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tables', et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des éléments; et quand, au retour de cette expédition, où il a vaincu comme un Alexandre', vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste : avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années'; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez pas, Monseigneur : vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité', cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage, et de grandeur d'âme, que vous faites paroître à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre Monarque; mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers que de voir ainsi croître une

1. Insurmontables manque dans le texte de Richelet.

2. « C'est la Franche-Comté, qu'il conquit en 1668. On l'appelle Bourgogne-Comté, pour la distinguer de la Bourgogne-Duché. La ville capitale de la Bourgogne-Comté est Besançon sur le Doubs; et la capitale de la Bourgogne-Duché, Dijon, où il y a de très-savants et de très-habiles gens. » (Note de Richelet.)

3. Dans l'édition de 1729 : « comme un autre Alexandre ». 4. « Avouez-le, Monseigneur ». (Richelet.)

5. Ces derniers mots, depuis aussi bien, manquent dans Richelet. 6. « Pour témoins ». (Richelet.)

7. « Cette vivacité » manque dans Richelet; il en est de même des mots de courage; de ceux-ci : à tous les moments, qui terminent cette phrase; et de l'adverbe certainement, qui commence la sui

vante.

8. Mais n'est pas dans l'édition de 1729.

9. Richelet donne ainsi la fin de cet alinéa : « .... à notre Monarque, et un spectacle bien agréable à toute la France, de voir croître une jeune plante qui couvrira de son ombre tant de peuples. »

jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples' et de nations".

Je devrois m'étendre sur ce sujet; mais comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci c'est, MONSEIGNEUR, que je suis, avec un zèle respectueux,

Votre très-humble, très-obéissant, et très-fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE.

1. Il y a, par erreur sans doute, tant de peuple, au singulier, dans l'édition de 1678.

2. On peut lire dans le livre de M. Dreyss, tome I, p. Lxxxxш11 et suivantes, ce que la naissance et l'enfance du Dauphin inspirèrent à l'enthousiasme des complimenteurs officiels. Nous n'en citerons que le quatrain suivant, composé en 1667, peu de temps par conséquent avant cette épître de la Fontaine, par le chevalier d'Aceilly, gentilhomme ordinaire de la chambre de Sa Majesté :

DAUPHIN, dont la valeur par le Ciel fut choisie
Pour abattre le trône et l'orgueil des tyrans,
Régnez dès l'âge de quinze ans,

Mais allez régner en Asie.

PRÉFACE.

L'INDULGENCE que l'on a eue pour quelques-unes de mes fables' me donne lieu d'espérer la même grâce pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maîtres de notre éloquence n'ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers : il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun'; que d'ailleurs la contrainte de la

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1. « Ces mots prouvent qu'antérieurement à l'année 1668, époque de la publication de ce premier recueil, la Fontaine avait déjà fait paraître quelques-unes de ses fables, ou qu'elles avaient circulé en manuscrit. » (Note de Walckenaer.) Cette dernière conjecture nous paraît la plus probable : on ne connaît pas, que nous sachions, de fable de la Fontaine publiée avant 1668.

2. Il s'agit du célèbre Patru, né en 1604, mort en 1681. Reçu à l'Académie française le 3 septembre 1640, « il y prononça un fort beau remerciement, dont on demeura si satisfait, qu'on a obligé tous ceux qui ont été reçus depuis d'en faire autant. » (Histoire de l'Académie françoise, par MM. Pellisson et d'Olivet, Paris, J. B. Coignard, 1743, in-12, tome I, p. 211.) — « C'étoit, selon le P. Bouhours, l'homme du Royaume qui savoit le mieux notre langue. Ajoutons qu'il la savoit, non pas en grammairien seulement, mais en orateur.... On le regardoit effectivement comme un autre Quintilien, comme un oracle infaillible en matière de goût et de critique. Tous ceux qui sont aujourd'hui nos maitres par leurs écrits se firent honneur d'ètre ses disciples. » (Ibidem, tome II, p. 176 et 177.) — Nous voyons, il est vrai, quelques ligues plus loin, dans cette même Histoire, que, si la Fontaine et Boileau eussent écouté cet oracle infaillible, nous n'aurions jamais eu ni les Fables, ni l'Art poétique.

3. Cette opinion de Patru, à laquelle heureusement la Fontaine ne se rendit pas, paraît avoir été fort répandue, si nous en jugeons par le grand nombre de traductions des fables d'Ésope qui furent faites en prose dans notre pays. Sans remonter au quinzième siècle, où Guillaume Tardif, lecteur de Charles VIII, traduisit du latin de Laurent Valla trente-trois apologues d'Esope, au dix-septième siècle même nous voyons un M. de Boissat, de l'Académie française, pu

poésie, jointe à la sévérité de notre langue, m'embarrasseroient en beaucoup d'endroits, et banniroient de la plupart de ces récits la brèveté3, qu'on peut fort bien appeler l'âme du conte, puisque sans elle il faut nécessairement qu'il languisse. Cette opinion ne sauroit partir que d'un homme d'excellent goût; je demanderois blier les Fables d'Ésope, illustrées de discours moraux, philosophiques et politiques, Paris, 1633, in-8° (Histoire de l'Académie françoise, par MM. Pellisson et d'Olivet, tome II, p. 100). En 1646, Pierre Millot, Langrois, professeur de lettres humaines au collège de Bourg en Bresse, publie les Fables d'Esope, traduites fidellement du grec, auec un choix de plusieurs autres fables attribuées à Æsope par des autheurs anciens, Bourg en Bresse, chez la vefue de Joseph Tainturier, 1 vol. in-12. Cette publication, comme nous le verrons plus loin à propos de la Vie d'Esope, paraît même avoir été reproduite plusieurs fois. Enfin, plus près encore de la Fontaine, nous trouvons, sous le même titre que l'ouvrage de Boissat, une nouvelle traduction en prose des Fables d'Ésope, Paris, Augustin Courbé, 1659, in-8°. C'est encore l'œuvre d'un académicien, J. Baudoin. Cette édition de 1659 est la quatrième, et elle sera reproduite plus d'une fois dans les années qui suivent immédiatement, comme on le verra ci-après, dans la Notice qui précède la Vie d'Ésope. Il est évident, d'après ces faits, et surtout d'après tous les discours moraux, philosophiques,etc., placés en tête de ces fables, que ce qu'on y cherchait, ce n'était pas la poésie, le charme et l'intérêt du récit, mais l'instruction morale. La Fontaine a cru pouvoir y trouver l'un et l'autre, et la postérité lui a donné raison, je crois, contre Patru et ses contemporains. 1. M'embarrassoient, à l'imparfait, probablement par erreur, les éditions de 1678 et dans la réimpression de la Haye 1688. 2. Ce verbe et le précédent sont au singulier dans toutes les éditions modernes et dans la contrefaçon de 1668; mais ils sont au pluriel dans les éditions originales, ainsi que dans la petite édition de 1682, dans celles d'Amsterdam 1689, de Londres 1708, de Paris 1729.

dans

3. C'est ainsi que la Fontaine a écrit ce mot; on a eu tort d'y substituer brièveté. L'Académie, dans la première édition de son Dictionnaire (1694), n'admet plus brèveté; mais voici ce qu'en dit Richelet, en 1680, dans son Dictionnaire françois : « La plupart rejettent ce mot (brèveté); mais comme il y a de bons auteurs qui l'emploient, je ne le condamnerois pas, et je me servirois ordinairement de brièveté, »

seulement qu'il en relâchât quelque peu, et qu'il crût que les grâces lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses françoises, que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point à conséquence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poésie, que le Parnasse a jugé ceci de son apanage. A peine les fables qu'on attribue à Ésope virent le jour', que Socrate2 trouva à propos de les habiller des livrées des Muses. Ce que Platon en rapporte est si agréable, que je ne puis m'empêcher d'en faire un des ornements de cette préface. Il dit que Socrate étant condamné au dernier supplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt, à cause de certaines fêtes'. Cébès l'alla voir le

1. Notons cette expression de la Fontaine, qui semble indiquer a publication d'un recueil, comme cela se pratique chez nous, recueil dont Socrate s'empare aussitôt pour le mettre en vers. Ce qui est vrai, c'est que la plupart des apologues ésopiques étaient connus depuis longtemps, et n'étaient réunis nulle part.

2. « Bayle (Dictionnaire, article Ésope, p. 1112, édition de 1720) critique, à ce sujet, avec raison, notre fabuliste, qui termine son récit par une phrase qui est en contradiction avec celle-ci, puisqu'il nous apprend, d'après Platon (voyez le début du Phédon), que ce fut seulement dans les derniers moments de sa vie que Socrate s'occupa de mettre les fables d'Esope en vers, ce qui ne montre pas l'empressement que la Fontaine annonce ici. » (Note de Walckenaer.) 3. Dans le Phédon, au début d'abord, puis un peu plus loin. 4. Il s'agit de la procession solennelle que les Athéniens envoyaient tous les ans à Délos pour remercier Apollon d'avoir sauvé du Minotaure Thésée et ses compagnons. Tant que durait l'absence de la galère paralienne, qui portait la sainte théorie, il n'était pas permis d'exécuter un condamné. Pour tous les détails de cette solennité, consultez les Antiquités grecques, ou Tableau des mœurs, usages et institutions des Grecs, traduit de l'anglais de Robinson, Paris, Verdière, 1822, in-8°, tome I, p. 420.

5. Philosophe grec, né à Thèbes vers le milieu du quatrième siècle

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