Page images
PDF
EPUB

848 1940 062

592655-013.

PREMIERE

LETT RE

A MONSIEUR

DE VOLLAIRE.

Vous favez, Monfieur, que j'étois, il y

a quinze ans, un de vos plus ardents admirateurs. Je fortois à peine de l'enfance, & la haute réputation dont vous jouiffiez mettoit vos Ouvrages dans les mains de tout le monde. Je me fentois un goût trèsvif pour les Lettres. Vos livres feuls firent mes premieres études. Je les dévorois ; leur lecture agréable, légere, fi féduifante pour un âge plus amoureux du brillant que du beau, dégoûtoit mon efprit de toute autre

A

1

lecture, & d'un aliment plus nourriffant & plus folide. Enfin, vous m'aviez enivré; mọn admiration pour vous alloit jusqu'au fanatifme & je groffiffois la foule immense de ceux qui vous barbouillent de leur encens. J'étois fincere alors. Je ne le fuis pas moins aujourd'hui, quoique je penfe différemment: non que j'aie l'injuftice de tomber dans un autre excès, & de refuser à vos talens le tribut d'eftime qui leur est dû. La raifon & le goût, qui m'ont ouvert les yeux fur les défauts de vos écrits, m'empêchent auffi de les fermer fur leurs beautés.

C'est donc à vous-même, Monfieur, que j'ai voulu m'adreffer, pour vous ren-. dre raifon de mon changement à votre égard. C'eft avec vous que j'entreprendsd'examiner vos Ouvrages. Je vous propoferai mes réflexions. Je vous prendrai même quelquefois pour Juge dans votre propre caufe; & s'il arrivoit que je me fufse trompé, je recevrois de vous, avec reconnoiffance, tout ce qui pourroit m'éclairer & m'inftruire.

Quelques perfonnes m'avoient confeillé de ne point donner, de votre vivant, cet

[ocr errors]

examen de vos écrits. On me difoit qu'il étoit un peu dur de tourmenter votre vieilleffe, & de ne pas vous laiffer mourir tran quille fur vos lauriers. Mais il me femble au contraire, qu'il eft plus généreux de vous exposer franchement mes idées, tandis que vous pouvez encore les combattre : auffi bien votre défense pourroit-elle tomber en de mauvaises mains ; & votre caufe fera foutenue encore plus foiblement, quand les plumes qui vous font dévouées n'au ront plus rien à efpérer de leur zèle. · On me faifoit envisager auffi que j'allois m'expofer à tout votre courroux; & qu'il ne falloit pas m'attendre à moins de votre part, qu'aux emportements les plus violents, aux épithètes les plus injurieuses, aux plus calomnieufes imputations. Heureux, ft j'en étois quitte pour quelques pafquinades & quelques bouffonneries que vos Partisans appellent de la plaifanterie & de la gaieté !'

- Tant d'exemples que j'avois fous les yeux ne pouvoient, à la vérité, me laiffer ignorer que je courois le même hasard; mais je me raffurois en voyant que vous

avez fi fort raffafié le Public de vos prétendues facéties, qu'il en eft pleinement dégoûté. En effet, Monfieur, dites-moi de bonne foi, comment voulez-vous qu'on foit fi long-temps la dupe des vengeances de votre amour - propre irrité ? Ne scroit-ce pas pouffer la crédulité au-delà des bornes où elle devient sottise, de croire fur votre parole, qu'il fuffit de vous avoir contredit en quelque chofe, pour être un perfonnage vil & méprisable? Faut-il beaucoup d'efprit pour deviner qu'il vous a toujours été plus aifé de chercher à diffamer vos Cenfeurs, que d'avoir raison contr'eux ?

Croyez-moi, Monfieur, quittez enfin ce ton infultant, qui n'infulte plus perfonne, & qui ne peut plus retomber que fur vousmême. Quand vous l'emploieriez avec moi, vous ne parviendriez ni à m'offenfer, ni à me rendre injufte, ni à me faire prendre le même ton pour m'avilir.

Vous feriez assurément beaucoup mieux, pour votre gloire, de prendre, ou d'affecter du moins un air de modération & de dignité fi convenable à un homme comme vous, qui a toujours prêché l'humanité, la

« PreviousContinue »