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delles, allongea le col avec un mouvement d'oiseau curieux qui passe sa tête entre deux feuilles, plongea le regard dans la salle et découvrit le marquis de Bruyères tout rouge de satisfaction et dont les yeux petillants de désir flambaient comme des escarboucles. Il avait retrouvé la Lisette, la Marton, la Sméraldine de son rêve! Il était aux anges.

Monsieur le marquis est arrivé, dit tout bas Zerbine à Blazius qui jouait Pandolfe, dans l'intervalle d'une demande à une réplique avec cette voix à bouche close que les acteurs savent prendre lorsqu'ils causent entre eux sur le théâtre et ne veulent point être entendus par le public; vois comme il jubile, comme il rayonne, comme il est passionné! Il ne se tient pas d'aise, et n'était la vergogne, il sauterait par-dessus la rampe pour me venir embrasser devant tout le monde. Ah! monsieur de Bruyères, les soubrettes vous plaisent. Eh bien! l'on vous en fricassera avec sel, piment et muscade.

A partir de cet endroit de la pièce, Zerbine fit feu des quatre pieds et joua avec une verve enragée. Elle semblait lumineuse à force de gaieté, d'esprit et d'ardeur. Le marquis comprit qu'il ne pourrait plus se passer désormais de cette âcre sensation. Toutes les autres femmes dont il avait eu les bonnes grâces, et qu'il opposait en souvenir à Zerbine lui parurent ternes, ennuyeuses et fades.

La pièce de M. de Scudéry qu'on répéta ensuite, fit plaisir quoique moins amusante, et Léandre, chargé du rôle de Lygdamon, y fut charmant; mais puisque nous sommes sûrs du talent de nos comédiens, laissons-les à leurs affaires et suivons le duc de Vallombreuse et son ami Vidalinc.

Outré de fureur après cette scène où il n'avait pas eu l'avantage, le jeune duc était rentré à l'hôtel Vallombreuse avec son confident méditant mille projets de vengeance; les plus doux ne tendaient à rien moins qu'à faire bâtonner l'insolent capitaine jusques à le laisser pour mort sur la place.

Vidalinc cherchait en vain à le calmer; le duc se tordait les mains de rage et courait par la chambre comme un forcené, donnant des coups de poing aux fauteuils qui tombaient comiquement les quatre fers en l'air, renversant les tables et faisant pour passer sa fureur toutes sortes de dégats; même il saisit un vase du Japon et le lança contre le parquet où il se brisa en mille morceaux.

Oh! s'écriait-il, je voudrais pouvoir casser ce drôle comme ce vase et le piétiner et en balayer les restes aux ordures! Un misérable

qui ose s'interposer entre moi et l'objet de mon désir! S'il était seulement gentilhomme, je le combattrais à l'épée, à la dague, au pistolet, à pied, à cheval, jusqu'à ce que j'aie posé le pied sur sa poitrine et craché à la face de son cadavre!

-Peut-être l'est-il, fit Vidalinc, je le croirais assez à son assurance; maître Bilot a parlé d'un comédien qui s'était engagé par amour et qu'Isabelle regardait d'un œil favorable. Ce doit être celui-là, si j'en juge à sa jalousie et au trouble de l'infante.

Y penses-tu, reprit Vallombreuse, une personne de condition se mêler à ces baladins, monter sur les tréteaux, se barbouiller de rouge, recevoir des nazardes et des coups de pied au derrière ! Non, cela est par trop impossible.

Jupiter s'est bien mué en bête et même en mari pour jouir de mortelles, répondit Vidalinc, dérogation plus forte à la majesté d'un dieu olympien que jouer la comédie à la dignité d'un noble.

N'importe, dit le duc en appuyant le pouce sur un timbre, je vais d'abord punir l'histrion, sauf à châtier plus tard l'homme s'il y en a un derrière ce masque ridicule.

-S'il y en a un ! n'en doutez pas, reprit l'ami de Vallombreuse; ses yeux brillaient comme des lampes sous le crin de ses sourcils postiches, et malgré son nez de carton barbouillé de cinabre, il avait l'air majestueux et terrible, chose difficile en cet accoutrement.

— Tant mieux, dit Vallombrense, ma vengeance ainsi ne donnera pas de coups d'épée dans l'eau et rencontrera une poitrine devant ses coups.

Un domestique entra, s'inclina profondément et dans une immobilité parfaite attendit les ordres du maître.

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Fais lever, s'ils sont couchés, Basque, Azolan, Merindol et Labriche, dis-leur de s'armer de bons gourdins et d'aller attendre à la sortie du jeu de paume où sont les comédiens d'Hérode, un certain capitaine Fracasse. Qu'ils l'assaillent, le gourment et le laissent sur le carreau sans le tuer pourtant; on pourrait croire que j'en ai peur! Je me charge des suites. En le bâtonnant qu'on lui crie: De la part du duc de Vallombreuse; afin qu'il n'en ignore.

Cette commission d'une nature assez farouche et truculente ne parut pas surprendre beaucoup le laquais, qui 'se retira en assurant à monsieur le duc que ses ordres allaient être exécutés sur l'heure.

· Cela me contrarie, dit Vidalinc, lorsque le valet se fut retiré,

que vous fassiez traiter de la sorte ce baladin, qui après tout, a montré un cœur au-dessus de son état. Voulez-vous que sous un prétexte ou l'autre j'aille lui chercher querelle et que je le tue? Tous les sangs sont rouges quand on les verse, quoiqu'on dise que celui des nobles soit bleu. Je suis de bonne et ancienne souche, mais non d'un rang si grand que le vôtre et ma délicatesse ne craint pas de se commettre. Dites un mot et j'y vais. Ce capitaine me semble plus digne de l'épée que du bâton.

- Je te remercie, répondit le duc, de cette offre qui me prouve la fidélité parfaite avec laquelle tu entres dans mes intérêts, mais je ne saurais pourtant l'accepter. Ce faquin a osé me toucher. Il convient qu'il expie ignominieusement ce crime. S'il est gentilhomme, il trouvera à qui parler. Je réponds toujours quand on m'interroge avec une épée.

- Comme il vous plaira, monsieur le duc, dit Vidalinc en allon geant ses pieds sur un tabouret comme un homme qui n'a plus qu'à laisser aller les choses. A propos, savez-vous que cette Sérafine est charmante ! Je lui ai dit quelques douceurs et j'en ai déjà obtenu un rendez-vous. Maître Bilot avait raison.

Le duc et son ami, retombant dans le silence, attendirent le retour des estafiers.

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE

DE 1862

PREMIÈRE PARTIE.

ARTS INDUSTRIELS.

I

ASPECT GÉNÉRAL.

Avec un plan de Londres dans sa poche, un bon marcheur n'est pas effrayé d'aller d'Oxford street au palais de Kensington; il dédaigne les omnibus et s'achemine résolûment vers Hyde Park.

Dès l'entrée, on aperçoit de loin, un peu effacés dans le brouillard du matin, deux gros dômes de verre; ils servent de guide au milieu des sentiers poudreux et des gazons râpés sur lesquels les grenadiers anglais font l'exercice.

En les apercevant on pensait à une architecture aérienne, gracieuse, élancée, hardie; quand on est arrivé, on se trouve devant de gros murs gris, sombres, rébarbatifs, admirables pour une prison, mais qui jurent étrangement avec leur léger couronnement.

A dix heures les portes s'ouvrent; le shilling à la main, vous arrivez fort bousculé jusqu'aux tourniquets et vous pénétrez dans l'immense vaisseau de l'exposition. La mauvaise humeur que vous avait inspiré son aspect extérieur passe vite; et vous êtes charmé de la lumière, de l'éclat, de la splendeur du spectacle qui se déroule devant

vous.

On entre généralement à l'Exposition par les portes de l'Est; en quelques pas on est sous l'un des deux grands dômes; devant soi, en contre-bas, s'allonge la nef, qui va se terminer au loin par un grand espace circulaire, surmonté du dôme de l'ouest. A droite et à gauche sont deux grands espaces libres, les galeries n'entourent pas le palais de toutes parts; elles sont coupées par deux grands transepts perpendiculaires à la nef principale, à la hauteur des dômes. Le bon aspect intérieur de l'Exposition est dû certainement à un très-heureux emploi de la polychromie; les colonnes qui supportent

le dôme de cristal sont peintes; les voussures qui soutiennent la toiture sont enrichies de couleurs dont la violence s'éteint sous la distance et le brouillard, qui entre partout à Londres, et vient toujours estomper de tons gris, fins, très-doux, les objets éloignés.

Les drapeaux fixés aux galeries descendent sur la nef et y agitent leurs plis brillants. Les banderolles sur lesquelles se lit la nature des objets exposés, ajoutent l'effet de leur rouge très-vif à la riche couleur des pavillons de toutes les nations du monde, de toutes les villes britanniques industrielles; l'ensemble est donc heureux : c'est un bon cadre pour cette foule élégante, curieuse, affairée, qui se presse en tout sens dans les passages trop étroits du palais.

Si l'on descend aux détails, on est moins satisfait. Le transept, la grande artère principale, manque de largeur; les longues lignes de trophées qui y sont exposés suffisent pour l'obstruer, et la foule n'y chemine que lentement. Si elle stationne un instant à une vitrine particulièrement intéressante, elle arrête le mouvement; il faut attendre ou se jeter de côté pour aller plus avant. Les escaliers qui conduisent aux galeries, à peine visibles, nullement indiqués dans l'ensemble du monument, sont d'une construction très-négligée. Ce beau motif que l'architecte se plaît à étudier, a été complétement abandonné; notre palais de Paris, avec ses escaliers monumentaux, nous a gâtés sans doute, mais nous ne pouvons nous habituer à ces échelles d'arrière-boutique qu'on a osé placer dans l'Exposition.

Les galeries n'occupent pas tous les bas-côtés du palais; elles les divisent en une série de carrés qui portent le nom de cours; on a ainsi évité un des graves inconvénients du palais de Paris, l'obscurité sous les galeries; mais on est tombé sur un autre écueil: on a divisé l'Exposition en une série de petits compartiments qui se lient difficilement à l'ensemble on a émietté l'espace. Malgré ses grandes dimensions, le palais a été insuffisant pour contenir la masse énorme d'objets exposés; et deux annexes ont dû être construites: celle de l'Ouest renferme les machines en mouvement, celle de l'Est est destinée aux matières alimentaires, aux produits chimiques et aux machines agricoles.

Tout le monde se rappelle encore l'aspect imposant qu'avait en 1855 la partie de l'annexe destinée aux machines en mouvement, l'habile architecte chargé de l'installation, M. Émile Trélat, qui professe au Conservatoire des arts et métiers avec tant d'originalité, avait su admirablement profiter de la longue galerie dans laquelle il devait organiser ses machines; un arbre de couche énorme parcourait l'édifice dans sa longueur, les machines prenaient sur ses poulies la

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