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Tonneau, la Fiole de Cagliostro, les Premières Armes de Richelieu, un Lauzun de fantaisie, Gentil-Bernard, Colombine, etc., que de types qui s'en iront avec elle, et ne reviendront plus! Mais elle ne s'en ira pas, puisque la voici, toujours jeune, toujours vive et toujours espiègle.

Après avoir été Frétillon et Léandre, pourquoi ne serait-elle pas, ce soir, ce prince de Conti si libéral et si bon qui jouait aux échecs avec Jean-Jacques? Monseigneur, n'ayant encore que seize ans, est déjà colonel d'un régiment qu'il n'a jamais vu. En attendant l'heure de mener ses soldats au feu, Monseigneur échappe à la surveillance de son pédagogue, descend dans la rue, et suit une grisette jolie et court-vêtue qui a une jolie jambe. Cette jambe conduit le prince aux Prés-Saint-Gervais, lieu champêtre où l'on dînait sur l'herbe. Le jeune écolier y tombe au milieu d'une famille de bourgeois qui l'invitent à manger sa part de leur festin portatif, et, comme il ne sait pas manger sans argenterie et sans vaisselle, il prête à rire à ses dépens. Mais en quelques minutes le bambin se dégourdit. Pour bien employer son temps d'école buissonnière, il embrasse et chiffonne la grisette, il se bat à l'épée avec un des soldats de son régiment; il danse avec les bons bourgeois, et berne son précepteur M. Harpin, qu'il rencontre aux Prés-Saint-Gervais, parfaitement ivre de vin nouveau. Le pédagogue, de son côté, professait aux buissons. Mais le véritable but de la pièce, c'est de faire chanter au petit prince les chansons du temps passé: Femme sensible, N'y a pas d'mal à ça, la Belle Bourbonnaise, etc., romances sentimentales, couplets grivois, airs à boire fredonnés par nos pères et ressuscités par Déjazet, fleurs de gaieté, écloses, les unes au cabaret, entre deux rasades, les autres sur l'herbe courte ou le foin des prairies. L'auteur n'a pas tout pris. Dans ce champ-là, on peut toujours glaner, et si c'est un larcin, j'en dirais volontiers comme la chanson Ny a pas d'mal à ça, larira! Si les rêveurs ou les bons vivants qui ont eu jadis toutes ces petites inspirations d'un moment pouvaient revenir un soir et les voir passer sur les lèvres de l'écolier en goguette du boulevard du Temple, ils seraient bien étonnés d'y avoir mis, sans le savoir, tant de finesse et tant de nuances, car qui dit Déjazet dit l'esprit incarné; l'honneur de ce succès lui revient tout entier.

PAUL DE MUSSET.

I

A tout seigneur tout honneur; commençons par les princes et les ambassadeurs. Le prince Napoléon est allé à Naples; le vice-roi d'Égypte a passé trois semaines en France; les Japonnais sont en Angleterre; enfin les Touâregs sont arrivés à Paris. On ignore quel a été le but du voyage du prince Napoléon, et personne ne sait au juste ce qui a amené ici le vice-roi d'Égypte : voilà les informations les plus précises que j'ai pu obtenir des personnes les mieux informées. Aux gens curieux qui ne se tiendront pas pour satisfaits, je répondrai que la France est devenue, depuis une dizaine d'années, un pays à surprises, si j'ose m'exprimer ainsi; ils sauront tout en temps et lieu, et la chose faite, s'il y a une chose, on le leur dira: il le faudra bien. Le prince français a été accueilli à Naples aux cris de vive Victor-Emmanuel! Quant à Mohammed-Saïd-Pacha, on lui a généralement reconnu, dans nos journaux, un esprit tout français. Comment les deux voyageurs ne seraient-ils pas satisfaits de ces compliments un peu indirects, un peu impersonnels sans doute, mais qui cependant impliquent une sorte d'adoption? Du reste, avoir l'esprit français veut tout bonnement dire chez nous avoir de l'esprit; et personne à Paris, que je sache, n'aurait eru faire l'éloge du fils de Méhémet-Ali en déclarant qu'il avait l'esprit égyptien, chose qui pourtant me paraîtrait assez vraisemblable. C'est même cet esprit égyptien que je suis le plus disposé à louer en lui, et ceux qui ont récapitulé sommairement les services qu'il a rendus au pays qu'il gouverne depuis huit ans lui offrent un hommage plus digne de lui que les colporteurs de ses bons mots orientaux accommodés à la parisienne. L'œuvre de la civilisation poursuivie avec ardeur et constance à travers mille obstacles, dont le plus grand peut-être est la résistance, parfois inerte, quelquefois méprisante, des peuples habi'tués à l'oppression, et disposés par là même à prendre pour des faiblesses les concessions libérales de leurs gouvernants: voilà le vrai titre de Mohammed-Saïd à notre admiration. Sous son règne, la justice en Égypte a cessé d'être vénale, en tant, du moins, que la chose est possible en Orient; les levées arbitraires d'hommes pour le service militaire, qui décimaient jadis des provinces entières, ont fait place à une sorte de conscription fort supportable; enfin, les premiers

fondements de la propriété ont été posés, et le fellah égyptien est sorti du servage. Aujourd'hui celui-ci n'est plus attaché à la glèbe, et les fruits de son travail lui appartiennent. L'impôt, au lieu d'être acquitté en nature, se paye en numéraire, et, conséquence naturelle, l'aisance et le crédit se sont répandus dans toutes les classes. En France, on voit surtout en Mohammed-Saïd le promoteur et le protecteur constant du projet de relier par un canal la mer Rouge à la Méditerranée. Bien que les conséquences de cette entreprise, si jamais elle est menée à bonne fin, soient plus importantes pour les nations européennes que toutes les réformes intérieures que je viens de signaler, il y a dans ce projet, tout grandiose qu'il est, une source si évidente de prospérité matérielle pour l'Égypte, qu'il doit plutôt être considéré comme la spéculation d'un administrateur habile que l'œuvre désintéressée d'un civilisateur. Nous sommes disposés à savoir gré aux princes des résultats plutôt que des motifs de leurs actes, et nous avons peut-être le droit de prendre vis-à-vis d'eux, comme princes, cette revanche d'égoïsme; mais quand on juge l'homme, la moindre abdication de prérogative se résolvant en liberté et en bonheur pour le fellah d'Égypte fait plus d'honneur à Mohammed-Saïd que l'union de l'Occident et de l'Orient par une grande route maritime qui fera de l'Égypte l'hôtellerie du monde. De l'Égypte au Sahara, il n'y a qu'un pas. — Un pas d'Afrique, terre où tout est monstrueux et colossal. Disons-donc un mot des Touaregs, qui ne s'appellent point ainsi, mais bien Imôchagh, à ce qu'il paraît. Nous leur avons imposé, nous autres Européens, ce nom de Touaregs, on ne sait pourquoi, ce qui fait que les érudits en donnent beaucoup de raisons diverses; — la multiplicité des explications érudites étant toujours, on le sait, en raison directe de la difficulté d'en fournir une seule qui soit satisfaisante. Les Touâregs sont nos voisins du côté de l'Algérie, et ne sont, à proprement parler, ni pasteurs, ni agriculteurs, ni industriels ils sont surtout les convoyeurs du désert; et font métier de conduire et de protéger les caravanes qui traversent le Sahara pour se rendre dans le Soudan. Leur pays de déserts et de sable sépare seul notre colonie d'Algérie du Soudan, avec ses millions innombrables de nègres, qui sont peut-être destinés à être un jour les meilleurs travailleurs et consommateurs de la France d'Afrique. Jusqu'à ce jour l'influence anglaise a prédominé en Nigritie; avec le secours de la propagande des Touâregs, il deviendra facile d'y étendre celle de la France. Donc, sans même tenir compte de l'honneur qu'il y aurait pour elle à ouvrir une nouvelle porte à la civilisation pour la laisser pénétrer du côté du nord, dans les profondeurs mystérieuses de l'Afrique centrale, la France a tout

intérêt à bien accueillir ses nouveaux visiteurs. Se faire de voisins à demi hostiles des amis, et rivaliser avec l'Angleterre, chercher son bien premièrement, et puis le mal d'autrui, c'est plus qu'il n'en faut. Espérons donc qu'on fera voir aux Touaregs la vraie grandeur de notre pays, et que notre orgueil national ne se contentera pas de leur montrer Rothomago et le Château-des-Fleurs, ainsi que cela se pratique trop souvent à l'égard des étrangers.

Si je dis cela, c'est que je suis un peu jaloux des frais que l'Angleterre fait pour les Japonais. Ce sont de vraies coquetteries renouvelées de la mère des Gracques. Cette Cornélie industrielle a montré fièrement ses plus beaux bijoux à ses visiteurs. Elle leur a fait voir ses fonderies, ses fabriques et ses mines; et ces Japonais qu'on nous a dépeints comme si timides se sont plongés résolument dans les entrailles de la terre pour visiter jusque dans ses profondeurs la plus belle houillère de Newcastle. Nous avons de tout cela, nous aussi; pourquoi donc les revues et le Cirque nous semblent-ils seuls dignes d'être montrés? Si jamais on publie à Yédo des Lettres japonaises, j'ai peur que nous n'y figurions comme une nation bien frivole.

Ce qu'il y a de bien certain, c'est que ni Japonais ni Touâregs n'écriront jamais sur notre compte des choses plus surprenantes que celles que racontent nos chroniqueurs sur l'Angleterre. Je ne croyais pas si bien dire le mois dernier en annonçant la résurrection de la vieille légende d'outre-Manche. J'ai tout retrouvé, ou presque tout; car si la fameuse histoire des pantalons pour les jambes de piano me manque encore, c'est sans doute parce que je n'ai pas tout lu..... On comprend, à la rigueur, que des gens fatigués, dépaysés, rançonnés, des hommes d'esprit réduits en leur qualité d'étrangers au rôle d'imbéciles sourds-muets, voient les choses un peu en noir, et jugent défavorablement même le côté superficiel des mœurs, le seul qu'il leur soit possible d'apprécier; mais il semble singulier qu'ils n'attendent pas, pour publier leurs impressions de voyage, d'être de retour en France. Cela ne prouve-t-il pas, clair comme le jour, que ces messieurs vivent exclusivement entre Français à Londres? Leur position serait évidemment intolérable s'ils connaissaient des Anglais, et s'ils couraient le risque, en allant dîner chez les amis, de voir leur feuilleton sur la table du salon. Comment espérer, par exemple, d'obtenir un sourire d'une de ces blondes miss dont ils vantent si volontiers la beauté, mais que l'un d'eux dépeint bravement comme buvant de l'eau-de-vie à petites gorgées en chemin de fer depuis Paris jusqu'à Calais?

Nos voisins se sont émus plus que de raison de ces bavardages malveillants. Leur premier tort a été de les lire; le second, de les

réfuter sérieusement dans leurs journaux que les Français ne voient pas. Qu'importe après tout que le Courrier du Dimanche apprenne à ses lecteurs que les évêques anglicans sont grands chasseurs de renards et possèdent des meutes nombreuses; que l'Opinion Nationale dise aux siens que les Anglais mangent la salade avec leurs doigts, et que les cabaretiers de Londres chassent les Français de chez eux à coups de pied en refusant de leur vendre du genièvre? Qu'importe même que le Constitutionnel affirme gravement que tous les plus beaux articles qu'exposent les fabricants anglais sont dus à des ouvriers français? Et ce chroniqueur qui se plaint naïvement des complications de l'étiquette anglaise parce qu'elle impose des formules différentes selon qu'on s'adresse à un homme, à une femme mariée, à une jeune fille, est-il bien urgent de lui rappeler qu'en France aussi on ne dit pas indifféremment monsieur, madame ou mademoiselle? Tout cela ne mérite pas réfutation. Loin de se fâcher, les Anglais devraient s'estimer heureux de se voir attaquer si maladroitement, car chacune de ces billevesées occupe la place d'une vérité qu'il leur eût été plus utile mais peut-être aussi plus dur d'entendre. Le Times l'a fait comprendre à ses lecteurs d'une façon assez plaisante: << Ne vous enorgueillissez pas trop, leur dit-il, et parce que les accusations portées contre vous sont absurdes et faciles à repousser, ne vous croyez pas sans péché. A côté de ces étrangers qui jettent au hasard sur leur papier leurs impressions du jour pour fournir à tout prix un feuilleton spirituel, il y en a d'autres qui vous observent avec impartialité, et dont les jugements réfléchis seront recueillis plus tard dans les livres. Ne vous croyez pas sauvés. »

Le vrai, c'est que les Anglais tiennent beaucoup à notre bonne opinion, et, malgré des déceptions réitérées, ils espèrent toujours que nous renoncerons, en leur faveur, à notre habitude de trouver ridicule tout ce qui n'est pas français. La moitié des frais que fait l'Angleterre en ce moment pour les étrangers sont faits à notre intention; et ce désir de plaire, qui est un hommage, devrait désarmer jusqu'à ceux qui se croient obligés d'être toujours amusants. Je trouve même que les commissaires de l'Exposition internationale ont poussé un peu trop loin la crainte de nous causer de l'ombrage, quand ils ont renoncé à faire exécuter la belle cantate que Verdi a composée pour la cérémonie d'inauguration. Je me suis laissé dire que si le public a été privé de ce très-beau morceau, ce n'est point, comme on l'a dit, parce que le temps était insuffisant pour les répétitions, mais parce que le compositeur, en même temps qu'il y intercalait le God save the Queen anglais et l'hymne national italien, chargeait la Marseillaise de représenter la France dans le chœur des nations. Je ne sais si

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