Page images
PDF
EPUB

S'enfuit à cet objet nouveau ;

2

Le second approcha; le troisième osa faire

Un licou pour le Dromadaire3.

L'accoutumance ainsi nous rend tout familier*:
Ce qui nous paroissoit terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue

[ocr errors]

Quand ce vient à la continué ".

Et puisque nous voici tombés sur ce sujet,
On avoit mis des gens au guet,

Qui voyant sur les eaux de loin certain objet,

5

10

qui a deux bosses et à celle qui n'en a qu'une; le mot Dromadaire, qui est au vers 4, sert aujourd'hui à désigner cette dernière; mais il ne paraît pas qu'il s'employât ainsi au dix-septième siècle. Le Dictionnaire de Richelet (1680) et celui de l'Académie (1694) disent simplement, sans parler de bosse, que le dromadaire est « une espèce de chameau plus petit et plus vite que les chameaux ordinaires; » et Furetière (1690), contrairement à notre usage, appelle dromadaire le chameau à deux bosses; il ajoute toutefois que Perrault donne ce nom (comme nous faisons maintenant) au chameau à une bosse. Dromadaire est formé d'un mot latin du moyen âge qui veut dire, par son étymologie, « coureur, propre à la course. »

2. « Cette gradation, dit Nodier, rappelle celle que nous avons remarquée dans la fable iv du livre III (vers 18-20):

Elle approcha, mais en tremblant;

Une autre la suivit, etc. »

3. Pour un dromadaire, dans l'édition de 1678, qui corrige cette faute à l'Errata. — « Voyant, dit la fable grecque (no 118), la douceur de la bête, voyant qu'elle n'avait pas de bile, ils lui mirent une bride, et, comme traduit Haudent (fable 100),

L'ont baillé aux enfantz à duire (conduire).

4. Geruzez cite, au sujet de l'accoutumance, ce passage du Roman de la Rose (édition Méon, vers 7176 et 7177):

Mainte chose desplet nouele,

Qui par acoustumance est bele.

5. Transposition poétique. Le tour ordinaire est de dire : « Notre vue s'apprivoise avec les objets. »

6. A la longue, à force de faire, de voir, etc., sans interruption,

Ne purent s'empêcher de dire
Que c'étoit un puissant navire.

Quelques moments après, l'objet devint brûlot”,

Et puis nacelle, et puis ballot,

Enfin bâtons flottants sur l'onde.

[blocks in formation]

15

Dans Faërne, fable du Lion et

Quæ terribilia sunt ab insolentia (non-accoutumance),
Ea reddit adsuetudo blanda et mollia.

Dans la fable grecque du Chameau : Τὰ φοβερὰ τῶν πραγμάτων ἡ συνήθεια εὐκαταφρόνητα ποιεῖ. - La fable de Corrozet citée dans la notice contient les vers suivants, que la Fontaine a eus très-probablement sous les yeux :

S'appriuoiser est difficile;

Mais quand on a prins cognoissance,
L'amitié prend pleine croissance,
Et le hanter en est facile.

L'accoustumance en plusieurs lieux
Auec les grands nous appriuoise,
Lesquels n'osions pour peur de noise
Regarder entre les deux yeux.

7. Navire chargé de matières combustibles, destiné à mettre le feu à d'autres bâtiments, et qui ordinairement est de moyenne ou de petite dimension. Nous n'avons pas besoin de dire que c'est la dimension seule que le poëte a ici en vue; nous ne connaissons pas d'autre exemple du mot ainsi employé. — Dans la fable ésopique 110: oùzét! ναῦν, ἀλλὰ πλοῖον ἐδόκουν βλέπειν.

8. C'est le contraire de ce qui arrive réellement, dit Crapelet, reproduisant une critique de Richer (Préface de l'édition de 1729, p. 10), déjà répétée par l'abbé Guillon et par Nodier. Le plus grand navire, vu de loin, semble être moins qu'une nacelle, et il grandit à mesure qu'il approche du rivage. Le sens moral est vrai, mais le sens propre présente une idée fausse. » C'est la note qui est fausse, ou du moins inexacte. Il est très-vrai qu'un gros navire, vu de loin, paraît petit, quand on sait ou qu'on se figure que c'est un navire, et que l'œil croit mesurer la distance où il est placé. Mais il est également vrai qu'un objet relativement petit, dont nous ne connaissons pas la nature, dont nous ne mesurons pas la distance, prend à nos regards des proportions exagérées, quand surtout il se détache sur l'horizon, comme il arrive sur mer, ou au sommet d'une montagne,

[blocks in formation]

A qui ceci conviendroit bien :

De loin, c'est quelque chose; et de près, ce n'est rien ".

ou dans une vaste plaine. On nous a raconté qu'un jour, en Afrique, le maréchal Bugeaud et tout son état-major prirent pour une armée d'Arabes des chardons qui se balançaient dans la brume.

9. Ce vers est devenu proverbe. On en a rapproché le mot de Tacite (Annales, livre I, chapitre XLVII): Cui (majestati) major e longinquo reverentia. L'abbé Aubert commence ainsi la fable mentionnée ci-dessus dans la notice :

Pour bien juger des grands, il faut les approcher.

— « De bien des gens il n'y a que le nom qui vale quelque chose. Quand vous les voyez de fort près, c'est moins que rien; de loin, ils imposent. » (LA BRUYÈRE, du Mérite personnel, no 2, tome I, p. 151.)

J. DE LA FONTAINE, I

20

:

FABLE XI.

LA GRENOUILLE ET LE RAT.

Ésope, fab. 245, Műs zzì Báτpayos (Coray, p. 161 et 162, sous deux formes, dont la seconde est tirée de la Vie d'Ésope de Planude : voyez ci-après). Appendix fabularum æsopiarum, fab. 6, Mus et ana. Romulus, livre I, fab. 3, Mus et Rana. Neckam, fab. 6, de Mure et Rana. Marie de France, fab. 3, de la Soris è de la ReHaudent, re partie, fab. 114, d'une Grenoille, d'une Souris Corrozet, fab. 3, du Rat et de la Gre

-

noille.

et d'une Escoufle (Milan).

[blocks in formation]

Le Noble, fab. 98, du Vautour, du Rat et de la Grenouille.

Mythologia sopica Neveleti, p. 288.

Walckenaer, dans une note écrite de sa main, dit avoir vu un manuscrit autographe de la Grenouille et le Rat.

Dans la Vie d'Ésope par Planude (voyez ci-dessus, p. 52), le fabuliste, condamné à mort par les Delphiens, les menace, par le récit de cette fable, de la vengeance d'un plus puissant que lui. — La Batrachomyomachie commence par un conte semblable. L'origine de la guerre des Rats et des Grenouilles est la mort du Rat Psicharpax, qui, s'étant aventuré dans un étang sur le dos de la Grenouille Physignathe, est noyé par elle, parce qu'à la rencontre d'une hydre, elle se hâte de plonger, ne songeant qu'à sa propre sûreté. Dans les Contes et fables indiennes de Bidpaï et de Lokman (tome III, p. 8789), on lit un apologue qui, sans être identique avec celui d'Ésope, lui ressemble pourtant beaucoup. Il a été intercalé dans la traduction persane de Calila et Dimna, dont nous avons déjà parlé, et qui est intitulée Anvar-i-Suhaili : voyez l'Essai de Loiseleur Deslongchamps, p. 70 et 71. Dans cette fable orientale, il n'y a point ruse de la Grenouille. Elle a fait amitié avec le Rat, qui, pour avoir la facilité de l'appeler à son gré et d'être appelé par elle, lui a proposé de s'attacher réciproquement un fil à la patte. Un faucon enlève le Rat, et en même temps la Grenouille, qui a eu l'imprudence de se lier « avec quelqu'un qui n'étoit pas de son espèce. » Dans la fable ésopique, c'est, comme dans la fable indienne, uniquement par ami

tié, et pour ne point se séparer, que les deux animaux s'attachent l'un à l'autre avec un fil. Le récit, tel qu'il est fait dans la Vie d'Ésope (comme Planude la raconte en grec), et pareillement dans Marie de France, rappelle le Rat de ville et le Rat des champs : le Rat traite d'abord la Grenouille, et celle-ci l'emmène dans l'étang pour le traiter à son tour. Dans la fable de Haudent, la Grenouille et la Souris sont en guerre, et c'est pendant une bataille qu'elles se livrent que l'Escoufle (le Milan) les enlève toutes les deux.. Eustache Deschamps a traité ce sujet dans une ballade (édition Crapelet, p. 196–198), qui a pour refrain ce vers :

[ocr errors]

Qui legier (légèrement) croit, certes c'est grant folie.

M. Taine, dans le 1" chapitre de sa 3o partie, intitulée l'Art, compare la fable grecque avec la française, qu'il apprécie en détail, surtout au point de vue de l'action. Cette fable était représentée dans le Labyrinthe de Versailles; c'est le re quatrain de Benserade (le xix de l'édition de 1677).

--

Tel, comme dit Merlin', cuide' engeigner' autrui,

1. Le Merlin auquel on attribue la maxime est bien, comme on le verra dans la note 4, l'enchanteur fameux sous le nom duquel on a imprimé des prophéties. L'abbé Guillon voulait que ce fût le poëte macaronique Merlin Coccaïe (Théophile Folengo), chez qui il a trouvé aussi, pour confirmer sa conjecture, l'idée, au fond très-commune, il faut le dire, qu'expriment les deux premiers vers de la fable :

Vidimus experti quod quisquis fallere cercat
Deceptum tandem se cernit tempore quoquo.

(Macaronea x, p. 228, Venise, 1613.)

2. Pense, s'imagine, ancien verbe qui se retrouve encore dans outrecuidant.

3. Tromper, prendre au piége, vieux mot formé d'engin, ingenium, dans le sens d'invention, de ruse*. Dans la réimpression de 1692, sous la date de 1678, on a mis, ici et au vers suivant, enseigner, au lieu d'engeigner; c'est une faute d'impression, peut-être une erreur volontaire de l'imprimeur, qui ne connaissait pas cette forme archaïque.

Le mot engin se trouve deux fois en ce sens dans la fable de Marie de France sur le même sujet.

« PreviousContinue »