles Fontaine termine de cette manière :

Ainsi est-il, eu fuyant pauureté ;

Qui cherche l'or trouue captiuité.

J. DE LA FONTAINE. I

21

Mais il n'étoit plus temps; déjà son écurie
Étoit prête et toute bâtie.

Il y mourut en traînant son lien :
Sage, s'il eût remis une légère offense1*.

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C'est l'acheter trop cher que l'acheter d'un bien
Sans qui les autres ne sont rien.

14. C'est l'idée contenue dans le vers 13 de Phèdre : Impune potius lædi quam dedi alteri.

Le Noble termine ainsi sa fable:

Son aveugle vengeance une fois assouvie
Lui coûta pour toujours sa chère liberté.

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