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Le meilleur muscat que j'aie bu était de l'hydromel; le bas prix auquel on l'avait acheté le fit soupçonner; on m'en envoya pour l'analyser : il n'y avait pas un atôme des élémens du vin, il n'y etait pas entré un grain de raisin. J'écrivis au vendeur de m'en envoyer; il vint. Mon rapport était fait, je le lui lus, il fut de bien bonne foi avec moi; et je contribuai à lui procurer le débit de son vin, en l'annonçant pour ce qu'il était, un excellent vin muscat, fait sans raisin.

Vin de Malaga domestique. J'ai du vin de Malaga venant d'Espagne, et du vin de Malaga venant de la vallée de Montmorenci : on les distinguerait à peine l'un de l'autre, si le premier n'avait pas 25 ans, et le temps y fait beaucoup, tandis que le second n'en a que 5. On va voir combien le préjugé est bon juge. On servit de ce bon et respectable vin de Malaga à des gens de bonne compagnie et se prétendant de bons gourmets; ils savaient que je faisais des vins ; les interrogeant de l'œil sur la bonté de ce Malaga, au moment où quittant le verre, ils en avaient le parfum dans la bouche : la réponse fut que c'était un assez bon vin pour du vin cuit; et le préjugé faisant passer la sanction, ce fut à-peu

près l'opinion de tous. C'est ainsi que nos gourmets prononcèrent sur ce vin de Malaga de la plus excellente qualité, et ayant ses vingt-cinq ans !

Mais, en revanche, j'ai servi de mon vin de Malaga (vallée de Montmorenci) à deux Espagnols, dont l'un propriétaire de vignoble, et homme d'ailleurs très-instruit ; tous deux l'ont avoué fort bon vin de Malaga, et désabusés sur son origine, ils ont persisté sur son identité. J'ai présenté au sénateur Chaptal, alors ministre, de pareil vin, que, d'après nos principes, avait fait un habitant des contrées méridionales; cet oenologue, ami de ma famille, lui en avait envoyé, et pendant trois mois je retrouvai à nos dîners de parenté cet excellent vin, lorsqu'enfin on me révéla le secret, et ce triomphe de l'œnologie fut pour moi une agréable jouissance : je reçus à mon tour de ce vin.

RÉSUMÉ

Sur les vins liquoreux.

AINSI donc mes recettes sur la confection des vins de liqueur domestiques se bornent à ces principes-ci.

La matière sucrée, plus ou moins abondante dans le raisin, selon le cépage, le climat, l'année, y est une et même ; ce n'est pas elle, ce sont les autres principes constituans du moût, et sur-tout le bouquet, si différent dans les vins, qui en font la diversité.

Pour obtenir un vin liquoreux, il faut que la matière sucrée soit concentrée au point d'y surabonder et d'en laisser subsister, la fermentation terminée; cette concentration s'obtient, à l'aide de la chaleur, par l'évaporation de l'humidité. Il faut des mois! Il ne nous faut qu'un jour, et le résultat est le même, en concentrant le moût dans notre appareil évaporatoire.

Les acides du moût sont les principes qui nuisent le plus à la qualité des vins; leur excessive quantité, dans les petits vignobles, que l'analyse m'a manifestée, a dû me con

duire à les enchaîner en partie; depuis, j'ai désacidifié le moût en entier; et ce sera là l'époque de la perfection œnologique, puisqu'au moyen de ce procédé, il ne peut plus y avoir de mauvais vin: au moins leur acide ne les rendra pas impotables et si disposés à aigrir.

Il en est de l'alcohol, produit de la fermentation, comme de la matière sucrée ; s'il est un et même, quelle que soit la substance qui le produit, à plus forte raison est-il identique quand c'est du vin qu'on l'obtient.

Or, de quoi se composent les vins liquoreux? d'une quantité déterminée d'eau, d'esprit et de matière sucrée. Les voilà dans des proportions qu'on est maître de régler, et que la nature ne peut pas régler dans de mauvaises années.

Quant aux arômes, je ne reviendrai pas sur ce sujet; la nature les fait, ou plutôt le hasard de la végétation qui s'empare de leurs élémens; ce sont ces élémens dont nous faisons emploi, et l'art n'aurait jamais tenté de donner au vin la saveur de pierre à fusil qui laisse un arrière-goût sulfureux, ou celle de goudron qui n'est rien moins qu'un bouquet. Comme les faits sont de très-bons argumens,

j'ai dû en citer; mais il n'est pas nécessaire de les multiplier pour appuyer des principes aussi positifs.

De la prescription des quantités.

On peut se dispenser de procéder avec les poids et les mesures; les quantités relatives doivent se prescrire dans une recette; mais un palais exercé est la balance la plus juste pour l'addition de l'eau-de-vie, pour celle des arômes, du sirop, et puis il y a la qualité des fruits, ainsi que le plus ou moins de générosité du vin, qui dérangent un peu cette harmonie prétendue de quantités ; en économie, on calcule aussi celle du tems; et on en perd à s'astreindre servilement à ces pesées et à ces mesurages.

CONCLUSIONS.

Le préjugé se tairait, d'après ces considérations, si on pouvait imposer silence au préjugé; mais pour lui ce sont des vins falsifiés au moins le chimiste sourira-t-il de cette inculpation, et lui seul peut faire autorité.

La prétention au savoir, fruit d'une éducation superficielle, où l'on apprend beaucoup pour savoir très-peu, est un autre

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