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Quelqu'un auroit-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets",

Dont ses rugissements ne le purent défaire".
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage ".
Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage 3.

IO

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la fable par cette moralité (vers 66-68), qu'il met dans la bouche du Lion délivré par le Rat :

Et le Lyon de s'en aller fut prompt,

Disant en soy: « Nul plaisir, en effet,

Ne se perd point, quelque part où soit fait. >>

5. Les éditions de 1668 et celle de I729 donnent : « Le Lion; et ensuite cette dernière : « dans les rets. p

6. Dans la fable latine de Neckam :

7.

Quem (laqueum) quum non posset nec vi superare, nec arte,
Rugitu cæpit non modico furere.

Lors sire Rat va commencer à mordre

Ce gros

lien : vray est qu'il y songea

Assez long temps, mais il le vous rongea

Souuent, et tant, qu'à la parfin tout rompt.

(MAROT, vers 62-65.)

- Le Rat de Boursault s'y prend comme celui de la Fontaine :

Il s'attache avec soin à ronger une corde
Qui de tout l'attirail est le nœud gordien.

8. On a critiqué cette maxime comme étant une seconde morale étrangère au sujet. Mais l'auteur, croyons-nous, n'en a point voulu faire une nouvelle affabulation. C'est simplement une de ces réflexions pratiques, comme il en sème tant dans ses fables, dans le courant même du récit, une réflexion qui ne se rapporte qu'à ce qui précède immédiatement. Aussi dans les éditions originales n'est-elle point séparée de la fable par un blanc, comme le sont souvent (non pas toujours, j'en conviens) les moralités : voyez l'édition de 1668 in-4o, p. 62, p. 114, p. 141, etc.; l'édition de 1678 (que nous suivons), p. 74, p. 88, p. 93, etc.

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Fable XII. Ésope, fab. 41, Múpun xat Heptotepά (Coray, p. 26 et 27, p. 300). Haudent, 1re partie, fab. 171, d'un Fourmy et d'une Colombe. Corrozet, fab. 62, de la Formis et la Colombe. Boursault, Ésope à la cour, acte IV, scène П. — Nous donnons dans l'Appendice une fable sur le même sujet, extraite d'un recueil de 1694-1695 (Amsterdam, Daniel de la Feuille), et qui par son caractère politique et satirique nous paraît curieuse à rapprocher de celle de la Fontaine. Mythologia æsopica Neveleti, p. 123.

:

« Vous voyez bien qu'en dépit des noms.... il n'y a là que des hommes,» dit M. Saint-Marc Girardin, dans sa xive leçon, intitulée le Tableau de la vie humaine dans les fables de la Fontaine (tome II, p. 5). «Il est donc tout naturel que cette comédie humaine nous amuse. J'ajoute que, dans cette comédie, l'homme n'est pas toujours représenté en mal.... Il y a autre chose que le mal icibas: il y a de bonnes âmes et de bons sentiments. Il y a donc aussi de bonnes et douces bêtes parmi les acteurs de la Fontaine : il y a le Rat qui délivre le Lion du filet où il s'était laissé prendre; il y a la Colombe qui sauve la Fourmi qui allait se noyer, en lui jetant un brin d'herbe. »

L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits.

Le long d'un clair ruisseau buvoit une Colombe,
Quand sur l'eau se penchant une Fourmis1 y tombe,
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.

La Colombe aussitôt usa de charité :

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1. Dans le titre de cette fable, la Fontaine a écrit Fourmy; mais partout ailleurs, dans le courant du récit, même au vers 15, où rien ne l'y obligeait, ni la rime, ni le besoin d'éviter l'hiatus, il a écrit Fourmis telle est du moins la leçon donnée par les deux éditions de 1668, in-4o et in-12, et par celle de 1678. L'édition de 1678 A n'a Fourmis qu'à la rime, au vers 4; ailleurs, même aux deux vers où le mot est suivi d'une voyelle, elle porte Fourmy. Le texte de 1729 a également Fourmy dans les vers 8 et 15. On remarquera que dans le titre de Corrozet il y a aussi Formis. Cette s était, dans notre vieille langue, la lettre caractéristique du cas direct; mais, du temps de la Fontaine, l'usage s'en était perdu (voyez le Lexique); c'est par licence de versification qu'il termine ainsi le mot.

2

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la Fourmis arrive.
Elle se sauve; et là-dessus

3

Passe un certain croquant 3 qui marchoit les pieds nus*. to Ce croquant, par hasard, avoit une arbalète.

Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus",

Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La Fourmis le pique au talon.

Le vilain retourne la tête :

La Colombe l'entend, part, et tire de long.
Le soupé du croquant avec elle s'envole:
Point de Pigeon pour une obole".

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2. « Promontoire et (quatre vers) plus haut océan. La petitesse de l'insecte agrandit les objets qui l'entourent. Le rapport est exact. C'est ainsi que le jeune Rat de la fable 1x du livre VIII s'écrie à la vue des moindres taupinées :

Voilà les Apennins, et voici le Caucase. » (GERUZEZ.)

3. Villageois et vilain, qui viennent quelques vers plus loin, expliquent assez le sens général de ce mot, auquel il s'attache toujours une idée de mépris voyez le Lexique.

4. Boursault a soin de dire aussi, en vue de la suite,

Un manant à pieds nus...,

circonstance que les fabulistes anciens n'avaient pas besoin de mentionner.

5. La colombe était, comme l'on sait, consacrée à Vénus. Cythereiadasque columbas, dit Ovide, au livre XV des Métamorphoses, vers 386.

6. Tirer de long, s'enfuir, comme l'explique Furetière (1690). Nicot, Richelet (1680) et l'Académie (1694) omettent ce sens. Dans Rabelais (livre IV, chapitre LXVI, tome II, p. 167), nous trouvons tirer vie de long (vie du latin via), locution que le Duchat explique par passer chemin, tirer outre.

7. Pas le moindre morceau de pigeon, pas même ce qu'on en pourrait avoir pour une obole.

FABLE XIII.

L'astrologue quI SE LAISSE TOMBER DANS UN PUITs.

Ésope, fab. 40, Mávtis; fab. 166, 'Astpoλóyos (Coray, p. 26, p. 100 et 101, p. 299 et 300, p. 354 et 355). — Faërne, fab. 73, Astrologus. -Corrozet, fab. 88, d'aucun Deuin ou Prophete.— Dans Sadi (Gulistan ou le Parterre de roses, traduit par Ch. Defrémery, Paris, 1858, chapitre Iv, p. 213), l'Astrologue ne tombe pas dans un puits, mais en rentrant chez lui il trouve un étranger qui courtise sa femme; ailleurs, pendant qu'il consulte les astres, sa maison est consumée par le feu. — Benserade, à qui ce sujet a fourni deux quatrains (CXLIV et CLXXII), termine l'un par une morale analogue à celle de Sadi: « Pendant que vous pénétrez l'avenir,

Les voleurs sont chez vous, qui ne vous laissent rien; »

et l'autre par celle-ci :

Tel donne des leçons sur la bonne conduite,

Qui s'égare lui-même, et bronche à tout moment.

L'Astrologue qui tombe soit dans un puits, soit dans une fosse, est le sage Thalès en personne, dans le Theatète de Platon (voyez la traduction de Victor Cousin, tome II, p. 128); et dans Diogène de Laerte (Fie de Thalis, § VIII). A ces deux sources anciennes Robert, dans son introduction (p. CLXXXIV et CLXXXV), ajoute la traduction d'un petit traité de Pétrarque, faite par G. Tardif, sous le titre de Faceties des nobles hommes; et M. Soullié (p. 213 et 214) plusieurs recueils de facéties du seizième et du dix-septième siècle.

Mythologia sopica Neveleti, p. 122, p. 226, p. 366.

« Quelquefois un apologue n'est pour la Fontaine que l'occasion ou le prétexte de combattre un préjugé, et de disserter sur les sujets les plus élevés et du plus grand intérêt pour le bonheur de l'homme. ainsi la fable de l'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits est racontée par lui en quatre vers, tandis que les réflexions qu'elle lui suggère en ont quarante-quatre, également remarquables par la justesse et la profondeur des pensées et par des traits de la plus haute

poésie. (WALCKENAER, Histoire de la Fontaine, livre III, tome I, p. 302 et 303.) - Voltaire ne trouve pas un seul mot d'admiration pour ce magnifique développement, et ne s'arrêtant qu'au prétexte, au quatrain, il le range dédaigneusement parini les fables « mal choisies: » voyez ci-après la note 2.

Un Astrologue1 un jour se laissa choir

Au fond d'un puits. On lui dit : « Pauvre bête2,
Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête3? »

1. Astrologue était encore quelquefois, au dix-septième siècle, synonyme d'astronome. Mme de Sévigné, dans une lettre à Pompone, du 17 décembre 1664 (tome I, p. 470), appelle « grand astrologue » le mathématicien, ami de Gassendi, Mathurin de Neuré. Mais les mots : « lire au-dessus de ta tête, » quoi qu'en dise Voltaire (voyez la note 2), et surtout la moralité qui suit la fable, montrent que c'est bien d'un astrologue, au sens où nous prenons le mot, que la Fontaine veut parler.

2. La Fontaine revient tout à la fin (vers 46-48) sur cette morale directe de l'apologue. Les mots :

-

« Pauvre bête....

Penses-tu lire au-dessus de ta tête? »

choquent particulièrement Voltaire. Mettant à la chose un sérieux qui eût fort étonné le bonhomme, et s'en prenant à lui du sens même de ce modeste quatrain, sens emprunté aux anciens, à la sagesse des nations, et fort raisonnable assurément quand on veut le bien entendre, il croit devoir nous dire dans son Dictionnaire philosophique (tome XXIX des OEuvres, p. 300 et 301): « Copernic, Galilée, Cassini, Halley ont très-bien lu au-dessus de leur tête; et le meilleur des astronomes peut se laisser tomber sans être une pauvre · bête. » Puis il ajoute, avec une évidence non moins superflue: « L'astrologie judiciaire est, à la vérité, une charlatanerie trèsridicule; mais ce ridicule ne consistait pas à regarder le ciel; il consistait à croire, ou à vouloir faire croire qu'on y lit ce qu'on n'y lit point. >>

3.

Excitus accessit putei vicinus ad oras,

Salsus homo, et : « Quænam hæc tua tam præpostera, dixit,

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