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FABLE IX.

LE GEAI1 PARÉ DES PLUMES DU PAON.

Ésope, fab. ror, Κολοιὸς καὶ Περιστεραί, Κολοιὸς καὶ Κόρακες (Coray, p. 57 et 58); fab. 188, Koλotòę zal "Opvets (Coray, p. 116-119, et p. 367, sous neuf formes, dont une est de Libanius, une de Tzetzès, une de Nicéphore Basilacas, etc.). Babrius, fab. 72, "Opvers zai Aphthonius, fab. 31, Fabula Graculi, vitandam docens Phèdre, livre I, fab. 3, Graculus superbus et Pavo. Neckam, fab. 12, de Pavone et Graculo et Avibus. livre II, fab. 16, Graculus superbus et Pavo. fab. 58, dou Corbel qui volt resanbler Poon3. — Haudent, ire partie,

Κολοιός.
esse fraudem.

Romulus,

Marie de France,

1. La Fontaine, en traduisant par Geai le Graculus de Phèdre, qui est plutôt l'espèce de corneille ou de corbeau qu'on appelle choucas (en grec κολοιός oυ κορακιάς), s'est conformé à une commune erreur des anciens dictionnaires (Nicot, 1606, dans le Nomenclator octilinguis, p. 15, donnait le choix entre chouette, geai et choucas). Ménage a relevé cette erreur au chapitre xxxviii de ses Aménités du droit civil, publiées en 1664 (quatre ans seulement avant nos fables). Le passage suivant de Martial (livre I, epigramme cxvi) ne peut laisser de doute sur la couleur noire du Graculus:

....

Quamdam (puellam) volo nocte nigriorem
Formica, pice, graculo, cicada.

Baïf, qui a traité ce sujet au livre Ier de ses Passetems (Paris, 1573, fos II et 12), ne s'y est pas trompé : il rend Graculus par Chucas. Babrius (vers 11) appelle son Koλotós a le vieux fils de la corneille, › γέρων κορώνης υἱός.

2. Toutes les éditions anciennes, jusqu'en 1688, écrivent PAN. L'édition de 1668 in-4° donne PÂN, avec un accent circonflexe (comparez la note 1 de la page 181). Dans le Manuscrit de SainteGeneviève, le titre est ainsi rédigé : « Le Geai qui s'est paré des plumes du Paon. »

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3. Robert (tome I, p. 248 et 249) indique cette fable 58, et en outre, en donne une autre de Marie de France, comme inédite. Il y joint un extrait de Regnart le Contrefait, et deux vieilles fables sous les noms d'Ysopet I et Ysopet II,

fab. 140, d'une Corneille; 2o partie, fab. 22, d'un Corbeau et des aultres Oyseaulx. Corrozet, fab. 29, du Geay et des Paons. Le Noble, fab. 89, du Corbeau déplumé. Le partisan ruiné.

Mythologia sopica Neveleti, p. 171, p. 243, p. 346, p. 369.
Cette fable est au Manuscrit de Sainte-Geneviève.

Parmi les fables grecques et latines, il n'y a que celle de Phèdre, et les imitations qui portent les noms de Romulus et de Neckam, dont le sujet soit le même que celui de la Fontaine. Le Geai (ou plutôt le Choucas, voyez la note 1) qu'Esope (no 101) introduit soit parmi les colombes, soit parmi les corbeaux, ne s'est point paré de plumes étrangères. Dans son autre fable (no 188), de même que dans celles de Babrius et d'Aphthonius, les oiseaux comparaissent devant Jupiter pour qu'il décerne à l'un d'eux soit la royauté, soit le prix de la beauté, et le Choucas, dans le vain espoir de tromper le dieu et d'avoir le dessus, se décore de tout ce qu'il trouve de belles plumes perdues par les autres. C'est le récit d'Aphthonius que Lessing préfère à tous les autres voyez ses Remarques sur Phèdre (tome XI des OEuvres, p. 105, édition Lachmann).

Haudent a

traité les deux sujets, celui de Phèdre, et celui du no 188 d'Ésope. - Il y a plusieurs fables orientales où figurent des oiseaux, et en particulier des corneilles, des corbeaux, des choucas, qui veulent changer de nature, ou se mêler à d'autres espèces : voyez M. Benfey, tome I, p. 347 et 348, p. 365, p. 601 et 602. On peut aussi rapprocher de notre fable la 101o de Babrius, où le Loup quitte ses semblables pour frayer avec les Lions. M. Wagener (p. 113 et 114) compare à cette dernière celle du Chakal nourri avec de jeunes Lions (Ive du livre IV du Pantschatantra), et M. Weber, dans ses Études indiennes (tome III, p. 349), le récit, plaisamment tourné, du Chakal qui se trouvant teint en bleu pour être tombé dans un tonneau d'indigo, et se voyant par suite admiré et redouté, se proclame roi des animaux, mais expie bientôt sa tromperie. Le Geai paré des plumes du Paon était représenté dans le Labyrinthe de Versailles; c'est le xxxe quatrain de Benserade (le vire de l'édition de 1677). Lessing (livre II, fable vi) a ingénieusement continué le récit : « Assez, » crie la Corneille aux Paons quand ils ont repris tout ce qui leur appartenait; mais les Paons, qui parmi ses propres plumes en ont remarqué quelques-unes plus brillantes que les autres, répondent : « Tais-toi, pauvre folle; en voilà encore qui ne peuvent être à toi ; » et ils continuent de la dépouiller. « C'est

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ce qui arrive, dit Chamfort, à tous les plagiaires. On finit par leur ôter même ce qui leur appartient. » Voyez la dernière note de la fable.

Un Paon muoit*: un Geai prit son plumage;

Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres Paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,

Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par Messieurs les Paons plumé d'étrange sorte;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui, Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui, l'on nomme plagiaires.

Et

que

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le

4. Chez Haudent (fable 140 de la re partie), ce n'est pas Paon, mais la Corneille qui mue. C'est parce qu'elle se voit toute pelée, » qu'elle recueille « les plumes d'aultres oyseaulx. » — Chez Marie de France, le Corbeau s'arrache toutes ses plumes pour les remplacer par celles du Paon.

5. Voyez ci-dessus, p. 182, note 6.

6. Horace (livre I, épitre ш, vers 18-20) applique la fable, comme ici la Fontaine, aux plagiaires :

-

Ne, si forte suas repetitum venerit olim

Grex avium plumas, moveat Cornicula risum
Furtivis nudata coloribus....

Lucien de même, dans son Apologie pour les salariés (Apologia pro mercede conductis), chapitre Iv, et dans son Pseudologista, chapitre v. - Tertullien, dans son livre Contre les Valentiniens (édition Rigault, Paris, 1634, in-fo, p. 295), fait aussi allusion, dans un sens analogue, au Koλotoç d'Esope (Graculum Esopi). Dans la première des fables ésopiques données par Coray, la moralité est plus générale: L'ambition, le désir d'avoir plus ou mieux, nous enlève souvent, meme ce qui est à nous : » Ἡ πλεονεξία ἀφαιρεῖται καὶ τὰ προσόντα πολλάκις. Plaute, remplaçant Geai et Paons par Ane et

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-

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.

Bœufs, dirige très-plaisamment l'allégorie contre les mésalliances (Aululaire, acte II, scène 11, vers 49-58):

Venit hoc mi, Megadore, in mentem, ted esse hominem divitem,
Factiosum; me item esse hominem pauperum pauperrimum.
Nunc si filiam locassim meam tibi, in mentem venit

Te bovem esse, et me asellum: ubi tecum conjunctus siem,
Ubi onus nequeam ferre pariter, jaceam ego asinus in luto;
Tu me bos magis haud respicias, gnatus quasi nunquam siem;
Et te utar iniquiore, et meus me ordo inrideat ;
Neutrubi habeam stabile stabulum, si quid divorti fuat;
Asini me mordicibus scindant, boves incursent cornibus.

Hoc magnum 'st periculum, me ab asinis ad boves transscendere. Le Noble tire de la fable une tout autre leçon, qu'il adresse aux financiers, aux traitants :

Gros douaniers, riches sangsues,

Quand après un destin dont l'éclat est si beau,

On vous revoit pieds plats tombés du haut des nues,
Voilà juste votre tableau.

– Benserade, qui consacre à ce sujet un second quatrain (le CLXXVII®), le termine par cette épigramme contre la beauté d'emprunt :

N'en est-il pas ainsi de la plupart des belles,
Lorsque vous leur ôtez tout ce qui n'est pas d'elles?

M. Saint-Marc Girardin, dans sa xvre leçon (tome II, p. 71), cite cette fable parmi ces satires de la vanité qui abondent chez notre poëte.

FABLE X.

LE CHAMEAU ET LES BÂTONS FLOTTANTS.

Ésope, fab. 110, 'Odonópot (Coray, p. 61); fab. 118, Káundos

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Mythologia sopica Neveleti, p. 74, p. 178, p. 183.

Cette fable est double. Elle réunit les deux apologues grecs mentionnés ci-dessus et mis l'un et l'autre en français par Haudent. Le premier, les Voyageurs, est, dit-on, parmi les fables attribuées à Ésope, une des neuf qu'on peut considérer comme authentiques (voyez M. Soullié, p. 62). Il fut, si nous en croyons Planude, la cause première de la mort du fabuliste voyez ci-dessus la Vie d'Ésope, p. 51 et 52. La fable 18 de Faërne, Leo et Vulpes, développe la même idée que l'apologue du Chameau. L'abbé Guillon considère comme une autre variante la fable 19 du livre III de l'abbé Aubert, le Chat et le Coq d'un clocher; et M. Saint-Marc Girardin, qui, dans sa xvie leçon (tome II, p. 71), met encore cette fable parmi les satires de la vanité, rapproche, dans sa xxie (tome II, p. 273), de la moralité de la Fontaine celle de la fable des Échasses de Richer (xe du livre II, Paris, 1744):

Nous admirons ainsi de loin maint grand seigneur,

Qui de près n'est qu'un nain monté sur des échasses.

« Le trait est vif, ajoute-t-il, et tout à fait d'un frondeur. J'aime mieux cependant la moralité des Batons flottants de la Fontaine :

J'en sais beaucoup, etc.

La Fontaine n'applique sa moralité à personne, mais à tout le monde. Il en sait beaucoup à qui elle peut convenir; il ne fait la part d'aucune classe ou d'aucun ordre. »

Le premier qui vit un Chameau 1

1. Chameau est le terme générique s'appliquant à la fois à l'espèce

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