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duit à parler d'un phénomène qui rompt assez fréquemment la monotonie des nuits dans ces contrées. La connexité entre les aurores boréales et le magnétisme terrestre est évidente quelques heures avant l'apparition du météore, l'aiguille de la boussole éprouve une vive agitation. Humboldt regardait la lumière polaire comme la résolution d'un orage magnétique.

<< L'aurore boréale, disait-il, est souvent, mais à tort, considérée comme la cause de la perturbation qui trouble l'équilibre du magnétisme terrestre; c'est commettre une erreur, selon nous, que de l'envisager ainsi. La lumière polaire nous semble être le résultat de l'activité du globe, exaltée jusqu'à la production de phénomènes lumineux, et se manifestant, d'un côté, par une illumination de la voûte céleste; de l'autre, par les oscillations désordonnées de l'aiguille aimantée. On voit, d'après cela, que la lumière polaire est une sorte de décharge sans détonation, l'acte qui met fin à l'orage magnétique, de même que, dans les orages électriques, l'équilibre détruit se rétablit par un autre phénomène lumineux, l'éclair accompagné du tonnerre'. »

Rappelons succinctement les différentes phases du phénomène. — Peu de temps après la fin du crépuscule, quelquefois même auparavant, on aperçoit vers le nord une espèce de brouillard assez obscur, avec une légère lueur du côté de l'ouest. Le brouillard septentrional prend communément la forme d'un segment de cercle, reposant, par sa corde, sur l'horizon. Une lumière blanchâtre borde bientôt la partie visible de la circonférence, et l'on aperçoit un arc lumineux ou plusieurs arcs concentriques. Le point culminant de l'arc est sensiblement dans le méridien magnétique.

Des fusées partent ensuite du segment obscur; elles se succèdent, se multiplient, dépassent le zénith, et envahissent le ciel. Sur le prolongement de l'aiguille d'inclinaison, on voit alors apparaître un point qui semble être le centre vers lequel convergent tous les mouvements d'alentour; on dirait la lanterne d'une coupole. C'est là ce qu'on appelle la couronne. A ce moment, le phénomène est dans toute sa magnificence.

Peu à peu, la robe de feu que l'aurore avait déployée perd son éclat; les arcs pâlissent; les fusées deviennent moins fréquentes; la couronne s'efface, et l'on n'aperçoit plus que quelques lueurs incertaines 2.

1. Cosmos, Essai d'une description physique du monde, par Alexandre de Humboldt, traduit par Ch. Galusky. - Paris, Gide. 1859.

2. On pourra consulter, sur les différentes formes qu'affectent les aurores

Nous n'insisterons pas davantage sur la description de l'aurore polaire : un grand nombre d'auteurs se sont occupés de cette question. Mais nous ne pouvions passer sous silence le phénomène par lequel se terminent les orages magnétiques. Chose bizarre! l'inventeur de la pile, le physicien à qui l'on doit la connaissance des courants, Volta, émit sur la lumière polaire l'hypothèse la plus grossière. On venait de découvrir le gaz des marais; Volta prétendit que l'aurore boréale est produite par l'inflammation de ce gaz1!

En résumé, il semble aujourd'hui hors de doute que les aurores polaires, dont l'agitation de l'aiguille aimantée n'est que l'avantcoureur, ont pour cause une influence magnétique exercée par le soleil. Ce qu'il y a de certain, c'est que toutes les variations de la boussole semblent soumises à l'action de cet astre. Les variations annuelles se modifient avec les saisons; les variations diurnes pourraient, à la rigueur, servir à la mesure du temps; enfin, entre les perturbations magnétiques et certains changements de la photosphère solaire, la correspondance est manifeste.

Veut-on s'en convaincre? - Que l'on consulte les annales scientifiques, on verra que les années pendant lesquelles on n'observe qu'un petit nombre de taches au soleil, sont précisément celles où les perturbations de l'aiguille aimantée sont plus faibles. On remarquera, par exemple, que les années 1833 et 1843 ont offert cette coïncidence, tandis que les années 1837, 1838, 1847, 1848, pendant lesquelles les taches du soleil ont été nombreuses, ont été signalées par de plus violentes perturbations. L'examen de ces chiffres fait en même

boréales, les Traités de météorologie, de L. F. Kaemtz, professeur de physique à l'Université de Halle. - Paris, Paulin, 1843.

1. Les aurores polaires ont été expliquées de mille manières différentes : nous laisserons de côté les théories que la superstition enfanta et qui interprétaient comme autant de présages ces apparitions dans le ciel de glaives. ensanglantés, de torches funèbres et de têtes de Méduse; nous ne parlerons que des explications qui n'exigent pas l'intervention du merveilleux et ont une origine scientifique.-D'après Muschenbroeck, les aurores boréales étaient dues à des exhalaisons terrestres qui, ramassées en nuées, produisaient de la lumière en se choquant. Lemonnier comparait ces exhalaisons à la matière dont est faite la queue des comètes. Euler pensait que, par l'action des rayons solaires, les particules de l'air sont lancées dans l'espace et subitement illuminées. Halley croyait à un courant de fluide s'échappant de la terre, par le pôle boréal. De Mairan regardait l'aurore polaire comme due à l'atmosphère du soleil, dont une partie venait rencontrer l'atmosphère terreste. Eberhart et Frisi furent les premiers qui comparèrent l'aurore boréale à la lumière électrique.

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temps ressortir la correspondance entre la période décennale des perturbations et celle des modifications de l'atmosphère du soleil.

L'astre autour duquel gravite notre système planétaire verse donc probablement sur notre globe, non-seulement la lumière et la chaleur essentielles à la vie, mais encore des effluves électriques mêlées à ses gerbes d'or. Le P. Secchi s'est fait l'un des plus ardents apôtres de cette hypothèse, et voit dans les courants terrestres le résultat d'une induction magnétique due au soleil'. Cet astre, dit-il, se comporte comme un aimant dont les pôles seraient tournés du même côté que ceux de la terre.

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Ainsi, c'est en vain que l'architecte du monde a mis entre nous et le soleil une distance de 38 millions de lieues; son œuvre n'échappera pas aux indiscrétions de la science. Déjà l'analyse spectrale et l'étude des perturbations magnétiques nous ont révélé des mystères que l'on disait impénétrables. Les savants ne s'en tiendront pas là; ils ne se borneront pas longtemps à compter modestement sur leurs doigts cinq ou six des métaux du soleil. Bientôt aussi ils trouveront que c'est peu d'avoir observé quelques effets de l'induction à travers l'espace, et ils exigeront un jour que l'astre qui fait l'objet de leurs recherches leur dise le secret de son essence.

1. Trois hypothèses principales avaient été émises jusqu'ici pour expliquer les courants terrestres. — Ampère les attribuait à l'action du noyau igné de la terre sur la croûte solide qui la recouvre; de là, disait-il, résultaient des courants électro-chimiques dont l'influence se fait sentir sur l'aiguille aimantée. Masson proposait une autre explication : d'après lui, les courants terrestres étaient dus à l'action thermo-électrique du noyau en fusion. D'autres physiciens ont pensé que ces courants ont leur origine dans la chaleur solaire.

E. MENU DE SAINT-MESMIN.

Lorsque M. Mocenigo faisait aux étrangers les honneurs de son palais, situé sur le grand canal, à Venise, le bon seigneur aimait à répéter, avec une satisfaction dont je n'ai pas bien compris la cause: « Avea tutto il mio palazzo, lord Byron.

En effet, lord Byron, pendant son séjour à Venise, avait loué pour lui seul tout ce grand édifice. Avec des tapis et quelques bourrelets aux portes, il s'y était fait un appartement confortable. Le jour où où nous parcourions cette vaste habitation, il n'aurait tenu qu'à nous d'y chercher des souvenirs historiques. C'était dans ces galeries que le vieux doge Thomas Mocenigo avait prédit, en pleurant, aux membres du parti conservateur, que l'ambition de Foscari perdrait la république. L'amour de son pays avait inspiré à ce sage vieillard des paroles si éloquentes, que l'historien Sanuto, aussi patriote que lui, en a fait une des plus belles pages de ses annales. Mais, nous autres touristes français, nous ne songions en ce moment, ni à l'orgueilleuse Venise d'autrefois, ni à la mourante Venise d'aujourd'hui. Le dernier rejeton d'une illustre maison n'était plus pour nous qu'un cicerone complaisant, et nous regardions avec un religieux intérêt la chambre où lord Byron avait dormi, la table sur laquelle il avait écrit Beppo et le dernier chant de Childe-Harold, le fauteuil dans lequel il s'était assis pour dicter à la comtesse Guiccioli tout le beau poëme de Mazeppa, et le balcon d'où le grand poëte anglais, contemplant les façades de ces splendides palais, où tout a péri, hormis le marbre, s'était écrié avec une généreuse émotion : ««< O Venise! Venise!... si moi, pèlerin du Nord, je pleure sur tes maux, que doivent donc faire tes enfants? >>

Un jour, il y eut fête au palais Mocenigo. Thomas Moore y était arrivé. Pendant le mois qu'ils passèrent ensemble, les deux poëtes amis, redevenus enfants, ne faisaient que rire et dire des folies. Parfois, le soir, ils causèrent pourtant de choses sérieuses; on disserta sur l'avenir de la poésie anglaise. Moore voulait que ce siècle fût elle une grande et brillante époque; l'auteur de Childe-Harold était d'un avis contraire. Ces entretiens se prolongeaient souvent fort tard. Les confidences eurent aussi leur tour. L'imprudence de lord Byron avait donné beau jeu contre lui aux envieux, et ils en avaient profité

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amplement. Ce rare génie, dont l'Angleterre aurait dû être si fière, était poursuivi par la calomnie avec un acharnement dont je ne crois pas qu'on revoie jamais un second exemple. C'était en vain qu'il s'exilait volontairement. On racontait, à Londres, comme un épisode curieux de son voyage en Suisse, qu'il y avait commis un assassinat. Quant à son aventure avec la Fornarina, pour la rendre plus dramatique, on disait que lord Byron avait noyé cette jeune femme dans un canal de Venise, pour se débarrasser d'une maîtresse importune. Il ne servait à rien que la victime fût vivante et en parfaite santé; ces choses-là passaient pour être de notoriété publique. Thomas Moore vit, de ses yeux, ce qui en était, et connut la vérité sur les méfaits imputés à lord Byron, et qui faisaient pousser de gros soupirs aux dames anglaises. Les deux amis durent se concerter sur les moyens de confondre les inventeurs de ces fables odieuses. C'est au palais Mocenigo que Moore reçut et accepta la glorieuse mission de publier, un jour, la défense de lord Byron, de réhabiliter son honneur et de veiller à la garde de sa réputation.

Cinq ans après, le grand poëte n'existait plus. Le navire la Floride rapportait son cercueil en Angleterre. Bientôt le bruit se répandit qu'il laissait des mémoires considérables. On ne pouvait douter que la lumière ne dût se faire sur ses prétendus crimes et sur les vagues accusations de lady Byron. Thomas Moore comprit que s'il remplissait son mandat en conscience, il allait se mettre beaucoup d'ennemis sur les bras. Quand la calomnie a mordu avec tant de force, elle s'entête et ne veut plus lâcher prise. Outre les envieux, qui n'ont pas besoin de se donner le mot pour s'entendre et s'accorder, il y avait à Londres, comme en tous pays, les charlatans, les esprits médiocres, qui, selon le mot si vrai de La Rochefoucauld, haïssent tout ce qui dépasse la mesure de leur intelligence; il y avait tout ce monde qui vit de bavardages et de médisance, et ces gens qui aiment le mensonge et trouvent d'un mauvais exemple qu'une imposture quelconque soit démasquée et confondue; ajoutez à tout cela les auxiliaires, c'està-dire les prudes, les hypocrites, les gens crédules, imbus des préjugés du cant britannique, et vous aurez une armée imposante. Thomas Moore en eut peur. Iln'a pas songé que cette armée si nombreuse et si active n'était encore qu'une fraction du public, qu'il y avait, au-dessus d'elle, les honnêtes gens, les esprits sérieux et de bonne foi, les admirateurs du grand poëte, et qu'on est assez fort quand on a pour soi la vérité, une cause juste et le temps, notre maître à tous. Mais, hélas! Moore recula devant les dangers de la mission qu'il avait acceptée. Il viola un dépôt sacré; il mutila les mémoires de son ami, supprima des passages entiers, et biffa tous les noms pro

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