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·Moi, Açwamëdha, voulant sacrifier, j'ai entendu quelqu'un me dire: « Allons ». Je viens avec mon bymce, je me présente avec mon offrande. Mais que celui-là me donne la richesse et les moyens d'exprimer mes pieuses pensées.

>> Cent mâles taureaux m'ont été donnés, à moi Açwamedha, et accroissent ma fortune. Que la triple offrande soit aussi douce que la liqueur du soma.

« O Indra et Agni! vous qui avez cent trésors à votre disposition, donnez å Açwamedha une mâle vigueur et un large domaine. Qu'il soit comme le soleil immortel dans les cieux. » (IV, 1, 19.)

L'œuvre sainte s'offrait donc à l'encan; à moins que le premier verset d'Acwamedha ne soit une forme poétique pour faire savoir aux assistants que nul d'entre eux ne saurait égaler en largesses son bienfaiteur. Quoi qu'il en soit, pour qu'il ne reste aucun doute sur ce point, nous citerons encore l'hymne suivant :

A AGNI.

« Que, dès le matin, des louanges soient données au bienfaisant Agni, hôte et ami des hommes, immortel qui chérit tous les holocaustes des mortels. « Augmente la force de Dwita, qui te présente une pure offrande. O immortel! ce chantre aime à t'honorer par ses diverses libations.

« J'invoque dans ma prière le dieu aux.splendeurs immortelles en votre faveur, o seigneurs. — Puisse leur char voler sans crainte, ◊ toi qui donnes les coursiers!

« Protége ceux qui accomplissent les œuvres variées du sacrifice, dont la bouche a le dépôt de l'hymne, qui dans ce sanctuaire étendent le gazon sacré et rassemblent les offrandes.

« Ces princes m'ont donné cinquante chevaux, et j'ai payé ce présent par mes hymnes. O immortel Agni! accorde à ces maîtres généreux une large et brillante abondance, une grande et mâle famille. »>

(Dwita, fils d'Atri, IV, 1, 10.)

La vente est réelle, quoique le marché soit tacite et hors des règles ordinaires du négoce. Que le prêtre vive de l'autel, il n'y a en cela aucune anomalie, lorsque le prêtre remplit sa fonction sacrée pour le public; il conserve en effet son indépendance spirituelle dans toute sa plénitude. Mais les exemples modernes ne prouvent-ils pas surabondamment que la prière pour le roi peut devenir pour le prêtre une servitude, lors même que le prêtre ne tient du roi aucune partie de son avoir? Si l'on suppose que la classe des purôhitas soit devenue nombreuse à la fin de la période des Hymnes, on conçoit aussi qu'il a dû en résulter deux conséquences: premièrement, grâce à la protection spéciale et à la libéralité des princes, les purôhitas ont surpassé en autorité les simples prêtres et ont tenu la tête de

cette sorte de clergé; en second lieu, leur sujétion étant réelle, leur fonction s'est trouvée dégradée comme leur condition personnelle; ces dignitaires, pour ainsi dire, ont eu par le fait moins de dignité que les rishis ordinaires, parce qu'ils ont eu moins d'indépendance. Or le nombre des poëtes vêdiques ainsi subordonnés aux princes est considérable, surtout à la fin de la période. Vamadêva, Parasára, Dôrghatamas, Kaxivat, Agastya, Vasishtha lui-même, et beaucoup d'autres, reçoivent des présents, payent en hymnes, et vont ainsi soumettre le pouvoir spirituel des dèvas au pouvoir temporel des râjas.

Mais c'est là une anomalie, un état transitoire et violent, dans une société qui tend à se constituer en castes et à se fonder sur une véritable hiérarchie. En effet, si Indra ou Agni sont la source du pouvoir royal des râjas légitimes et sacrés, ceux qui sur terre représentent Agni ou Indra, qui parlent au nom des dieux, qui lient et délient les hommes des chaînes où leur fonction et leur état naturel les retiennent, ceux enfin qui font les rois sacrés, occupent naturellement un rang supérieur à ces rois. Ajoutez que le brâhmane est l'homme de la prière et l'auteur de l'hymne; il en est donc aussi l'interprète. A lui par conséquent appartient l'enseignement moral et religieux; les âmes lui appartiennent pour ainsi dire, sinon les corps; c'est lui qui imprime aux idées leur direction, qui règle les mouvements des cœurs, les retient ou les pousse, et qui peut, par la seule vertu de son enseignement, que la foi autorise, les précipiter où il lui plaît. Que peut le râja? En paix, imposer aux hommes des redevances, les forcer à les lui servir, juger leurs procès et les condamner même à la mort; qu'est cela pour des hommes de foi? En guerre, les mener à sa suite contre des ennemis qui sont parfois les siens, mais non les leurs, et les obliger par le serment ou par la terreur à livrer pour lui leur vie. Ce sont là des actes de puissance, mais qui n'atteignent que les corps. Le pouvoir mystique, qui s'exprime par le symbole de la foi religieuse et qui se personnifie dans le prêtre, atteint l'homme dans le fond le plus intime de sa conscience. Il est donc en fait le premier. Que le prêtre, et, dans une religion centralisée, le souverain pontife lui-même, soit pauvre comme le Vasishtha des Hymnes, cela n'atteint aucunement son pouvoir spirituel, comme le prouve la lutte de ce même Vasishtha avec le riche Viçwâmtra qui fut vaincu, Râmâyana I; mais à une condition: c'est que le prêtre fasse acte de pauvreté, comme les

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Bhixus du buddhisme, d'autant plus puissants qu'ils ne possédaient rien; ou que, s'il a cette richesse qui constitue le pouvoir temporel presque à elle seule, il la tienne du peuple des croyants et non d'un certain prince, quel qu'il soit. La subordination, disons mieux, la soumission des brâhmanes vêdiques aux râjas venait uniquement, comme on le voit, de l'avidité des prêtres qui couraient à la richesse et ne la pouvaient recevoir que de leurs seigneurs. Lorsque le Buddha voulut séculariser le sacerdoce et lui donner l'indépendance absolue dont il jouit encore en Orient dans plusieurs de ses églises, il renonça d'abord aux biens de ce monde et fit de la pauvreté une obligation rigoureuse. Mais à la fin de la période vêdique, on voit cette même question, non encore mûrie pour ainsi dire, se présenter sous un tout autre aspect. En effet, l'indépendance du sacerdoce, dans le régime des castes qui tendait à s'établir, ne pouvait exister que si le pouvoir spirituel des prêtres venait à être reconnu comme supérieur à tous les autres; et cette reconnaissance ne pouvait avoir lieu que si un jour ce pouvoir se trouvait réuni avec le pouvoir temporel entre les mains d'un mème homme possédant d'ailleurs une noblesse héréditaire solidement établie et universellement recor.nue. On conçoit en effet que, chez un peuple jeune encore et plein de foi, l'autorité du sacerdoce devait avoir un prestige supérieur au pouvoir féodal lui-même, lequel ne s'exerçait que dans un rayon territorial très-court, tandis qu'un prêtre d'antique famille sacerdotale, parlant au nom de la religion commune, pouvait exercer son empire sur le peuple âryen tout entier.

Il faut lire, dans le Râmâyana et ailleurs, la lutte de Vasishtha représentant le pur sacerdoce, pauvre et obséquieux, mais non subjugé, et du riche Vicwamitra non encore parvenu à la dignité de brâhmane; et il faut voir par quels moyens et par quels efforts prolongés ce puissant seigneur sut y parvenir. Lorsque l'on compare ces fails, tels que la tradition épique les a conservés, avec les hymnes de Vasishtha et avec ceux de Viçwâmitra et de sa famille, qui sont très-nombreux et qui sont aussi les plus authentiques de tout le Vêda, un grand jour est répandu sur cette lutte qui devient dès lors un véritable point d'histoire et des plus instructifs pour nous. En effet la lutte des deux rishis, racontée avec une exagération symbolique dans les Épopées, se trouve aussi dans ces hymnes, sombre et parlois farouche, exprimée avec cette violence contenue et par ces allusions mystérieuses, les seules que l'hymne pieux puisse com

porter. Viçwâmitra, devenu brâhmane, acquit, comme on le sait, par la supériorité de son génie et l'énergie de ses austérités, une grande autorité dans le sacerdoce âryen. Le grand nombre et la beauté de ses hymnes lui donnent une place à part dans le Vêda; un d'eux acquit même la réputation singulière d'effacer les fautes et de purifier les âmes; c'est celui qui renferme la belle prière nommée Savitri, signalée dans les lois de Manu. Mais Viçwâmitra mourut avant que les castes fussent organisées; ce rôle était réservé à sa famille; lui-même avait toutefois donné dans sa personne l'exemple d'un râja devenu brâhmane et mettant le pouvoir sacerdotal audessus de l'autorité du seigneur.

Viçwâmitra était fils de Gâdhi, petit-fils de Kuça qui donna son nom à la famille des Kuçikas. Kuça descendait en ligne directe de Purûravas, par Vijaya, frère d'Ayu en qui le plus antique sacre royal avait été accompli, selon la tradition. Roi lui-même et père de rois, Purûravas était fils d'Ila fille de Manu, et de Rudha fils de Sôma qui est le régent de la Lune. Par Manu cette famille se rattachait à Vivaswat qui est le régent du Soleil. Ainsi, par toutes ses origines, Viçwâmitra était le descendant et l'héritier légitime de l'une des plus grandes familles royales des Aryas.

Vięwâmitra avait une sœur nommée Satyavati qui épousa le brâhmane Ritchika. Celui-ci descendait de Bhrigu, l'un des antiques instituteurs du sacrifice, et représentait par conséquent la puissance sacerdotale dans l'une des plus anciennes familles de rishis: on sait que plus tard ce fut sous le nom de Bhrigu que furent édictées les lois de Manu, code brâhmanique par excellence.

Ritchika et Satyavati eurent un fils nommé Jamadagni, poëte vêdique qui épousa Rênuka, fille de Rênu, autre poëte vêdique, fils de Viçwâmitra. Jamadagni et Rênukâ eurent un fils nommé Râma, célèbre dans l'Orient indien sous le nom de Paraçu-Râma qui veut dire Rama à la hache, par opposition avec un descendant royal d'Ixwâku frère d'Ila, nommé Râma-tchandra, venu beaucoup plus tard et qui est le héros du Râmâyana.

Voici le tableau qui représente les ancêtres de Paraçu-Râma :

Tome X.- 37° Livraison.

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Il est évident, par cette simple généalogie, que les Purânas et les Épopées nous donnent, et que le Vêda ne contredit pas, que ParaçuRâma réunissait en sa personne le pouvoir sacerdotal, tout spirituel alors mais opprimé, et le pouvoir d'action des xattryas. Car en ses veines coulait le sang des Purûravas et celui de Bhrigu. Or ParaçuRâma n'est pas dans le Vêda; mais son père y est encore et son bisaïeul y occupe la première place. Depuis Viçâwmitra, la famille de Kuça était devenue sacerdotale sans perdre son autorité temporelle; car, outre la noblesse de son origine, le Vêda nous montre qu'elle possédait de grands biens, et comme dit Vasistha, « des trésors auxquels rien ne résistait. Lorsque commença la lutte des rois et des prêtres, que rendait imminente l'orgueil des uns et l'avilissement des autres, le fils de Jamadagni, tout fils de rois qu'il était, n'en fut pas moins naturellement conduit à faire prévaloir dans sa propre personne le spirituel sur le temporel et à remettre au second rang les xattryas que leurs richesses et leur force avaient élevés au premier.

Nous appelons l'attention des lecteurs sur ce grand fait, jusqu'ici peu compris ou peu élucidé, de l'histoire indienne. Si les États modernes de l'Europe renfermaient plus d'éléments de caste que nous n'en avons signalé ci-dessus, et si la liberté octroyée à l'Église l'obligeait à choisir ses papes, non dans un seul pays, mais dans toute la catholicité, il pourrait arriver que le même homme fût à la fois le successeur de Pierre et le descendant de quelque famille de rois légitimes. Si les peuples avaient en ce moment la foi que les Aryas avaient dans Agni, au temps des fils de Viçwâmitra, l'Europe courrait l'un des plus grands dangers qu'elle ait eu à traverser. Car nul doute que le plus grand nombre de prêtres ne fît acte d'adhésion au souverain pontife qu'il aurait élu, et que beaucoup de fidèles ne

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