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FABLE VIII.

L'AIGLE ET L'ESCARBOT.

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Voyez

Ésope, fab. 2, 'Acròs xal Káv@apos (Coray, p. 2-4). Haudent, 2o partie, fab. 2, d'un Lieure, d'un Aigle et d'un Escarbot. encore deux autres sources, toutes deux du seizième siècle, l'une italienne, l'autre française, indiquées par Loiseleur Deslongchamps (Essai sur les fables indiennes, p. 69).

Mythologia sopica Neveleti, p. 85, et p. 78 et 79 (Æsopi fabulatoris vita a Maximo Planude conscripta).

C'est une des fables d'Ésope, qui passent, quant au fond, pour authentiques, une de celles qu'avant d'être mis à mort il raconta en vain aux Delphiens, si nous en croyons Planude voyez, cidessus, la fin de la Vie d'Ésope, p. 53. Aristophane y fait allusion par trois fois, dans les Guépes (vers 1469-1472), dans Lysistrate (vers 692 et 693), et en ces termes aux vers 129 et suivants de la Paix, comédie, dit Robert (tome I, p. LIII), dont « l'Aigle et l'Escarbot semble même lui avoir fourni la première idée. »

Ἐν τοῖσιν Αἰσώπου λόγοις ἐξηυρέθη
Μόνος πετεινῶν εἰς θεοὺς ἀφιγμένος....
Ἦλθεν κατ' ἔχθραν ἀετοῦ πάλαι ποτέ,
Ωὰ 'κκυλίνδων, κἀντιτιμωρούμενος.

« On trouve dans les fables d'Ésope que l'Escarbot est le seul des
oiseaux qui soit allé chez les Dieux.... Il y alla jadis, il y a bien
longtemps, lors de sa querelle avec l'Aigle, dont il fit rouler les œufs
à bas pour se venger. » — ·Coray (p. 4) rapporte la fable telle qu'elle
est racontée par le scoliaste d'Aristophane à l'occasion des vers que
nous venons de citer : dans cette version, ce n'est pas le Lapin, mais
ses propres petits, enlevés par l'Aigle, que l'Escarbot veut venger.
Lucien fait aussi allusion à cette fable dans l'Icaroménippe (
(cha-
pitre x); Suidas la mentionne également, ainsi qu'Eustathe dans son
commentaire sur le vers 317 du dernier livre de l'Iliade. Érasme
explique dans ses Proverbes (col. 1838 et 1839, Genève, 1606), et
Gessner, d'après lui, dans son Histoire des animaux (livre II, p. 172,

Francfort, 1617), la locution xáv0xpos detov paletar, « l'escarbot cherche l'aigle, » ou mieux, selon le passage de Lysistrate que nous avons indiqué, patɛúɛtat, « le fait accoucher, » fait éclore ses œufs (en les brisant). Voyez la savante dissertation de M. Benfey (tome I, p. 170 et 171) sur l'affinité qu'ont entre elles les fables diverses dont l'action est une vengeance exercée sur des petits ou des œufs d'animaux, « vengeance, nous dit le savant indianiste, qui, dans l'apologue d'Ésope, est accomplie d'une façon si humoristique (auf so humoristische Weise) par l'Escarbot. » Quant à la réunion, dans une même fable, de l'Escarbot avec l'Aigle et Jupiter, voyez ci-après la note 8.

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L'Aigle donnoit la chasse à maître Jean Lapin,
Qui droit à son terrier s'enfuyoit au plus vite.
Le trou de l'Escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte

Étoit sur; mais où mieux? Jean Lapin s'y blottit'.
L'Aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,

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1. Comment un lapin peut-il se blottir dans le trou d'un escarbot? La Fontaine a prévu l'objection :

Je laisse à penser si ce gîte

Étoit sûr; mais où mieux?...

Mieux eût valu, croyons-nous, se contenter de dire, comme Ésope: • le Lapin se réfugia vers le trou de l'Escarbot, » πρὸς κοίτην Κανθάρου zatéquys, afin de le prier d'intercéder pour lui, comme l'insecte le fait en effet. C'est évidemment la traduction latine qui a trompé notre fabuliste; dans Nevelet le grec est ainsi rendu : in (au lieu de ad) lustrum Scarabaei profugit, « se réfugia dans le gîte de l'Escarbot. » M. Walckenaer, qui, dans son Histoire de la Fontaine (tome I, p. 305), a deviné que l'absurdité dont il s'agit devait être « le résultat de quelque ancien contre-sens, » comme celui que nous venons d'indiquer, fait remarquer en note que Chauveau, dans la figure qui accompagne cette fable (édition de 1668, in-4o, p. 63), a représenté « un scarabée presque aussi gros qu'un lapin, afin de mettre sa figure d'accord avec le texte. » L'Aigle et l'Escarbot était une des fables du Labyrinthe de Versailles. Dans les gravures jointes au quatrain de Benserade (xxixe de l'édition de 1677; cxne de 1678), l'insecte, de même, n'est guère plus petit que le lapin.

L'Escarbot intercède, et dit :

« Princesse des oiseaux, il vous est fort facile
D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux;
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie;
Et puisque Jean Lapin vous demande la vie,
Donnez-la-lui, de grâce, ou l'ôtez à tous deux :

C'est mon voisin, c'est mon compère 2. »
L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l'aile l'Escarbot",

L'étourdit, l'oblige à se taire,

Enlève Jean Lapin. L'Escarbot indigné

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Vole au nid de l'oiseau*, fracasse, en son absence,
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance 5:
Pas un seul ne fut épargné.

L'Aigle étant de retour, et voyant ce ménage,
Remplit le ciel de cris; et pour comble de rage,
Ne sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert.

2. Benserade qualifie de même l'Escarbot:

L'Aigle prit le Lapin; l'Escarbot son compère
Intercéda pour lui....

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3. C'est un trait emprunté à Esope : Τῇ πτέρυγι ῥαπίσας τὸν Κάνθαρον. 4. Dans l'emblème CLXVIII d'Alciat, l'Escarbot se fait transporter dans le nid de l'Aigle, par l'Aigle lui-même, en se cachant dans ses plumes :

Nam plumis Aquila clam se neque cognitus abdit,
Hostilem ut nidum summa per astra petat.

Gilles Corrozet, qui, dans son Hecatongraphie (emblème LII), a traité le même sujet, dans un quatrain français, suivi d'une longue morale, remplace l'Escarbot par un Formis (une Fourmi), qui

Les œufz de l'Aigle.... casse et abat.

Cela devait, ce semble, lui être plus difficile qu'à l'insecte d'Ésope. 5. « Il semble que l'âme de la Fontaine n'attend que les occasions de s'ouvrir à tout ce qui peut être intéressant. Ce vers est d'une sensibilité si douce, qu'il fait plaindre l'Aigle, malgré le rôle odieux qu'elle joue dans cette fable. » (Chamfort.)

Elle gémit en vain : sa plainte au vent se perd.

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Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.
L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut®.
L'Escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut :
La mort de Jean Lapin derechef est vengée.
Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces bois
N'en dormit de plus de six mois.

L'oiseau qui porte Ganymède

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Du monarque des Dieux enfin implore l'aide,
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu'en paix
Ils seront dans ce lieu; que pour ses intérêts,
Jupiter se verra contraint de les défendre :

Hardi qui les iroit là prendre.

Aussi ne les y prit-on pas.

Leur ennemi changea de note,

Sur la robe du dieu fit tomber une crotte3 :

6. Ἐπὶ μετεωροτέρου τόπου, dit Ésope.

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7. Jeune prince troyen que Jupiter, pour en faire son échanson, avait, d'après Virgile (Énéide, livre V, vers 255), fait enlever par son aigle, ou, d'après Ovide (Métamorphoses, livre X, vers 155 et suivants), qu'il avait enlevé lui-même en se changeant en aigle.

8. A l'occasion de ce vers et de plusieurs autres pris çà et là dans les fables, M. Taine (p. 300) fait de justes remarques sur le style de notre poëte, qui souvent, pour être vrai et expressif, ne craint pas d'être vulgaire. M. Taine parle encore, en deux autres endroits (p. 84 et p. 229), du présent apologue. - Dans le scoliaste d'Aristophane (voyez la notice de la fable), l'Escarbot se contente de voler autour de la tête de Jupiter; mais Ésope dit: Kóлpov σpaíрav лoιήσας,... ἐπὶ τοῦ κόλπου τοῦ Διὸς ταύτην καθῆκεν. Il ne s'agit point dans ces mots grecs de la crotte du scarabée lui-même, sens que paraît leur avoir donné la Fontaine, mais d'une de ces boules de fiente ou même d'excréments humains, semblables à de grosses pilules, où les escarbots, et particulièrement les espèces du genre ateuchus, auxquelles appartient le scarabée égyptien, enferment leurs œufs, et qu'ils font rouler avec leurs pieds de derrière, et en marchant à reculons, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé des trous propres à les recevoir. De là le nom de pilulaires que certains auteurs donnent à ces

Le dieu la secouant jeta les œufs à bas.
Quand l'Aigle sut l'inadvertance,

Elle menaca Jupiter

D'abandonner sa cour, d'aller vivre au désert,

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insectes. Voyez Aristote (Histoire des animaux, livre V, chapitre xix, édition Bekker, in-4o, tome I, p. 552, col. 1), Pline (Histoire naturelle, livre XI, chapitre xxxiv, et livre XXX, chapitre xxx), Latreille (Règne animal de Cuvier, tome IV, p. 352). Notre vieux fabuliste Haudent ne s'y est pas trompé :

Mais (dit-il) l'Escarbot vint encore à oser

Par sa malice à faire et composer

Un globe rond, plain de matiere infaicte....

C'est probablement cette habitude de rouler une boule, une sphère, qui a fait considérer l'escarbot, chez les Égyptiens, comme un emblème, soit du soleil, soit de la divinité. Peut-être aussi peut-elle expliquer, comme nous l'a fait remarquer le savant bibliothécaire de l'Institut, M. Roulin, membre de l'Académie des sciences, que l'idée soit venue d'associer cet insecte, dans une même histoire, à Jupiter et à l'Aigle. Des vers de Pamphus, qui se trouvent dans les Héroïques de Philostrate (p. 98, édition Boissonade), assimilent l'Escarbot à Jupiter :

Ζεῦ κύδιστε, μέγιστε θεῶν, εἰλυμένε κόπρῳ
Μηλείῃ τε καὶ ἱππείῃ καὶ ἡμιονείῃ,

« Jupiter, toi le plus glorieux, le plus grand des dieux, enveloppé dans la fiente des brebis et des chevaux et des mulets. » Voyez un article de Ch. Lenormant sur le heros Cantharus, dans les Annales de l'Institut de correspondance archéologique, année 1832, p. 317. - L'idée de boule amène aussi à la pensée le nom de l'Aigle (dont au reste la réunion avec Jupiter n'a rien qui étonne). On appelait aétites ou aquilaires, parce que, pour avoir toute leur efficacité, elles devaient être trouvées dans le nid d'un aigle, certaines pierres sphériques, de celles qui se nommaient lapides prægnantes, auxquelles une croyance superstitieuse attribuait de grandes vertus.

9. A la suite de ce vers, on lit celui-ci :

De quitter toute dépendance,

dans les deux éditions de 1668, in-4o et in-12, dans celles de 1669, d'Amsterdam 1679, et dans celle de 1729, ainsi que dans la petite édition donnée en 1682 par Barbin. Mais ce vers ne se trouve point

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