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les autres refusent. L'électeur n'aurait jamais rendu à ses sujets cette constitution de 1831 qu'ils réclamaient depuis si longtemps de lui, sans le hasard providentiel qui a fait que la Prusse et l'Autriche se sont trouvées à la fois éprouver l'ambition de se refaire une popularité en Allemagne. Ces deux puissances, dont l'une cherchait à ce moment même à imposer à ses sujets des députés dont ils ne voulaient pas, et dont l'autre refuse aux Vénitiens, aux Hongrois et à d'autres nationalités ce que les Hessois cherchent à obtenir de leur gouvernement, ont été scandalisées de la dureté de cœur dont témoignait la conduite de l'électeur, et comme il refusait de faire à ses dépens les frais de leur philanthropie, elles ont exercé sur lui une pression morale, ce qui veut dire qu'elles ont fait avancer quelques troupes du côté des frontières de la Hesse.

L'électeur s'est rendu aux vœux de ses bien-aimés lorsqu'il n'a plus pu faire autrement, ainsi qu'il arrive toujours, et la Prusse, tenant jusqu'au bout à surpasser sa rivale, a été jusqu'à lui imposer le renvoi du ministère hessois. Ainsi s'est accompli cet heureux événement qui a inspiré partout le regret que la sphère de l'action collective des deux puissances germaniques ne s'étende pas au delà des limites de la confédération. Nous connaissons en Europe de nombreux conflits dont le règlement n'est pas moins urgent que celui du différend hessois.

Les élections prussiennes ont tenu toutes leurs promesses, et nous n'avons pas jusqu'à présent la moindre restriction à élever au sujet de l'admirable exemple que nous offre la Prusse. C'est avec ce calme dans la fermeté qu'on doit user de ses droits lorsqu'on veut se montrer digne de les garder et capable de les défendre, et il est impossible qu'en présence d'un tel spectacle un gouvernement ne se sente pas vaincu et obligé de céder. Le roi de Prusse semble avoir accepté de bonne grâce sa défaite sur le champ de bataille électoral, et on lui a rendu ce devoir facile par les égards, la modération qu'on a apportés dans la victoire. Il s'agit maintenant de consolider ce succès et d'en retirer tous les fruits qu'il peut donner, ce qui ne demande ni moins de ménagements, ni moins d'habileté. La Chambre va donner dans son adresse le sens général de son programme politique; nous ne discuterons pas ici les différents projets qui ont été présentés par les trois principales fractions de l'Assemblée; nous y notons seulement en passant, comme l'expression d'un sentiment qui est aujourd'hui dans tous les esprits, bien qu'il soit peut-être destiné à ne pas être accueilli dans la rédaction définitive, le paragraphe qui dénonce nettement à la couronne l'hostilité systématique de la chambre haute pour toutes les réformes réclamées par l'opinion, et la sollicite de faire cesser cette opposition par les moyens constitutionnels, c'est-à-dire vraisembla-· blement en modifiant sa majorité. C'est là que se trouve le nœud de la

situation actuelle de la Prusse, et c'est sur ce point que se livreront les batailles les plus sérieuses.

L'effort de l'Allemagne pour se constituer autour de ses deux grands pôles du nord et du midi est surabondamment justifié par les mouvements qui s'annoncent dans l'Europe orientale, et surtout par la dissolution de plus en plus imminente de l'empire ottoman. Sans adopter les bruits qui ont cours présentement au sujet d'une alliance entre la France et la Russie, en prévision de cette éventualité, on ne peut contester que l'état actuel de la Turquie ne soit une menace permanente pour la paix de l'Europe. C'est ce que lord Palmerston a pu répondre avec toute justice à ses adversaires dans la discussion qui vient de mettre en question l'existence du ministère wigh. Dans l'état de défiance et d'isolement où se trouvent aujourd'hui tous les gouvernements de l'Europe, les armements sont le seul gage de sécurité sur lequel on puisse compter.

La guerre des États-Unis marche vers son dénoûment. La prise de la Nouvelle-Orléans, l'évacuation de Yorktown, les avantages de toute sorte remportés par les armées du Nord permettent d'espérer, malgré les échecs partiels qui s'y sont mêlés, que l'assurance donnée par M. Jefferson-Davis, de prolonger pendant vingt ans la guerre en Virginie, est une bravade qui recevra un prompt démenti.

Quoi qu'il arrive, il est bien difficile que la cause d'esclavage se relève jamais des revers qu'elle a subis. On voit aujourd'hui assez clairement que c'était bien l'émancipation des noirs qui était au fond de cette guerre. Chaque jour nous apporte quelque nouvelle mesure décrétée pour en assurer le succès, aujourd'hui l'abolition de l'esclavage dans les territoires, c'est-à-dire dans les États naissants de l'Union, demain le traité signé avec l'Angleterre pour l'abolition de la traite des nègres, traité consacrant ce droit de visite qui a été si longtemps odieux aux États-Unis et qui a fait naître tant de guerres; et lorsqu'on désavoue un agent trop zélé, ce qui vient d'arriver pour le général Hunter, c'est en réservant hautement les droits du congrès, seul juge en cette matière. Dans de telles circonstances, il serait à jamais déplorable qu'une guerre dont personne ne veut et que tout le monde redoute, une guerre avec la France, vînt remettre en question tant de précieux résultats, de difficultés déjà résolues, et cela pour un motif aussi futile que la « régénération du Mexique. » Ce serait assurément payer bien cher ce jeu de mots.

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CHAPITRE VIII.

TRUTH, HUMBUG AND Co.

ÆGRI SOMNIA.

A peine éveillé, je courus à la fenêtre, je voulais jouir de ma célébrité naissante, et contempler une fois encore mon nom proclamé par-dessus les toits. Le tableau était à sa place. Tous les passants y jetaient les yeux, mais, ô vanité des gloires humaines ! voilà ce qu'on y lisait :

Arrivée du Persia.

GRANDES NOUVELLES D'EUROPE.

LONDRES. Consol. 92 3/47

LIVERPOOL. Cotons, hausse de 20 p. %.

Porc salé (Cléveland), 4,000 boucauts demandés à 14 dollars.

AUX AGRICULTEURS, OCCASION UNIQUE!!!

Quatre beaux ANES D'ITALIE, étalons premier choix.

S'adresser à MM. Ginocchio frères, 70, William street.

Peuple de marchands! m'écriai-je en montrant le poing aux passants: race grossière qui fais marcher pêle-mêle et du même pas les affaires, les sentiments, le coton et les idées, je remercie Dieu de ne pas t'appartenir. Vive le pays de l'idéal, vive la France qu'on entraîne toujours avec un mot sonore, la France qui, Dieu soit loué, ne songe jamais à ses intérêts que lorsqu'il est trop tard! Notre folie vaut mieux que la sagesse de ces Yankees; notre pauvreté est plus noble que leur richesse. Quatre ânes d'Italie, et le prix du porc, voilà les grandes nouvelles d'Europe, pour ces fermiers ignorants! Et de

i Voir la 38e livraison.

Tome X. 39 Livraison.

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la France, des modes nouvelles, du dernier roman, du dernier vaudeville, pas un mot! Pâles Vandales, je n'ai pour vous que du mépris.

Tout en donnant libre cours à ma juste colère, je n'en voulus pas moins remercier le journaliste qui la veille avait parlé de moi. Quel que fût ce folliculaire, il ne me convenait pas d'être son obligé ; l'honorer de ma visite, c'était déjà m'acquitter.

J'entrai dans une maison de mince apparence, qui n'avait pour toute enseigne qu'une plaque de cuivre, clouée au mur, et sur laquelle on lisait: PARIS-TÉLÉGRAPHE. Truth, Humbug et Co, propriétaires-directeurs. Une porte de serge verte était devant moi, je la poussai, et me trouvai en face d'un petit homme habillé de noir et boutonné jusqu'au cou c'était M. Truth. Assis devant un bureau d'acajou, il tenait à la main d'énormes ciseaux, découpait de longues bandes de papier dans un journal anglais, et les jetait dans une espèce de boîte aux lettres qui communiquait avec l'imprimerie. C'était de la rédaction à bon marché.

Que voulez-vous, monsieur? demanda-t-il sans lever la tête et sans interrompre son travail.

Monsieur, lui dis-je d'une voix grave et posée, je suis le docteur Daniel Smith, pompier de la septième compagnie, celui-là même dont vous avez eu la bonté de faire l'éloge dans votre feuille d'hier soir.

- Bien, dit le journaliste en continuant ses découpures. Que voulez-vous?

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Vous remercier, monsieur; payer la dette de la reconnaissance. Il me regarda d'un air surpris:

- Vous ne me devez rien, docteur. En publiant votre belle action, j'ai fait mon métier; et vous m'avez valu hier plus de deux cents dollars. Vous n'êtes donc pas mon obligé.

Sur quoi il reprit son travail, sans même m'inviter à m'asseoir.

Monsieur Truth, lui dis-je d'un ton sec et digne, je ne m'inquiète point des motifs qui vous ont fait agir hier; vous m'avez rendu service, je suis et je reste votre débiteur.

Sur quoi je le saluai. Il redressa la tête et fixa sur moi de grands yeux noirs dont l'expression douloureuse me frappa.

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Docteur, dit-il, d'une voix haletante, si vous tenez absolument à vous acquitter d'une dette imaginaire, en voici l'occasion. Ditesmoi en toute sincérité quel est le mal dont je souffre et combien de temps il me reste à vivre.

Il se leva, posa la main sur son cœur et s'arrêta tout à coup. Un asthme violent l'oppressait. Je lui tâtai le pouls, j'écoutai sa respiration, je l'auscultai; il y avait des symptômes qui ne permettaient pas de se tromper.

-Docteur, me dit Truth, je vous demande la vérité. Quand on a, comme moi, l'habitude de la dire à tout le monde, on a la force de l'entendre pour son propre compte. J'ai besoin de savoir où j'en

suis.

Vous avez, lui répondis-je, une maladie de cœur, qui est loin d'être incurable. Des cigarettes de stramonium vous soulageront. Mais, si vous voulez guérir, il vous faut un air pur, une vie calme, le repos de l'âme et du corps, toutes choses qu'on ne trouve point dans le bureau d'un journal.

- Merci, docteur, me dit-il; votre avis est celui-là même que mon médecin m'a donné ce matin. Il faut renoncer aux fatigues de ma profession; soit, le plus tôt vaudra le mieux. Un Yankee ne regarde jamais en arrière. Docteur, achetez-moi mon journal. Je vous vends ma part vingt mille dollars; en six mois vous les aurez gagnés. Est-ce fait?

Peste! m'écriai-je, comme vous y allez. Moi journaliste! c'est un honneur auquel je n'ai jamais songé.

-Songez-y. Pour un homme de bien, c'est le premier des états. Y a-t-il rien de plus beau que de guider ses frères dans la voie de la justice et de la vérité?

Journaliste, c'est un rôle que de loin on n'estime guère, mais, de près, je ne sais pourquoi, chacun veut en tâter. Les journalistes sont de même famille que les comédiens; on les dédaigne et on les envie. Ces bohèmes ont de l'esprit; en se frottant à eux, on se sent moins bourgeois. Pas une belle dame qui ne soit heureuse d'approcher les grandes coquettes; pas un homme d'État qui à une heure donnée ne s'enrôle modestement parmi les faiseurs de journaux. Malgré moi la proposition de M. Truth chatouillait ma vanité, l'idée de mener l'opinion me souriait. Un homme comme moi a tant de choses à apprendre à cette masse ignorante et stupide qu'on nomme le public! Le sentiment de ma dignité m'empêcha de céder à cette folie.

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Diriger un journal, dis-je à mon malade, est chose trop difficile pour qui n'est pas né dans cette industrie.

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Non, rien n'est plus simple. Asseyez-vous là, près de moi, restez-y pendant deux heures, vous aurez le secret du métier. Au

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