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Le juge prétendoit qu'à tort et à travers
On ne sauroit manquer', condamnant un pervers".

Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe étoit une chose à censurer; mais je ne m'en suis servi qu'après Phèdre'; et c'est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.

6. Voyez ci-dessus, p. 134, note 3. Les éditions de 1668 in-4° et de 1678 écrivent : « à tors; » il en est de même de la petite édition de 1682.

7. Benserade (fable 81) se sert du même mot :

.... Je ne saurois manquer

En condamnant deux si méchantes bêtes.

8. Cela rappelle le procédé de ce juge dont parle Henri Estienne. Si l'accusé était vieux, il disait : « Pendez, pendez; il en a fait bien d'autres. » S'il était jeune : « Pendez, pendez, disait-il encore; il en ferait bien d'autres. >> - Le Manuscrit de Sainte-Geneviève n'a pas les deux derniers vers.

9. Dans Phèdre, le jugement du Singe est (vers 9 et 10):

Tu non videris perdidisse quod petis;

Te credo subripuisse quod pulcre negas.

Dans Camerarius, la morale est tournée de telle sorte que la contradiction disparaît, mais aussi le bon mot : Docet fabula non moveri nos dissensione et rixis improborum oportere, sed omni tempore illos arbitrari arctissimo vinculo pravitatis conjunctos, et aversari atque odisse.

FABLE IV.

LES DEUX TAUREAUX ET UNE GRENOUIlle.

Phèdre, livre I, fab. 30, Ranæ metuentes Taurorum prælia.

Mythologia sopica Neveleti, p. 407.

Voyez les considérations diverses que M. Saint-Marc Girardin, dans sa xi leçon (tome I, p. 436–441), rattache à cette fable et à sa moralité, les unes avec sa finesse accoutumée, les autres avec une grande élévation.

Deux Taureaux combattoient à qui posséderoit
Une Génisse avec l'empire1.

Une Grenouille en soupiroit.

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1. On connaît la description que fait Virgile d'un semblable combat (Géorgiques, livre III, vers 219 et suivants):

Pascitur in magna Sila formosa juvenca :

Illi alternantes multa vi prælia miscent, etc.

2. Dans toutes les éditions données par la Fontaine (1668 in-4° et in-12, 1669, 1678), ainsi que dans celle de Paris 1682, dans celle de 1688, de Londres 1708, on lit invariablement croassant, quoique la distinction existât alors*, mais moins marquée, parait-il, que depuis, entre croasser, qui se dit du corbeau, et coasser, qui s'applique à la grenouille. Il se peut que ce soit une distraction de la Fontaine; mais nous devons garder la leçon des éditions originales. Walckenaer donne coassant. M. Littré, à l'article Coasser, cite deux exemples de Voltaire (Épitre à d'Alembert et Stances au Roi de Prusse) où croasser est pris comme ici pour parler des grenouilles.

* Richelet (1680), Furetière (1690) et l'Académie (1694) ont les deux mots, et les appliquent comme nous faisons aujourd'hui. Nicot (1606) ne donne pas croasser, mais seulement coasser, qu'il traduit ainsi : coaxare, ra

narum est.

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« Et ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle

Sera l'exil de l'un3; que l'autre, le chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?

Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux;
Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé Madame la Génisse. »>

Cette crainte étoit de bon sens.

L'un des Taureaux en leur demeure

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Hélas! on voit que de tout temps

Les petits ont pâti des sottises des grands3.

3.

Victus abit, longeque ignotis exsulat oris.

(VIRGILE, Géorgiques, livre III, vers 225.)

4. VAR. pas. (1668, in-4o.)

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5. « Voici encore un exemple de l'artifice et du naturel avec lequel la Fontaine passe du ton le plus simple à celui de la haute poésie. Avec quelle grâce il revient au style familier dans les vers suivants! » (CHAMFORT.)

6. L'orthographe des anciennes éditions est marests.

7. « Se va cacher », dans l'édition d'Amsterdam 1729.

8.

Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi.

(HORACE, livre I, épitre 11, vers 14.) Dans les Avadánas ou Contes et Apologues indiens traduits du chinois par M. Stanislas Julien, l'idée est ainsi rendue, par une tout autre allégorie (tome I, p. 137): « Lorsque deux béliers luttent ensemble, les mouches et les fourmis périssent au milieu d'eux. »

FABLE V.

La Chauve-souris et les deux belettes.

Ésope, fab. 109, Νυκτερὶς καὶ Γαλῇ; fab. 351, Στρουθοκάμηλος (Coray, p. 61, p. 320, p. 227). Faërne, fab. 77, Vespertilio et Marie de France, fab. 31, de totes les Bestes e des OiHaudent, ire partie, fab. 91, d'une Chaulve

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Mustella,
saeax li parlemenz.

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Dans

souris et d'une Bellette; fab. 145, d'une Chaulve souris et des aultres Oyseaulx. Corrozet, fab. 34, des Oiseaux et des Bestes. la dernière des fables d'Ésope indiquées ci-dessus, dans celles de Marie de France et de Corrozet, et dans la seconde de Haudent, le sujet est tiré de même de la double nature soit de l'Autruche soit de la Chauve-souris, mais il est traité d'une façon toute différente, et amène cette morale plus saine, ainsi rendue dans la fable 2 de Neckam (Éd. du Méril, Poésies inédites du moyen áge, p. 178) :

Sic qui se fallax nunc his, nunc ingerit illis,

Omnibus ingratus jure repulsus erit.

On lit dans Varron, cité par Nonius (XLVI, 33, : Quid multa? factus sum vespertilio, neque in muribus plane, neque in volucribus sum. (Saturarum Menippearum reliquiæ, édition Riese, p. 96.)

Mythologia sopica Neveleti, p. 177, p. 370.

Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III, p. 356.

Pour cette fable encore, voyez les sages et piquantes réflexions qu'elle suggère à M. Saint-Marc Girardin dans deux de ses leçons, la rre et la xe (tome I, p. 19 et 20, et p. 429-432). Il la retrouve, sous forme historique et humaine, dans une anecdote de la Fronde, et cite un extrait des Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, que nous donnerons à l'Appendice; nous y joindrons une fable traduite du chinois par M. Stanislas Julien, et qui, sans avoir du reste rien

1. Dans les anciennes éditions Chauvesouris forme un seul mot, sans trait d'union. Les Chauvesouris, au pluriel, dans l'édition d'Amsterdam 1729.

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de remarquable, ni pour les pensées, ni pour la forme du récit, nous a paru curieuse par le rôle qu'y joue la Chauve-souris : la bête ambiguë s'y montre un sage de tout autre espèce, dont l'exemple est moins contagieux et nous semble, quoi que dise l'affabulation chinoise, beaucoup moins blamable.

Une Chauve-souris donna tête baissée

Dans un nid de Belette; et sitôt qu'elle y fut,
L'autre, envers les souris de longtemps courroucée,
Pour la dévorer accourut.

« Quoi? vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire!
N'êtes-vous pas souris? Parlez sans fiction.
Oui, vous l'êtes, ou bien je ne suis pas belette.
-Pardonnez-moi, dit la pauvrette,

Ce n'est pas ma profession.

Moi souris! Des méchants vous ont dit ces nouvelles.

Grâce à l'auteur de l'univers,

Je suis oiseau; voyez mes ailes :
Vive la gent qui fend les airs! »
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien qu'on lui donne
Liberté de se retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer

Chez une autre Belette, aux oiseaux ennemie.

La voilà derechef en danger de sa vie.

La dame du logis avec son long museau
S'en alloit la croquer en qualité d'oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faisoit outrage:
Moi, pour
pour telle
passer! Vous n'y regardez pas.

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2. Il semble que la correction grammaticale voudrait plutôt tel, et que le mot devrait s'accorder avec oiseau; la Fontaine n'a songé qu'à la Chauve-souris qui parle.

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