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Avoit un brouet clair; il vivoit chichement.

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cicogne au long bec n'en put attraper miette';
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la Cicogne le prie.
« Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. »

A l'heure dite, il courut au logis
De la Cicogne son hôtesse;
Loua très-fort la politesse *;

Trouva le dîner cuit à point :

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.
Il se réjouissoit à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyoit friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure".
Le bec de la Cicogne y pouvoit bien passer;
Mais le museau du sire étoit d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

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ΤΟ

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affaire, apprêt; » et il cite le vers de la Fontaine. C'est en effet le sens de ce mot ici, sens qui n'est indiqué ni par l'Académie, ni par Richelet, ni par Furetière.

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soy traire,

Car ell' n'a pas bec à ce faire.

(Ysopet I, fo 37, cité par Robert, tome I, p. 77.)

4. Tel est le texte des éditions de 1678. Il y a sa politesse dans les deux éditions de 1668, dans celles de 1669, de 1679 (Amsterdam) et de 1729. La plupart des éditeurs modernes, même Walckenaer et Crapelet, ont adopté cette dernière leçon.

5.

6.

La viende qui bon fleuroit,

Et qui par le voirre (le verre) paroit,

Fait à Renart son fain doubler. (Ysopet 1, fo 38.)

....

La mist dedens vn pot

Qui a le col lonc et estroit. (Ysopet 1, ibidem.)

J. DE LA FONTAINE. I

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Honteux comme un renard qu'une poule auroit pris, 25 Serrant la queue, et portant bas l'oreille ".

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille 3.

7. On lit dans la Satire Menippée (édition de 1594, p. 238), au sujet de la retraite du duc de Parme :

....

Et le Regnard s'enfuit,

Le menton contre terre, honteux, despit, et blesme. Regnier a dit d'une manière non moins pittoresque :

8.

J'esquiue doucement, et m'en vais à grand pas,
La queue en loup qui fuit, et les yeux contre-bas.
(Satire VIII, vers 219 et 220.)
Fallacia

Alia aliam trudit....

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(TÉRENCE, l'Andrienne, acte IV, scène vi, vers 779 et 780.)

- Dans Phèdre, la morale est dite par la Cigogue, et précédée de ce joli trait :

Quæ (Vulpis) quum lagonæ collum frustra lamberet....

FABLE XIX.

L'ENFANT ET LE MAÎTRE D'ÉCOLE.

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Ésope, fab. 310, Παῖς λουόμενος et Παῖς καὶ Ἀνήρ (Coray, p. 204). - Abstemius, fab. 115, de Vulpe in puteum delapsa, quæ Lupum rogabat ut inde eam subduceret. Faërne, fab. 49, Vulpes et Lupus. Le Noble, fab. 90, du Renard et du Loup. L'ami de cour. Saint Augustin, dans sa lettre CLXVII, adressée à saint Jérôme, cite cette fable, et en fait une application ingénieuse et originale à ceux qui scrutent avec trop de curiosité les causes du péché originel : Quum quidam ruisset in puteum, ubi aqua tanta erat, ut eum magis exciperet ne moreretur, quam suffocaret ne loqueretur, accessit alius, et eo viso admirans, ait : « Quomodo huc cecidisti? » At ille : « Obsecro, inquit, cogita quomodo hinc me liberes; non quomodo huc ceciderim, quæras. » Ita quoniam fatemur, et fide catholica tenemus, de reatu peccati, tanquam de puteo, etiam parvuli infantis animam Christi gratia liberandam, satis est ei quod modum quomodo salva fiat novimus, etiamsi nunquam, quomodo in malum illud devenerit, noverimus. (Édition Gaume, tome II, col. 889 et 890.)— Voyez aussi Plutarque (Comment discerner le flatteur d'avec l'ami, chapitre xxvIII), et ci-après, dans la note 9 de la fable, une citation de Rabelais.

Mythologia sopica Neveleti, p. 584.

Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.

Un jeune Enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu'un saule se trouva1,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.

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1. On serait porté à mettre plutôt aujourd'hui le subjonctif se trouvát, mais, à bien considérer la valeur des modes, l'indicatif est plus juste le verbe exprime ici un fait positif, montre ce qui est.

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S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule3,
Par cet endroit passe un Maître d'école';
L'Enfant lui crie : « Au secours! je péris.
Le Magister, se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contre-temps s'avise
De le tancer: « Ah! le petit babouin*!
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!
Et puis, prenez de tels fripons le soin.
Que les parents sont malheureux qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!
Qu'ils ont de maux ! et que je plains leur sort! »>
Ayant tout dit, il mit l'Enfant à bord".

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant
Se peut connoître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand :
Le Créateur en a béni l'engeance®.

En toute affaire ils ne font que songer

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2. Dans la fable 1 du livre II (vers 42 et 43), la Fontaine fait rimer saules avec paroles, comme ici saule avec école, malgré la différence des quantités: voyez p. 132, note 13.

3. Dans la fable ésopique (nous l'avons sous deux formes), c'est un passant quelconque, le premier venu. La Fontaine n'a, que nous sachions, emprunté à personne l'idée, tout particulièrement comique, de faire intervenir un maître d'école.

4. Les dictionnaires du dix-septième siècle ne sont pas d'accord sur la valeur, au figuré, de ce mot, qui, au propre, signifie une espèce de gros singe. Richelet (1680) le traduit par «< petit sot, petit impertinent; » l'Académie (1694) par « (enfant) badin, étourdi; » Furetière ne prend point parti, et se contente de cet à-peu-près: « injure qu'on dit aux petits enfants. »

5. Sur le sot personnage que fait ici le Maître d'école, et sur le caractère du pédant en général, voyez M. Taine, p. 148-150. — La Fontaine fait allusion à ce vain discours dans la fable xv du livre XII, vers 82-85.

6. Allusion à ces mots de la Genèse (chapitre 1, verset 28): Bene

Aux moyens d'exercer leur langue.
Hé! mon ami, tire-moi de danger,

Tu feras après ta harangue3.

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dixitque illis Deus, et ait : « Crescite et multiplicamini, et replete ter

ram. »

7. Au moyen, au singulier, dans le texte de Walckenaer, de Cra pelet, etc.

8. Du danger, dans le texte de 1729, et dans plusieurs éditions modernes.

9. Dans la fable de Faërne que nous citons plus haut, le Renard tombé dans le puits dit au Loup (vers 7 et 8):

Prius eripe hinc me, dum licet, Vulpes ait,
Deinde audies omne ordine ut factum siet.

Dans Rabelais (livre I, chapitre XLII, tome I, p. 151), le Moine accroché à un arbre s'écrie en entendant disputer Eudemon et Gargantua : « Aidez-moy, de par le diable! N'est-il pas bien le temps de iaser? Vous me semblez les prescheurs decretalistes, qui disent que quiconques voirra son prochain en dangier de mort, il le doibt, sus peine d'excommunication trisulce, plustost admonester de soy confesser et mettre en estat de grace, que de lui ayder. Quand doncques ie les voirray tumbez en la riuiere et prests d'estre noyez, en lieu de les aller querir et bailler la main, ie leur feray ung beau et long sermon de contemptu mundi et fuga seculi, et lors qu'ils seront roides morts, ie les iray pescher. » M. Soullié, aux pages 202-205 de son ouvrage sur la Fontaine, donne en entier le passage de Rabelais d'où cette citation est tirée, et le compare avec notre fable.

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