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florissaient les beaux-arts, peinture, sculpture, architecture, mécanique, danse, éloquence, poésie : à cette époque aussi régnait la philosophie qui, rattachant l'ordre et l'économie domestique à la morale et à la religion même, les circonscrivait dans un même cercle, comme inséparables et comme sources des vertus, ainsi que du bonheur des familles.

Mais, me dira-t-on, vingt-quatre siècles séparent cet âge du nôtre, et dans cet immense intervalle quel changement a dû s'opérer dans les mœurs ! Dans les mœurs, oui; mais dans la morale, non. Les coutumes religieuses diffèrent; mais l'essence de la religion est la même. Un Dieu une ame immortelle ! une vie à venir ! Il en est ainsi de la morale qui, la première des religions, est constamment la même pour toutes les générations. Les sciences physiques se perfectionnent avec le tems; elles substituent de sages doctrines à de faux systèmes, chaque jour étend leur domaine; mais

la philosophie est indépendante des tems, et depuis Socrate a-t-elle prolongé sa carrière? Non; parce qu'elle est l'ouvrage de la Divinité qui, en créant l'homme, lui a donné la raison et la connaissance du bonheur; de même qu'en créant les animaux, elle leur a donné l'instinct. Ainsi donc la raison, la morale, et la philosophie qui en a rédigé le code, sont immuables. Les siècles ont prononcé, et malheur à celui qui se dérobe à leur empire! ce n'est point progrès de lumières, a dit un orateur, c'est progrès de corruption.

Eh bien ! franchissons un espace de vingt-deux siècles sur les vingt-quatre qui nous séparent de ces mœurs antiques, et revenons au seizième de notre ère, où vivait Olivier de Serres, le Xénophon de la France. C'est l'esprit de Socrate et d'Ischomaque: son immortel ouvrage a le double titre de Théâtre d'agriculture et de Ménage des champs. Si dans le premier, il indique la manière de cultiver le mûrier, cet arbre précieux dont

la France lui est redevable; et si, dans l'autre, il enseigne la manière de faire le pain, combien ne sont-ils pas minutieux les détails dans lesquels il entre sur la consommation de ce premier des alimens, que, dans ma jeunesse, je voyais encore respecter! c'était pour l'enfant le pain du bon Dieu ! il ne fallait pas en perdre une miette et cette croix, dont le père de famille signait le pain avant de le distribuer ! En effet, le pain cuit, Olivier de Serres le suit sur la table du ménager, sur celle des serviteurs ; il veille à la manière de le couper: on doit prendre garde de l'émier! enfin, il semble en conduire les morceaux jusdans la bouche du consommateur. que On a récemment fait une nouvelle et belle édition de cet ouvrage; mais, à cette même époque, qui eût osé le publier pour la première fois ?

Olivier de Serres traite aussi de la façon des confitures, et citons ce qu'il en dit.

« Les nécessaires provisions sont sui

:

vies des utiles et plaisantes, c'est assavoir des confitures à ce que la maison ne défaille aucune victuaille, servant, et à nourrir le corps et à repaistre l'entendement, auxquels deux usages sont utilement employées les confitures; car non-seulement substantent-elles beaucoup les sains, ains leurs précieux goûts et facultés confortent et réjouissent les malades; et à toutes personnes donnent contentement pour leurs exquis appareils et rares beautés, qui paraissent en cette excellente provision. >>

Quel prix donnait alors aux choses la sobriété et combien deux siècles ont mis d'intervalle entre nos pères et nous sur cette vertu ! les confitures du tems d'Olivier de Serres figureraient mal sur nos tables pour leurs exquis appareils et leurs rares beautés. Voyons cependant à qui en était confiée la préparation.

Propre ouvrage de Damoiselle, estil inscrit en titre marginal du paragraphe que voici :

«Се

Ce sera ici donc, où l'honorable Damoiselle se délectera, confirmant la de la subtilité de son esprit; preuve aussi en recevra-t-elle et du plaisir et de l'honneur, quand à l'inopinée survenue de ses parens et amis, elle leur couvrira la table de diverses confitures apprêtées de longue-main, dont la beauté et bonté ne céderont aux plus précieuses de celles qu'on fait ès grosses villes, bien qu'elle n'ait autre confiseur que l'aide de ses servantes. Dès tous tems les femmes se sont mélées de faire des confitures.... » On voit que notre bon Olivier de Serres avait fait connaissance avec Ischomaque.

Arrêtons-nous un peu sur la cause de cette révolution dans nos mœurs.

De nos jours, le luxe est parvenu à bannir, au moins de nos grandes cités, l'économie, cette vertu de nos pères, sur laquelle étaient fondées tant de fortunes dans les diverses classes de la société; ce scandaleux bannissement est

b

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