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DICTIONNAIRE

D'ANECDOTES,

DE TRAITS SINGULIERS ET CARACTÉRISTIQUES, &c.

ACTEU R.

LA figure, dans un Acteur, fait la moitié de fon jeu. Celui qui repréfente un premier perfonnage dans une Tragédie, avec une figure ignoble, ou même commune, paroîtra moins jouer fon rôle, que le parodier. On peut ici fe rappeller l'aventure d'un Acteur débutant au théâtre françois par le rôle de Mithridate, dans la Tragédie de ce nom. Il n'étoit point dépourvû de talens; il avoit même beaucoup d'intelligence & de feu : mais fon extérieur n'étoit rien moins que héroique. Dans la fcène où Monime dit à Mithridate: Seigneur, vous changez de vifage! un plaifant cria à l'Actrice : Laillez-le faire. Le parterre perdit de vûe auffitôt les talens du nouvel Acteur, pour ne penfer qu'au peu de convenance qui fe trouvoit entre fon rôle & La perfonne.

A

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Si on exige d'un Acteur une figure intéreffante, à plus forte raison lui demande-t-on qu'il fe pénétre de la paffion ou du fentiment qu'il veut infpirer. On avoit chargé une célébre Actrice de l'Opéra, d'apprendre à une jeune élève le rôle d'une princeffe eprife de la plus violente paffion pour un infidèle, de lui donner en conféquence plu fieurs leçons; mais les leçons ne produifoient point leur effet. Enfin la maîtreffe, impatiente, dit un jour à l'écolière : Ce que je vous demande eft» il donc fi difficile? Mettez-vous à la place de l'a» mante trahie: fi vous étiez abandonnée d'un » homme que vous aimeriez tendrement, ne fe»riez-vous pas pénétrée d'une vive douleur? ne » chercheriez-vous point....«? Moi! répondit l'Actrice, à qui s'adreffoit ce discouts, je chercherois les moyens d'avoir au plutôt un autre amant. » En ce cas, répliqua la maîtreffe, nous perdons » toutes deux nos peines. Je ne vous apprendrai jamais à jouer votre rôle comme il faut » V. le Comédien par M. Rémond de Ste Albine, 1751.

Il y a des défauts corporels dont un Acteur doir toujours être exempt, fur tout fi cet Acteur veut rendre ce défaut fur la fcène, autrement la vérité de l'imitation, en quoi confifte le plaifir de la Comédie, eft détruite, & l'Acteur difgracié de la na! ture, n'est plus regardé que comme un objet de rifée. C'est ce qu'éprouva un Comédien du théât tre de Londres. Get Acteurs après avoir, pendant trente années, joué la comédie avec fuccès, enr le malheur de s'eftropier & de refter boiteux. Malgré tette difgrace, comme fa paffion étoit de jouer le tragique, ifconclut de ce défaut, qu'il étoit l'hom me du monde le plus propre à faire le rôle de Ri chard III que Shakespear, auteur de cette Tra

gédie, a jugé à propos de repréfenter boiteux. Notre comédien fe flattoit du plus brillant fuccès; il fe préfenta fur le théâtre avec la plus grande confiance. Mais lorsqu'il vint à déclamer ces paroles: Les chiens aboient en me voyant boiter, ce fut une rifée générale; il fut obligé de quitter la scène. Cette anecdote eft rapportée dans l'Ann. litteraire.

Le célèbre Garrick, qu'on a nommé le Rofcius de l'Angleterre, peut nous rendre vraisemblable ce que l'on rapporte de plus furprenant des pantomimes anciens. L'auteur des Lettres fur les Ballets, qui a vu jouer à Londres cet excellent Acteur, nous fait un tableau très-pathétique de la manière dont il rempliffoit, dans une Tragédie, le rôle d'un tyran,qui,effrayé de l'énormité de fes crimes, meurt déchiré de remords. Le dernier acte de cette Tragédie n'étoit employé qu'à peindre les regrets & la douleur. L'humanité triomphoit des meurtres & de la barbarie. Le tyran, fenfible à fa voix, détestoit fes crimes, qui devenoient, par gradations fes juges & fes bourreaux. La mort, à chaque inftant, s'imprimoit fur fon vifage; fes yeux s'obscurciffoient, fa voix fe prêtoit à peine aux efforts qu'il faifoit pour articuler fa penfée; fes geftes, fans perdre de leur expreffion, caractérifoient les. approches du dernier inftant; fes jambes fe déroboient fous lui; fes traits s'allongeoient; fonteint, pâle & livide, n'empruntoit fa couleur que de la douleur & du repentir; il tomboit enfin dans cet inftant où fes crimes fe retraçoient à fon imagination fous des formes horribles. Effrayé des phantômes hideux que fes forfaits lui préfentoient, il luttoit contre la mort; la nature fembloit faire un dernier effort. Cette fituation faifoit frémir; il gratoit la terre; il creufoit en quelque façon fon

tombeau. Mais le moment approchoit; on voyoit réellement la mort; tout peignoit l'inftant qui ramene à l'égalité; il expiroit enfin; le hoquet de la mort & les mouvemens convulfifs de la phyfionomie, des bras & de la poitrine, donnoient le dernier coup de pinceau à ce tableau terrible.

Garrick, fortement paffionné pour fon art, fe dérobe à toutes fortes de diffipations les jours où il doit remplir des rôles importans & férieux. Lorfque la fituation eft tragique, il s'en pénétre également vingt-quatre heures avant de la jouer. Perfonne au contraire n'eft fi gai que lui lorfqu'il a un rôle de petit-maître, de poéte, de nouvellifte à rendre. Cer Acteur pofféde, indépendamment de ce que l'art & l'étude peuvent donner, une de ces phyfionomies qui fe montent & fe démontent pour prendre tel caractère qu'il leur plaît. Une jolie femme de Londres, qui reconnoiffoit ce talent à Garrick, vint le trouver pour avoir le portrait d'un feigneur Anglois qu'elle aimoit, & qui ne vouloit pas fe laiffer peindre. Il s'agiffoit d'étudrer la phyfionomie du Lord, & de fe revêtir fi bien de tous fes traits, que le peintre pût faire un tableau reffemblant fur cette phyfionomie em pruntée. L'Acteur, en conféquence, examine le tic, le caractère particulier de fon modèle ; étudie les traits qui le caractérisent le plus, & les copie fi parfaitement, que ce n'eft plus Garrick, c'eft le Lord lui-même. L'Acteur fe préfente, avec ce visage compofé, à un peintre habile, & fair tirer fon portrait. Tout le monde y reconnoît fans peine le Lord en queftion, qui, le premier, paroît inquiet fur les moyens que l'on a pris pour le peindre fi reffemblant. Voyez Pantomimes, Déclamation, Comédie.

ALCHIMISTE.

UN nouvel Adepte, qui fe vantoit d'avoir trou

vé le fecret de faire de l'or, demandoit une récompenfe à Léon X. Ce Pape, le protecteur des arts, parut acquiefcer à cette demande; & le charlatan fe flattoit déja de la plus grande fortune. Lorfqu'il revint folliciter fa récompenfe, Léon lui fit donner une grande bourse vuide, en lui difant, Que puifqu'il fçavoit faire de l'or, il n'avoit befoin que d'une bourfe pour le contenir.

ALLEGORIE.

L'ALLEGORIE eft à la peinture, ce que la métaphore eft à l'éloquence. Une métaphore fingulière, ou qui laiffe entrevoir dans deux objets éloignés un rapport qui n'y étoit point apperçu, peut produire un bon mot, ou du moins un mot plaifant. Mais dans la peinture, la première qualité de l'Allégorie eft d'être fimple & à la portée de tout le monde: autrement c'eft une énigme dont perfonne ne veut chercher l'explication. Un artifte avoit à exprimer, dans un même tableau, la prife de plufieurs villes. Qu'a-t-il fait? Il a peint la Victoire avec fes attributs, qui écrit fur un bouclier les noms de ces villes.

Une allégorie auffi claire, & en même tems trèsingénieufe, eft celle dont fe fervit le fils du grand Condé, pour peindre l'hiftoire de fon père dans la gallerie de Chantilly. Il fe rencontroit un inconvénient dans l'exécution du projet. Le héros, durant fa jeuneffe, avoit fait un grand nombre d'exploits éclatans, come le fecours de Cambrai, celui de

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