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Qui souvent s'engeigne soi-même*.

J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui :
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris,

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Un Rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connoissoit l'avent ni le carême,
Sur le bord d'un marais égayoit ses esprits'.

4. Voici la phrase de Merlin : « Ainsi aduient-il de plusieurs; car telz cuident engigner ung autre qui s'engignent eulx mesmes. » Elle se trouve au feuillet XLII, ligne 14, d'un petit volume in-4° gothique, intitulé : le Premier volume de Merlin (Bibliothèque nationale, Y3, 107). A la fin du volume se lit la mention suivante : « Cy fine la premiere partie du liure de Merlin nouuellement imprimé à Paris en la grant rue Sainct Iacques, à l'enseigne de la Rose blanche couronnée. » Ce premier volume ne porte point de date; mais le second, qui a pour titre : S'ensuyt le second volume de Merlin, qui parle de merueilleuses aduentures du monde. Et en la fin comment Liuianne l'enferma en une tour fermée de l'air où ledict Merlin est encore de present enfermé, se termine ainsi : « Et fut ledict liure de Merlin acheué d'imprimer le xx. iour de decembre mil cinq cens xxvIII. » M. Littré, qui cite aussi ce vieil axiome dans son Dictionnaire, renvoie à une autre édition, qu'il désigne ainsi : « Le premier volume de Merlin, qui est le premier de la Table ronde. »

5. Le manuscrit autographe mentionné par Walckenaer, et l'édition in-4° de 1668 portent: em-bon-point. Les éditions de 1668 in-12, de 1678 et de 1678 A, de 1679 (Amsterdam) et de 1688 portent ici: en-bon-point; pourtant, dans la fable v du livre I, au vers 12, l'édition de 1678, conforme en cela à l'édition in-4o de 1668, et au Recueil de poésies chrétiennes et diverses, écrit, en un seul mot, et selon l'orthographe moderne: embonpoint.

6. On lit dans la fable du Loup moraliste, attribuée à Voltaire (tome XIV des OEuvres, p. 310: voyez ci-dessus, p. 211, note 5): Mon fils, jeûnez plutôt l'avent et le carême

Que de sucer le sang des malheureux moutons.

7. C'est un début analogue à celui de la Batrachomyomachie (vers 9-11):

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<< Un jour, un rat altéré trempa dans un marais (il était tout près du

Une Grenouille approche, et lui dit en sa langue :

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Venez me voir chez moi; je vous ferai festin.

Messire Rat promit soudain :

Il n'étoit pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,

Cent raretés à voir le long du marécage :

Un jour il conteroit à ses petits-enfants

Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique

Aquatique.

Un point, sans plus 10, tenoit le galand empêché:
Il nageoit quelque peu, mais il falloit de l'aide.

La Grenouille à cela trouve un très-bon remède :
Le Rat fut à son pied par la patte attaché;

Un brin de jonc en fit l'affaire 11.

Dans le marais entrés, notre bonne commère
S'efforce de tirer son hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée;
Prétend qu'elle en fera gorge-chaude et curée 12;

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bord) son délicat petit menton, se régalant de l'eau, douce pour lui comme du miel. »

8. Voyez ce que M. Taine (p. 140) dit de l'invitation de la Grenouille et de la manière dont le Rat l'accepte.

9. « La Fontaine n'évite rien autant que d'être sec. Voilà pourquoi il ajoute ces six vers, qui sont charmants, quoiqu'il pût s'en dispenser après avoir dit :

Il n'étoit pas besoin de plus longue harangue. »

(CHAMFORT.)

10. Voyez la même locution ci-dessus, livre III, fable xvIII, vers 42.

II. La Fontaine montre d'où vient le lien, dit M. Taine (p. 243), et cette petite circonstance ramène notre pensée au bord du marécage. D

12. Gorge-chaude est un terme de fauconnerie (voyez Rabelais,

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C'étoit, à son avis, un excellent morceau.
Déjà dans son esprit la galande 13 le croque.
Il atteste les Dieux; la perfide s'en moque:
Il résiste; elle tire". En ce combat nouveau,
Un Milan, qui dans l'air planoit, faisoit la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et par même moyen

La Grenouille et le lien:

Tout en fut tant et si bien,

Que de cette double proie

L'oiseau se donne au cœur joie 15,

Ayant de cette façon

A souper chair et poisson 16.

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livre II, chapitre Iv, tome I, p. 211; et livre IV, chapitre XLVI, tome II, p. 116); curée, un terme de vénerie. Le premier désigne la part qu'on donne aux oiseaux de proie, le second celle qu'on donne aux chiens, sur le gibier qu'ils ont attrapé.

13. La galante, dans l'édition de 1729.

14. Il y a le même combat dans une des vieilles fables citées par Robert (Ysopet I, fos 4 et 5). Nous donnons le passage d'après une variante que Robert à mise en note:

Mais souuent se plunge la Raine,
Pour celle noier qu'elle maine.
Celle qui de noier se craint
Au miex que puet se contretient.
Quant l'une sache *, l'aultre tire.

15. Chez Marie de France le trompeur est la seule victime; l'Eschofles ou Milan mange la Grenouille, et la Souris échappe.

16. Les mots « chair et poisson » sont employés de même dans la fable du Renart et du Loup (Ysopet I, fos 54 et 55), donnée par Robert, au tome I, p. 267-270:

Sire Ysangrin le connestable
Iadis estoit, ce dict la fable,
A grant repos en sa maison,

Asses auoit char et poisson

Et pain et vin et aultre viande.

Sacher, dans le vieux langage, est synonyme de tirer; c'est comme s'il y

avait : « quand l'une tire, l'autre tire aussi, »

La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur;

Et souvent la perfidie

Retourne sur son auteur 17.

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17. C'est la même morale que dans l'ancienne fable du Renart et de la Segogne (Ysopet 1, fos 37 et 38), citée par Robert, tome I, P. 76-78:

Mais au tricheur qui sa foy ment
Faire doit on semblablement;
Sus celi qui fait tricherie,

Reuiengne barat et bordie (fraude et tromperie).

Lucrèce a dit aussi (livre V, vers 1151 et 1152):

Circumretit enim vis atque injuria quemque,

Atque, unde exorta est, ad eum plerumque revortit.

La fable grecque se termine par une énergique, mais toute différente, moralité : « Lors même qu'on est mort, on est puissant encore pour la vengeance; » Κἂν νεκρὸς ἢ τις, ἰσχύει πρὸς ἄμυναν.

FABLE XII.

TRIBUT ENVOYÉ PAR LES ANIMAUX A ALEXANDRE.

Gilberti Cognati Narrationum sylva, p. 98, de Jovis Ammonis oraculo. — Nous donnons à l'Appendice le conte de Cousin (c'est le nom traduit en latin par le mot Cognatus). Ce conte est probablement la source où notre poëte a pris cette fable. Nous avons d'autres preuves qu'il a connu ce compilateur du seizième siècle. Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique (tome XXIX des OEuvres, p. 301), juge sévèrement le sujet de cet apologue: « Le tribut des animaux envoyé au roi Alexandre est, dit-il, une fable qui, pour être ancienne, n'en est pas meilleure. Les animaux n'envoient point d'argent à un roi, et un lion ne s'avise pas de voler de l'argent. » Voyez ci-après, note 2, une autre critique de Chamfort.

Dans l'Alexandreis, poëme latin de la fin du douzième siècle, de Philippe Gautier de Châtillon, tous les peuples de l'occident, l'Espagne, la Gaule, les Teutons, etc., envoient des ambassadeurs à Babylone, pour rendre hommage à Alexandre avant sa mort:

Ut tamen ante diem extremum quem fata parabant
Omnia rex regum sibi subdita regna videret,

Fecit eum fama sonus et fortuna monarcham....
Oblatis igitur cursum flexura tyranni

Muneribus, toto peregrina cucurrit ab orbe
Ad mare descendens plenis legatio velis, etc.

(Livre X, vers 216 et suivants.)

- Dans i Romans d'Alixandre par Lambert li tors et Alexandre de Bernay, publié par M. Michelant (Stuttgart, 1846), et qui est aussi soit du douzième siècle, soit peut-être plutôt du treizième, les animaux partagent la terreur que l'invincible conquérant inspira aux humains. Ainsi nous voyons, dès sa naissance (p. 2, vers 1):

Et les bestes tranler (trembler) et les homes frerair;

et un peu plus loin (p. 3, vers 4), il est dit encore que a les bestes fremirent. » Un fait assez curieux qui établit une certaine connexion entre les anciens recueils d'apologues et l'histoire fabuleuse

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