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Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie*,
Ont le don d'agréer infus avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'Ane de la fable,
Qui pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
« Comment? disoit-il en son âme,
Ce Chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec Monsieur, avec Madame;
Et j'aurai des coups de baton"?
Que fait-il ? il donne la patte;
Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,

4.

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Pauci, quos æquus amavit

Jupiter.... (VIRGILE, Énéide, livre VI, vers 129.)

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5. Dans les fables latines, l'Ane s'arrête assez longuement à vanter ses mérites et à déprécier le Chien. Dans Ysopet II, on lit ce mélancolique résumé, où il est question, comme ici, de Monsieur et de Madame :

Il s'apensa que il n'auoit,

Fors tourment, de ce qu'il faisoit ;

Et le Chien ert (était) si aise

Pour la ioie que il menoit,

Et

pour l'amour que il monstroit

A son maistre et à sa maistresse.

Chez Marie de France, le pauvre Baudet dit fort plaisamment

(vers 14-18):

Melx saureit-il à son Sengnor

loer ke li Chienés petiz,

Et melx seret oïs ses criz;

Miex le saureit des piez ferir,

Et miauz saureit sus li sailir.

6. Que fait-il donc, dans le texte de Walckenaer (1827).

7. Il est de même question des baisers dans le morceau de Galien

(xatspλouv), et dans Ysopet I:

Le Chienet au Seigneur plaisoit

Si qu'aucune fois le besoit.

Cela n'est pas bien malaisé. »

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne toute usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie'.

« Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-båton 10! »

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8. Telle est l'orthographe du mot dans toutes les éditions anciennes. Presque tous les éditeurs modernes ont écrit: tout usée, conformément à l'orthographe adoptée maintenant.

9. Dans la fable de Neckam (vers 8):

Intrantis Domini colla ferit pedibus,

Horrendumque rudens (et le braire horrible) sua crura ferentis
Ceu subito tonitru reddidit attonitum.

- Dans l'Appendice des fables ésopiques (vers 15-18):

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- Chez Galien, l'Ane se contente de sauter sur le lit, où son maître, alors à table, est couché avec le petit Chien.

10. Cette expression est empruntée à Rabelais (livre III, chapitre XII, tome I, p. 406): « Martin baston en fera l'office. > M. Littré, dans son Dictionnaire, la définit ainsi : « Homme armé d'un bâton, et, par extension, le bâton personnifié. » Voyez le Lexique. Ailleurs la Fontaine a dit simplement Martin (livre V, fable xxi, vers 7 et 9):

Martin fit alors son office.

Ceux qui ne savoient pas la ruse et la malice

S'étonnoient de voir que Martin

Chassât les lions au moulin.

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Martin-baton accourt11: l'Ane change de ton.

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11. Benserade (quatrain xv) termine par ces mots :

La riposte fut prompte et faite à coups de gaule.

Dans la fable grecque (212), l'Ane est conduit, à coups de bâton, au moulin (xpòs tòv μvλõva), comme dans la fable xxı du livre V, que nous venons de citer.

12. « Jolie fable, dit Chamfort, parfaitement écrite d'un bout à l'autre. La seule négligence qu'on puisse lui reprocher est la rime toute usée, qui rime très-mal avec pensée (vers 20 et 22). »

FABLE VI.

LE COMBAT DES RATS ET DES BELETTES.

Ésope, fab. 243, Μύες καὶ Γαλαί, Γαλαῖ καὶ Μύες (Coray, p. 159 et 160, p. 382-384, sous cinq formes). — Babrius, fab. 31, ľaλzï Phèdre, livre IV, fab. 6, Pugna Murium et Muste

καὶ Μύες. larum.

-

Mythologia sopica Neveleti, p. 217, p. 285, p. 431.

Il y a une autre fable d'Ésope (no 154, Aλtɛús, Coray, p. 93 et p. 348) mise en vers grecs par Babrius (no 4, 'Aλtɛùs xal 'Ix00s), et en quatrain par Benserade (no ccm), dont la morale est à peu près la même que celle du Combat des Rats et des Belettes: les petits poissons se sauvent par les trous du filet, et les gros sont pris. – On peut encore, pour l'affabulation, rapprocher de cette fable, celle des Oies et des Grues (Xives xaì l'épavot, no 60, Coray, p. 36 et p. 312): les Grues légères (ce sont les pauvres) échappent aux chasseurs; les Oies trop lourdes (les riches) ne le peuvent.

La nation des Belettes,

Non plus que celle des Chats,
Ne veut aucun bien aux Rats;
Et sans les portes étrétes'
De leurs habitations,
L'animal à longue échine'
En feroit, je m'imagine,
De grandes destructions.
Or une certaine année
Qu'il en étoit à foison,

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I. Voyez ci-dessus, livre III, fable viii, vers 6. L'édition de 1679 (Amsterdam) porte étroites.

2. C'est, en d'autres termes, la même image qu'au premier vers de la fable xvii du livre III:

Damoiselle Belette, au corps long et flouet.

Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les Belettes, de leur part,
Déployèrent l'étendard.
Si l'on croit la renommée,
La victoire balança :
Plus d'un guéret s'engraissa
Du sang de plus d'une bande.
Mais la perte la plus grande
Tomba presque en tous endroits'
Sur le peuple souriquois*.
Sa déroute fut entière,
Quoi que put faire Artarpax,
Psicarpax, Méridarpax,
Qui, tout couverts de poussière,
Soutinrent assez longtemps
Les efforts des combattants.
Leur résistance fut vaine;
Il fallut céder au sort:

Chacun s'enfuit au plus fort",

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3. La locution en tous endroits, se trouve dans Rabelais, de même que les mots plumail (vers 37) et jonchée (vers 47). Voyez le Lexique. 4. Mot de l'invention de notre poëte. Il l'a employé de nouveau au vers 33 de la fable vir du livre XII.

5. Artarpax, voleur de pain; Psicarpax, ou plutôt Psicharpax, voleur de miettes; Méridarpax, voleur de parcelles ou de morceaux noms formes de ἁρπάζω, voler, et de ἄρτος, pain, ψίξ (génitif ψιχός), miette, paple (génitif peploos), parcelle. Les deux derniers sont empruntés, l'un au vers 24, l'autre aux vers 265 et 277 de la Batrachomyomachie, ou Combat des Grenouilles et des Rats, poëme héroï-comique qu'on a souvent, dans l'antiquité et dans les temps modernes, attribué à Homère, mais à tort sans aucun doute. Il y a aussi dans ce poëme des noms formés, comme ici Artarpax, d'aptos, pain. Ainsi Artophage (Aptopáɣos), « mangeur de pain (vers 213); Troxartè (Towkápins), « rongeur de pain » (vers 28); Artépibule ('Apten(6ovλos), « qui guette le pain » (vers 264). Ce dernier est le père de Méridarpax. 6. Au plus vite.

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