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poque de la restauration l'Église de France se trouva double.

L'Église et l'État reconnaissaient tels siéges et tels évêques; l'État ne reconnaissait et ne payait qu'eux. D'autres arrivent et s'intitulent les évêques de ces mêmes lieux (1); le directeur reconnu du clergé est du nombre. Il est entouré de ces propriétaires de siéges fictifs, et attachés à leurs seules personnes, qui, hors de l'Église et de l'Etat, n'ont de bercail qu'eux-mêmes, sont à la fois les pasteurs et les brebis, et ne sont suivis que de leur ombre. Jamais on ne vit un pareil désordre. Si la force publique n'eût veillé, on aurait vu ces siéges imaginaires revendiqués par des hommes venus de l'étranger sur le sol français

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(1) On lira dans la lettre de M. l'évêque d'Orthosia, sérée dans le chapitre suivant, que le pape refusa de recevoir la lettre que le cardinal Consalvi lui présenta au nom de ces évêques, parce qu'ils continuaient de prendre les titres des évêchés supprimés ou conférés à d'autres en vertu du concordat de 1801. Ces évêques avaient leurs lois et leur Église, à part des lois et de l'Église reconnues en France. Spectacle unique au monde, et bien peu attendu de la part d'un clergé, celui de venir dans un pays, non pas pour s'y conformer aux lois, mais pour y porter les siennes propres, et les faire subir à ce pays. On ne vit jamais rien de pareil,

romaine est la religion de l'État (1). L'apparente contradiction qui règne entre ces deux articles était très-propre à égarer le clergé sur cette importante question de la tolérance. D'après ses habitudes et ses idées, il est inévitable qu'il ne se soit arrêté au second article, et qu'il ne l'ait regardé comme le correctif du premier, placé là par des raisons politiques, tandis que le second est celui qui renferme le sens véritable de la chose. Pour ma part, j'avoue que je

(1) La religion de l'Etat est celle qui fait que l'on n'est pas de l'État sans être de cette religion.... Tel était l'État légal des protestans.... La religion de l'État est celle qui fait que l'on n'a droit aux emplois et aux récompenses de l'État que par la profession de cette religion.... Tel est l'état des pairs catholiques d'Angleterre, des catholiques anglais, irlandais, qui ne peuvent être juges, membres de la chambre des communes, commandans supérieurs de terre et de mer. Là, la conséquence est conforme au principe..... Mais une religion d'État qui n'ordonne, ne défend, n'interdit rien, qui laisse ceux qui ne la professent pas sur le pied de ceux qui la professent, tout cela paraît neuf..... Comme tout ce qui est de l'État a un caractère légal, c'est-à-dire de commandement ou de prohibition, de peine ou de récompense, une religion d'État doit réserver des faveurs pour ses membres, et des exclusions pour les réfractaires, ou bien elle est dite religion de l'État sans avoir aucun caractère des religions de cette nature.

n'ai jamais pu concilier ensemble ces deux articles, ni parvenir à concevoir une religion de l'État à côté de la tolérance de toutes les religions.

Cette partie de la Charte n'était bonne qu'à embrouiller les idées du clergé sur cet article. Il ne faut présenter aux hommes rien de louche, surtout lorsque cette obscurité favorise leurs intérêts; car on peut être sûr qu'ils l'interpréteront tout de suite en leur faveur. Des vœux

pieux pour le rétablissement de l'Église de France dans toute sa splendeur enflèrent aussi les espérances du clergé. Hélas! comment des accomplir ces voeux, lorsque Charlemagne manquait de tous moyens pour réparer les spoliations de Charles-Martel?

Des journaux passionnés, des prédications hors du cercle religieux, des excitations de toute espèce, animèrent encore le clergé; on n'entendit plus parler que de ses misères et de son importance. Dans le temps de la philosophie, les curés de campagne étaient devenus les objets de toutes les affections des philosophes; on les aimait de toute la haine que l'on ramassait sur la tête du haut clergé dans cette dernière époque, on aima le clergé de

toute la haine que l'on portait à la philosophie et à la révolution; et, comme elles l'avaient détruit, on voulut s'en servir pour les détruire à son tour par lui. On voulut faire du clergé la base de tout, le placer comme les Indiens font leur monde, et régenter la France avec sa main. Pendant deux sessions consécutives, on n'entendit parler que du clergé ; des propositions exorbitantes furent faites, et de grands combats eurent lieu pour lui attribuer une ombre de propriété qui, d'ailleurs remplie d'inconvéniens, coûte chaque année à l'état sept à huit millions, sans aucun (1) profit réel pour le clergé.

(1) On a cédé au clergé une masse de forêts d'un revenu annuel de.

en remplacement d'une somme égale sur le

trésor.

Cette masse de forêts, abandonnée à la caisse

4,000,000 f.

d'amortissement, aurait une valeur vénale de 150,000,000 f. qui, appliquée au rachat des rentes, à éteindrait.

de rentes de la dette publique.

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11,000,000 f.

L'État a donc perdu sept millions de rentes par cet abandon des bois, et beaucoup plus, si la valeur vénale de ces bois s'élève, comme tout porte à le croire, à la valeur de 200 millions de fr. Il fut un temps où la France cessa d'être appréciée pour elle-même, mais seulement comme une terre d'indemnité pour qui de droit,

+

Comme on voit, beaucoup de causes ont contribué à fausser la direction du clergé; Napoléon l'avait violenté, on l'a laissé s'égarer dans le vague. La restauration de 1814 exigeait encore plus d'art que la résurrection de 1801. C'était le moment de faire sentir au clergé l'importance de se tenir en garde contre les amitiés intéressées qui tendraient à l'attirer à elles pour en faire leur appui; il fallait le prémunir contre tout ce qui pourrait le séparer du gros de la nation, lui inspirer la modération, l'abnégation d'une amélioration qui ne serait point partagée par un peuple abîmé de mille fléaux ; surtout étouffer dans sa bouche les reproches et les déclamations contre les institutions et les établissemens que la France a adoptés, et dont elle a fait les objets de son attachement et les garans de sa sécurité.

Je laisse à d'autres à décider si c'est la route que l'on a suivie; ne pouvant parler que de ce qui paraît au-dehors, je crois pouvoir dire qu'une observation attentive découvrira que depuis 1814 le clergé a perdu, et que, soit par lui-même, soit par ses malencontreux amis, il lui a été fait plus de mal que par Napoléon

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