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plus fréquentés de la France, de tous les livres, brochures et journaux, se constituant ainsi à peu près le seul éditeur, le seul vendeur, le seul censeur', le seul dispensateur de la presse dans notre pays, exerçant dès lors le monopole le plus vaste et le plus dangereux qu'on puisse imaginer, puisqu'il s'attaque non-seulement à des intérêts privés, au droit commun, mais encore aux grands intérêts moraux et politiques de la société, qui se trouvent ainsi placés sous sa direction, sous son bon plaisir, intérêts sacrés dont M. Hachette dispose au gré de son ambition.

Nous croyons avoir suffisamment répondu au communiqué de M. le Ministre, et prouvé que nous n'avons pas menti comme il lui convient de dire. Quant à la forme de notre réclamation, quelques mots d'explication suffiront.

Ce n'est pas nous qui avons le premier réclamé contre le monopole Hachette, quoique nous en souffrions plus que personne. Loin de là, quand un de nos confrères moins patient est venu nous trouver, il y a sept ans environ, pour nous inviter à nous joindre à lui contre cette atteinte à nos droits et à nos intérêts, nous lui avons répondu : << Notre opposition serait mal interprétée. M. Hachette ne manquerait pas de dire que c'est la jalousie et l'envie qui nous l'inspire, et le public ne voyant là qu'une affaire de rivalité d'industrie, une question d'intérêts privés, détournerait la tête. D'un autre côté le ministre ne serait sans doute pas flatté qu'on sût qu'il a été pris pour dupe par un homme trop adroit. Attendons. Il arrivera, certainement, un moment où le gouvernement mieux éclairé fera justice. Une occasion se présentera, indubitablement, qui lui en fournira les moyens sans paraître se déjuger. »

Pendant près de sept ans nous avons patiemment attendu cette

appartient à l'État qui représente tout le monde, et les Compagnies n'y ont d'autres droits que ceux qui résultent de l'exercice de leur industrie.

Ainsi donc le monopole de M. Hachette est fondé :

10 En violation de la législation relative à la librairie ;

2° Contrairement à l'autorisation du ministre de la police générale;

3o En opposition à la loi sur les chemins de fer;

4° Au mépris des principes de 1789 qui ont aboli les monopoles;

5o Enfin, malgré les plus simples prescriptions de l'équité, qui imposent à chacun le respect de la propriété appartenant à tous.

1. On sait que tous les livres vendus dans les gares sont soumis à la censure du ministre de l'Intérieur, après avoir été préalablement admis ou rejetés par M. Hachette. En outre les Compagnies des chemins de fer se sont réservé le droit de repousser ceux de ces livres qui ne leur plaisent pas. Cela fait trois censures, mais celle de M. Hachette prime les deux autres.

justice. Enfin, elle parut arriver, et, le croira-t-on? du côté de M. le Ministre de l'intérieur. C'est son administration, ou pour mieux dire, c'est lui-même, qui, par le questionnaire de la Commission du colportage, nous a convié à lui exposer nos griefs, à éclairer son jugement. Nous n'avons fait que, répondre à son appel. Les preuves contre M. Hachette ont surgi de tous côtés; le ministère de l'intérieur les a reçues avec empressement. Un hommé d'une haute intégrité, un jurisconsulte éminent, M. Victor Foucher, a recueilli tous les faits, et il en est résulté un rapport accablant contre le monopole Hachette. Nous pensions et nous devions penser que la justice allait enfin rendre son arrêt par l'organe de M. de Persigny. Nous étions plein de confiance dans son équité naturelle. Mais, comme par un coup de baguette, tout change; M. le Ministre quitte le terrain où il nous avait tous attirés; il se retire silencieusement dans son cabinet et nous condamne en disant que la chose ne le regarde pas, que c'est l'affaire des préfets et des Compagnies. Et quand nous nous plaignons avec une amertume assez excusable après une telle déception, M. le Ministre nous fait répondre dans un langage qu'il ne tolérerait pas dans ses antichambres.

Voilà les faits. Que si on les niait de nouveau, nous répondons à l'avance: Le rapport de M. Victor Foucher existe; c'est le document qui contient toutes les preuves, toutes les pièces du procès. Qu'on l'imprime; c'est le suprême moyen d'arriver à la vérité. Si nous nous sommes trompé, nous serons le premier à le reconnaître. Jusque-là nous maintenons nos allégations.

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EN AUTRICHE

Le problème des rapports à établir entre l'État et l'Église est à l'ordre du jour aussi bien chez les protestants que chez les catholiques. Le mouvement qui s'est emparé des esprits dans cette grave question a pour caractère commun de pousser tout au moins à une démarcation précise des deux pouvoirs, à la suppression d'une agrégation qui a eu sa raison d'être, mais qui ne produit plus aujourd'hui qu'une gêne réciproque.

Toutefois, bien que général, ce mouvement n'est ni uniforme ni d'une importance égale partout. Dans les États protestants, il est une réaction contre la soumission de l'Église au prince qui est la marque des Églises de la réforme. Dans les uns, comme par exemple le grandduché de Bade, on voudrait reconstituer l'Église sur une base plus rationnelle, la vivifier par la participation des laïques à son gouvernement intérieur, la faire passer, comme l'État, du régime absolu au régime constitutionnel. Dans d'autres, en tête desquels est l'Angleterre, l'Église établie reste la même, mais elle est amoindrie de plus en plus dans son influence par le développement croissant de la dissidence sous toutes les formes.

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Des deux façons, la suprématie de l'État est également battue en brèche. Mais, il faut le reconnaître, cette lutte ne met en jeu, de part et d'autre, aucun principe vital. La Réformation a fait plus qu'assujettir l'Église; avant tout, elle l'a diminuée. Si l'Église, dans les pays réformés, n'a guère été qu'un dicastère administratif, cela tient à ce que la Réformation, comme fait politique, je laisse de côté le fait religieux, — a été une revanche, une victoire de l'État, une négation de tout pouvoir se prétendant son égal. La Réformation a supprimé l'Église comme puissance, en attendant qu'elle la supprime comme idée. Si l'assujettissement de l'Église est un mal, comme tout ce qui est contraire à la liberté, l'amoindrissement, même insuffisant, de l'idée d'Église en est une ample compensation. Localiser, natio

Tome X.

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naliser l'Église, c'est modifier son idée dans son essence même, en définitive, c'est la nier, car un des caractères de l'Église, c'est l'universalité. Or le protestantisme n'a jamais eu d'organisation générale : il a été un souffle puissant qui a vivifié le monde, mais comme fait extérieur, il est resté en dessous de son influence religieuse, philosophique et politique. Dans son organisation extérieure, il ne vise qu'à ce qui lui est strictement nécessaire pour se manifester. Son action interne et pénétrante fait le reste. Son assujettissement, qui lui est si souvent reproché, n'a du moins mis en péril aucun des biens essentiels de l'humanité. La liberté intellectuelle inhérente au protestantisme fait passer sur les défectuosités de son organisation; il a les bras liés comme Église, mais sa pensée est libre. Son clergé est dépendant, mais il est lui-même indépendant de son clergé. Il ne lui a point demandé permission pour développer ses conséquences, et cela est si vrai, que la disparition même du clergé protestant ne mettrait pas en cause l'avenir du protestantisme, tel qu'il se formule aujourd'hui dans l'école historique de Tubingue et dans les systèmes philosophiques qui règnent universellement sur le domaine de l'intelligence. Sans méconnaître l'importance des questions d'organisation qui travaillent les Églises protestantes, on ne peut la considérer que comme secondaire en présence de la crise qui se fait sentir dans les États catholiques.

Ici, en effet, nous avons un spectacle inverse. Le débat ne porte pas sur la forme, mais sur le fond même des choses; il est toujours entre la société moderne et celle du moyen âge, entre le libre développement de l'État et l'influence usurpatrice de l'Église. L'enjeu de la lutte explique son acharnement. Tout est toujours mis en question. Ce sont bien deux puissances égales qui sont ici en présence, et non pas un supérieur et un inférieur. Aussi est-il bien plus difficile dans les États catholiques que dans les protestants d'arriver à fixer d'une manière équitable les attributions réciproques de la société politique et de la société religieuse. Mélange des principes les plus disparates, empiétements alternatifs d'un des pouvoirs sur l'autre, prétentions excessives des deux côtés : telle est, en peu de mots, l'histoire de la longue querelle de l'Église et de l'État. Au rebours de ce qui se passe dans les pays protestants, on trouve dans les catholiques plus de mobilité dans les faits que de progrès dans les idées. Ce n'est que depuis quelques années que les alternatives de succès et de revers ont commencé à apporter avec elles l'enseignement qui en découle si

naturellement, à savoir que la paix n'est pas dans les sûretés momentanées que l'on s'arrache de part et d'autre, mais dans la diminution des points de contact, et dans une modification interne de l'idée que l'État et l'Église se font chacun de leur mission.

Rien n'a plus contribué à cet heureux progrès dans les idées que la question romaine. Elle est appelée à en amener de bien plus grands encore. A mesure qu'elle se dégage des accessoires qui obscurcissaient sa haute signification, l'on s'aperçoit davantage que nous n'avons vu d'elle que ses préliminaires, et que sa solution est dans une refonte radicale des rapports entre l'État et l'Église. La véritable question romaine commencera le jour de l'entrée de Victor-Emmanuel à Rome, lorsque l'intérêt national italien satisfait laissera voir à nu le problème général à résoudre.

Mais, en attendant que ce jour vienne, il n'est pas sans intérêt d'étudier sur un autre théâtre l'état des rapports entre les deux puissances politique et ecclésiastique. Si les événements de Rome rejettent au second plan tout ce qui se passe ailleurs dans le même ordre de faits, cependant la question générale se retrouve dans chaque question particulière et conduit aux mêmes conclusions. A ce titre, rien n'est plus instructif que ce qui s'est passé dans ces dernières années entre l'Autriche et le Saint-Siége.

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Dans la série des souverains nuls et bigots qui ont occupé le trône impérial en Autriche, Joseph II passe pour un accident heureux. Son œuvre fait l'effet de surgir subitement pour disparaître de même, sans racines dans le passé, sans vitalité dans l'avenir. On se la représente comme un effort impuissant et isolé pour soulever la sombre toiture de plomb qui couronne l'édifice politique des Habsbourg. Tout radical qu'il fût de tempérament, Joseph II n'a pourtant point été aussi novateur qu'on voudrait le croire. Si le règne de six ans de Joseph Ier ne s'était pas écoulé entièrement, de 1705 à 1711, dans des préoccupations de guerre, l'absolutisme éclairé aurait eu quarante ans plus tôt son avénement en Autriche. Joseph Ier donne le spectacle étrange d'un empereur n'ayant pas reçu son éducation des jésuites et se maintenant libre de l'influence cléricale. Son successeur, Charles VI, bien que plus imbu que son frère des principes héréditaires dans la dynastie, ne rendit cependant point aux jésuites la prépondérance à la

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