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Tout cela est d'un goût sobre, sévère, d'un sentiment parfait; c'est une imitation faite avec tant de soin, tous les détails sont si parfaitement traités, qu'il est douteux qu'on ait jamais fait mieux; trois jours après l'ouverture de l'Exposition, ce meuble était vendu à un orfévre de Londres, il vaut 30,000 francs.

Parmi les imitations de meubles de la renaissance et du moyen âge nombreux à Londres cette année, il faut encore citer le cabinet de deux corps elliptiques de M. Chaix, puis de bonnes sculptures sur bois de M. Mazaros.

M. Fourdinois a encore montré quelques meubles Louis XVI en marqueterie du meilleur goût, les fleurs qui les ornent sont parfaitement ajustées, les bronzes d'un goût excellent.

M. Grohé a une belle armoire d'ébène d'un très-bon style; au reste, il faudrait, dans cette partie de l'Exposition, accumuler les noms, si l'on voulait parler de tous nos artistes du faubourg Saint-Antoine qui se sont réellement surpassés.

C'est encore à la France, sans aucune discussion, que doit revenir la palme dans la fabrication des tapisseries. En passant rapidement sur les Gobelins, qui ont reproduit avec leur habileté séculaire un tableau du Titien, nous pouvons nous étendre davantage sur l'admirable exposition de Beauvais que M. Badin dirige avec tant d'habileté. Une copie d'après Desportes est très-amusante, nous lui préférons toutefois une adorable tapisserie d'après Mignon, c'est une nature morte, sujet qui convient particulièrement à l'ornementation; les vases, les fruits, ont l'éclat de la nature, mais je ne sais quoi de doux et de tempéré que donne la tapisserie, qui, selon nous, enchâssée au milieu d'une riche boiserie, se mariera toujours à l'ameublement mieux qu'une peinture.

Le beau meuble qu'expose encore Beauvais est de la plus admirable exécution et tout à fait dans les limites de la décoration; des fleurs charmantes sont jetées à pleine main sur un fond très-doux, vert d'eau, qui leur laisse toute leur valeur.

Aubusson, Neuilly ont également exposé de fort jolis meubles, les bouquets qui les couvrent sont très-bien dessinés, et le ton général est toujours des plus heureux.

L'industrie anglaise, tout en admirant beaucoup nos tapisseries, ne paraît pas vouloir s'engager dans la même voie, elle les trouve trop chères, et n'y voit guère d'autre mérite que celui de la difficulté vaincue.

Nous n'avons rien vu, en effet, qui puisse lutter avec nos manufactures françaises. Un des plus grands tapis exposés représente l'échange du traité de commerce entre l'Empereur et la Reine d'Angleterre ;

on ne peut qu'applaudir à la pensée qui a dicté cette œuvre, mais on ne peut accorder une aussi complète approbation à l'exécution. Les Anglais mettent des tapis dans tous leurs appartements, ils ne se soucient pas beaucoup, cependant, de les avoir de très-belle qualité. Ce serait encore en Orient qu'il faudrait retourner pour trouver cette industrie dans toute sa perfection; les tapis de Perse sont rares malheureusement; il est évident toutefois que nos fabricants feront bien de s'en inspirer le plus possible, jamais ils ne trouveront de dessins plus variés, plus riches, en même temps que des couleurs plus douces et plus harmonieuses.

L'industrie des papiers peints présente aussi chez nous une grande importance; s'il est un reproche à lui faire, c'est peut-être de dépasser le but, d'aller trop loin, et de vouloir arriver à faire des tableaux au lieu de s'en tenir à l'ornementation. Elle nous a paru toutefois s'être rapprochée de la bonne voie depuis sept ans, car si nous voyons encore de charmants paysages, nous n'avons pas remarqué de tableaux complets comme les fabricants de papiers peints en avaient exposé en 1855.

V

CONCLUSION.

Nous avons groupé dans cette étude rapide tout ce qui touche aux arts industriels; nous voudrions essayer maintenant de résumer l'impression que nous a laissée l'examen qu'un trop court séjour à Londres nous a permis de faire.

Il n'y a pas à douter un instant que la lutte sérieuse n'existe qu'entre l'Angleterre et la France; la Belgique et la Russie ont montré quelques produits intéressants, mais ni l'un ni l'autre de ces deux pays n'a une puissance ou une richesse suffisantes pour tenter le combat.

Nous n'avons pas dissimulé les progrès très-rapides qu'a faits l'Angleterre; les objets d'orfévrerie, la céramique sont au niveau des nôtres; l'ébénisterie s'est considérablement améliorée. Pouvons-nous craindre que la supériorité dans la fabrication des produits d'art que nous avons su fixer en France passe chez nos voisins, et que, dans un temps plus ou moins court, le monde aille s'approvisionner d'articles de goût à Londres au lieu de se fournir à Paris?

C'est dans les galeries de l'exposition des beaux-arts que se trouve la réponse à cette question; nous ne pouvons avoir ici la prétention d'analyser même sommairement les œuvres importantes qui ont été réunies à Londres cette année; mais si étranger qu'on soit à la critique d'art, on ne peut hésiter à reconnaître la supériorité des pein

tures envoyées par la France, à celles qu'expose la Grande-Bretagne. Cette supériorité est d'autant plus frappante que notre exposition se compose exclusivement d'œuvres récentes dues à des artistes vivants ou morts depuis peu, tandis que l'Angleterre, sentant combien la lutte était sérieuse, avait amené en ligne tous ses peintres illustres: Hogarth, Wilkie, Reynolds, Gainsborough, Lawrence, Bonington, Turner, et enfin sir E. Landseer.

Que ces noms soient attachés à des œuvres du plus grand mérite, cela n'est pas douteux, leur supériorité s'impose au reste d'autant plus que les toiles voisines sont plus faibles, mais si en les regardant on est bien persuadé que l'Angleterre a eu des peintres de mérite, on reste convaincu en parcourant l'ensemble des galeries qu'il n'y a pas d'école anglaise.

Il n'en est pas de même chez nous, depuis plus de deux siècles nos maîtres ont toujours trouvé derrière eux toute une armée d'artistes de second ordre.

Les sculpteurs sur bois du faubourg Saint-Antoine ne sont certainement pas des ouvriers, ce sont des hommes qui ont reçu une éducation spéciale suffisante pour savoir modeler une figure; la plupart des sculpteurs sur pierre qui cisèlent nos édifices ont sans doute rêvé de faire de véritables statues avant d'en être réduits à n'être que des ornemanistes.

En un mot, si notre art industriel s'est toujours perfectionné, s'il a atteint le point où il est aujourd'hui, c'est parce que nous avons eu toujours une école de peinture et de sculpture extrêmement distinguée. Ces deux manifestations de notre génie national se tiennent l'une l'autre; l'art industriel dérive de l'art proprement dit.

Il en a toujours été ainsi; et si une foule d'objets de la renaissance, meubles, faïences, ciselures, etc., ont pour nous encore tant de valeur, c'est qu'ils sont les œuvres d'artistes qui étaient les élèves des grands maîtres italiens.

Si nous cherchons maintenant à appliquer ce raisonnement à l'Angleterre, nous avons lieu d'être rassurés. Son école de peinture proprement dite est très-faible; elle compte quelques hommes éminents, sans aucun doute, mais ils sont rares, et la masse des artistes qui leur font cortége reste très-loin derrière eux. Il ne nous paraît donc pas qu'avec un état-major aussi peu nombreux, l'armée de l'art industriel puisse arriver à un niveau très-élevé; il ne nous paraît pas que des artistes, faibles en moyenne, puissent guider des industriels et les conduire où eux-mêmes ne sauraient aller.

Il faut bien compter cependant sur la persévérance du caractère anglais, qui veut les choses avec passion, avec constance; il faut

compter sur la richesse de l'Angleterre, qui lui permettra d'attirer des artistes étrangers, de les retenir, de s'en faire des guides sûrs et habiles. Il faut reconnaître encore les efforts que fait toute la nation pour acquérir le goût des arts, pour faire l'éducation de ses yeux et de ses oreilles; l'Angleterre a dépensé à Sydenham des sommes considérables pour avoir un musée renfermant les modèles d'art les plus parfaits, elle y a accumulé des copies de toutes sortes, souvent, il est vrai, avec un discernement insuffisant, sans que la tendance générale en soit cependant moins marquée; l'Angleterre a su déjà se corriger; elle a su modifier son goût de façon à préférer les choses réellement belles à ce qu'elle aimait autrefois.

Il y a donc lieu de prendre en considération cette tendance trèsprononcée. Pour réussir dans l'entreprise qu'elle tente, pour arriver à nous égaler, la Grande-Bretagne peut suivre deux chemins différents, ou bien elle s'efforcera d'attirer chez elle des artistes étrangers comme elle le fait actuellement; ils fabriqueront en Angleterre des produits analogues à ceux qu'ils feraient en France, et elle aura à Londres des produits parisiens, moins parfaits cependant, car elle n'aura jamais cette immense variété de talent, d'aptitude, de science, qui sont accumulés dans Paris. Mais cette méthode sera peu féconde; il lui faudra presque toujours revenir à ces artistes étrangers, dont l'influence suffisante pour faire des vases, des meubles, pour décorer des poteries, sera, sans doute, impuissante à créer une école.

L'Angleterre pourra encore s'efforcer de faire naître chez elle une véritable école de peinture, elle emploiera toutes ses ressources, toute la puissance dont elle dispose, pour favoriser les artistes qui naîtront dans la Grande-Bretagne, pour les ramener à un art sérieux, au lieu d'applaudir aux berquinades qu'ils lui montrent aujourd'hui.

Il y a, au reste, un grand enseignement pour nous dans cette exposition; la France a, certes, encore le droit d'être fière, mais si elle est encore la première, elle n'est plus seule sur le terrain qu'elle parcourait, peut-être, avec un peu trop de confiance dans sa force. Il faut redoubler d'efforts, il faut puiser aux sources les plus pures, chercher des inspirations chez les plus forts, s'efforcer de faire même pour ce qui se vend à bas prix des modèles de bon goût; il faut être, en un mot, complétement persuadé que tout ce qu'on fait n'est pas admirable, et se souvenir qu'on a encore beaucoup à apprendre.

P.-P. DEHÉRAIN.

BIBLIOGRAPHIE

ÉTUDES MORALES ET POLITIQUES,

Par M. ÉDOUARD LABOULAYE, membre de l'Institut 1.

Quand Franklin vint en France comme ambassadeur de la république américaine et qu'il présenta à Voltaire son petit-fils: God and liberty! dit Voltaire, voilà la seule bénédiction qui convienne au petit-fils de monsieur Franklin. » Ces deux mots sont restés la devise de l'Amérique, ils pourraient être celle du livre de M. Laboulaye. << Dieu et la liberté : » deux idées moins incompatibles que ne le croient ceux qui sont disposés à rejeter la seconde. Voyez la république américaine, c'est le pays le plus libre du monde, et c'est aussi le pays où le sentiment religieux, s'il n'est pas toujours orthodoxe, a pourtant le plus de profondeur et d'énergie. Il n'en est pas tout à fait de même en Europe. Bien des gens, qui admettraient peut-être le principe de non-intervention dans des choses moins importantes, n'ont pu encore se faire à l'idée que la puissance publique cessât de s'interposer entre Dieu et la conscience : Dieu leur semble ne pouvoir se passer de leur protection. Le résultat le plus clair de ce système prohibitif à l'égard de certaines doctrines réputées dangereuses, est de leur assurer, outre l'attrait du fruit défendu, un intérêt plus élevé. Il y aura toujours une prévention inévitable en faveur des gens qui risquent quelque chose pour exprimer leur opinion. Ajoutons à cela que le philosophe spiritualiste éprouvera alors une sorte de répugnance à combattre des adversaires qu'il ne sent pas aussi libres que lui. Dans le duel des opinions humaines, il faut que les armes soient égales. La liberté que l'on retranche au panthéisme ou au matérialisme, est également retranchée aux doctrines opposées : rien n'est plus lourd pour une conscience délicate qu'une protection qu'elle sait être refusée à d'autres consciences. En usant de son droit de proclamer sa croyance, elle semble abuser d'un privilége. Si c'est une grande douceur pour les convictions chancelantes de se sentir

1. Paris, Charpentier, quai de l'École, 28.

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