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FABLE X.

L'ANE CHARGÉ D'ÉPONGES, ET L'ANE CHARGÉ de sel.

Esope, fab. 254, "Ovos (Coray, p. 166 et 167; comparez p. 388, Μικρέμπορος καὶ Ὀνάριον). — Babrius, fab. III, Ὄνος ἅλας φέρων. Faërne, fab. 6, Asini duo.

Mythologia sopica Neveleti, p. 295, p. 373.

Dans la fable de Faërne, il y a deux ânes, comme dans celle de la Fontaine; dans les fables grecques, il n'y a qu'un âne ou qu'un mulet chargé successivement de sel et d'éponges. Montaigne (Essais, livre II, chapitre XII, tome II, p. 210) rapporte en ces termes, comme preuve de l'industrie des animaux, la même histoire, en y faisant, d'après Plutarque (de l'Industrie des animaux, chapitre xv), intervenir Thalès « De subtilité malicieuse, en est il une plus expresse que celle du mulet du philosophe Thales? lequel, passant au trauers d'une riuiere, chargé de sel, et, de fortune, y estant brunché, si que les sacs qu'il portoit en feurent touts mouillez, s'estant apperceu que le sel, fondu par ce moyen, luy auoit rendu sa charge plus legiere, ne failloit iamais, aussitost qu'il rencontroit quelque ruisseau, de se plonger dedans auecques sa charge; iusques à ce que son maistre, descouurant sa malice, ordonna qu'on le chargeast de laine (et d'éponges, ajoute Plutarque); à quoy, se trouuant mesconté, cessa de plus user de cette finesse. » Voyez aussi Élien, de la Nature des animaux, livre VII, chapitre XLII.

Un Anier, son sceptre1 à la main,
Menoit, en empereur romain,

Deux Coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchoit comme un courrier;

1. Comme dit ailleurs notre poëte, dans un passage que Geruzez cite à propos :

....

Que coûte-t-il d'appeler

Les choses par noms honorables?

(Livre XII, fable xxiv, vers 7 et 8.)

Et l'autre, se faisant prier,

Portoit, comme on dit, les bouteilles 2: Sa charge étoit de sel. Nos gaillards pèlerins, Par monts, par vaux, et par chemins, Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,

Et fort empêchés se trouvèrent.

L'Anier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,
Sur l'Ane à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,
Qui voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa;
Car au bout de quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien

Que le Baudet ne sentit rien

Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier3 prit exemple sur lui,

Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon Ane à l'eau; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur et l'éponge.

Tous trois burent d'autant : l'Anier et le Grison

Firent à l'éponge raison.

Celle-ci devint si pesante,

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2. Expression proverbiale : marchait lentement, comme on marche quand on craint de casser ce qu'on porte. Voyez M. Taine, p. 301.

3. « Mot créé par la Fontaine, mais employé si heureusement qu'on croirait qu'il existait avant lui. » (CHAMFORT.) — De même Plutarque, à l'endroit mentionné ci-dessus, se sert d'un mot unique pour désigner les mulets porte-sel : τῶν ἁληγῶν ἡμιόνων εἷς.

4. Allusion aux moutons de Panurge; voyez Rabelais, livre IV, chapitre VIII, tome II, p. 19.

5. « On dit boire d'autant, pour dire boire beaucoup. Cette façon de parler est du style familier. » (Dictionnaire de l'Académie, 1694.) Voyez le Lexique. - Faërne (vers 10) dit de même des éponges:

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Et de tant d'eau s'emplit d'abord,

Que l'Ane succombant ne put gagner le bord.
L'Anier l'embrassoit, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte ".
J'en voulois venir à ce point.

6. C'est la morale de Faërne (vers 12):

Non una agendi ratio cunctis congruit.

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FABLES XI ET XII'.

LE LION ET LE RAT.

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LA COLOMBE ET LA FOURMI.

Fable XI. Ésope, fab. 217, Aéwv zaì Mus (Coray, p. 140, p. 373). Babrius, fab. 107, même titre. Abstemius, fab. 52, de Leone et Mure (le commencement seul se rapporte au sujet de cette fable). Appendix fabularum æsopiarum, fab. 4, Leo et Mus. Romulus, livre I, fab. 17, Leo et Mus. Marie de France, fab. 17, d'une Soris qui defoula un Lion. Haudent, ire partie, fab. 125, d'un Lyon et d'une Souris; 2o partie, fab. 111, d'un Lyon et d'un Rat. Corrozet, fab. 14, du Lion et du Rat. Marot, Épitre à son amy Lyon Jamet (Lyon, 1597, p. 159-162). — Boursault, Ésope à la cour, acte III, scène 1. Les Poésies inédites du moyen áge de M. Édélestand du Méril contiennent aussi deux fois ce sujet (Neckam, p. 210, et Baldo, p. 254). — Ch. Nodier, dans son édition des Fables de la Fontaine, a tort de croire que notre poëte a imité la fable 4, mentionnée par nous ci-dessus, de l'Appendice de Gudius. Les quatre premières fables de cet Appendice ont été publiées par Burmann en 1698, c'est-à-dire trois ans après la mort de la Fontaine : voyez le Phèdre de la collection Lemaire, tome I, p. 65 et 79.

Mythologia sopica Neveleti, p. 265, p. 499, p. 556.

On lit dans le Pantschatantra (tome II de M. Benfey, p. 208-210; et traduction de Dubois, p. 42-45) une fable qui a une grande affinité avec celle-ci. Un éléphant y est délivré par une foule de rats qu'il a autrefois secourus. Au sujet de cette fable orientale, que M. Weber (Études indiennes, tome III, p. 347 et 348) croit postérieure à la fable grecque, voyez l'intéressante dissertation de M. Benfey, qui laisse la question indécise (tome I, p. 324-329, Introduction au Pantschatantra). Voyez en outre la comparaison que M. Saint-Marc

1. Les fables XI et XII sont ainsi réunies dans les éditions originales, comme les fables xv et xvi du livre I.

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Girardin, dans sa vine leçon (tome I, p. 248-253), fait de la fable de la Fontaine avec celle de Marot, bien plus développée. C'est à cette dernière qu'il donne la supériorité; le récit de la Fontaine lui paraît, en comparaison, sec et froid; il l'est en effet, plus même peutêtre que la fable ésopique. Marot était en prison au Châtelet lorsqu'il adressa, en 1525, cette épître, qui ne contient autre chose que la fable, à son ami Lyon Jamet; il demande à cet ami de lui venir en aide pour le délivrer, espérant bien qu'il pourra quelque jour lui rendre service à son tour, tout faible qu'il est, comme le Rat autrefois fit au Lion. On trouvera cette épître à l'Appendice du tome I. - Voyez encore la fin de l'argument de la fable XII.

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi2.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un Lion

Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il étoit, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu*.

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2. On lit de même dans la seconde des vieilles fables (Ysopet II) que Robert rapproche de celle-ci (tome I, p. 135):

Por ce poez sauoir

Que grant mestier auoir

Puet bien le foible au fort.

3. « A cette occasion, » dans l'édition d'Amsterdam 1679.

4. Dans la première des vieilles fables (Ysopet I) rapportées par Robert (p. 131-133):

La bonté qu'il fist auant hier
A la Souris n'est pas perdue;

et plus loin, d'une manière générale :

Bonté ne puet estre perdue.

- Marot, dans l'épître à Lyon Jamet, mentionnée ci-dessus, termine

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