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éminemment pratiques; je n'en peux suivre le détail, mais je crois que nous pouvons gagner à lire sa brochure, à la méditer, surtout à la faire méditer par tous ceux qui, du cèdre à l'hysope, tiennent notre sort entre leurs mains.

En résumé, le système de M. Mazerolle a pour but de procurer un débouché à toute œuvre inédite et d'assurer les moyens de se produire à tout artiste, ou inventeur, ou écrivain. Une immense publicité gratuite, organisée à la fois par les artistes et par l'Etat, en est la base. Le mécanisme en paraît si ingénieux, et M. Mazerolle en a si complétement étudié les ressorts, qu'on dirait qu'il n'a plus qu'à fonctionner. On verra ce que vont en dire nos confrères; mais il est impossible qu'il n'y ait pas là quelque bien à faire, de bonnes idées à prendre, un commencement au moins d'amélioration et de réforme. M. Mazerolle semble craindre d'avoir donné à cet écrit une tournure trop technique, trop mathématique pour ainsi dire. Il a tort; on ne prouve jamais trop, quand on veut prouver, c'est-à-dire quand on est sincère et bien convaincu d'avoir raison.

Finissons par un livre léger, pour rester fidèle à nos goûts.

Parmi les volumes nouveaux dont on voit l'annonce dans les journaux, ou sur les murs, ou même ailleurs, je n'ai guère lu qu'un roman, c'est le Chevalier du silence, par M. Alexandre de Lavergne. Voilà ce qu'on appelle un gentil roman, un joli et agréable roman, dans la vieille manière, un peu naïf et bonhomme, un roman de 1820, une petite histoire à la Scribe, et digne de faire pendant aux aimables pièces du théâtre de Madame. Un jeune officier des guides, blessé à Solférino, reçoit l'hospitalité dans un château, sur les bords du lac du Bourget, et il emploie sa convalescence à se faire aimer de deux jeunes filles, l'une coquette, l'autre sentimentale et sincère. J'ai vu dans je ne sais quelle réclame que cette différence des deux caractères avait une haute portée philosophique, et que l'auteur y avait caché tout un traité de morale. Il l'y a si bien caché qu'on ne l'y voit point, et c'est fort heureux, car on bâillerait à un pareil sermon. Au dénoûment, l'officier des guides épouse la sentimentale, et le chevalier du silence épouse la coquette faute de mieux. Ce chevalier est le sacrifié, le résigné, la bonne bête du roman. Il voit tout sans rien dire, il surveille les gens, il les espionne même pour leur bonheur : c'est un héros, c'est un ange, et la félicité universelle lui passe par les mains.

Solférino ne va pas très bien ici, et, en général, tout ce qui est trop contemporain ressemble, dans ce livre, à un anachronisme. On préférerait que ce héros d'opéra-comique eût été blessé dans quelque guerre mythologique, par exemple, dans la guerre d'Espagne en 1823; cela serait plus dans le ton d'un roman qui nous épargne pendant deux heures le spectacle ingrat de la réalité, d'un vrai roman ou l'héroïne a encore un de ces visages d'un galbe si fin et si pur, où la fascination de la valse devient inéluctable, où l'on rencontre à chaque pas un vieux général qui jure toujours; d'un roman enfin où des mœurs de convention, des scènes plutôt ingénieuses que naturelles, et des personnages parfois un peu fades vous amusent assez pour ne vous laisser qu'un petit désir un peu de musique pour les accompagner.

A. CLAVEAU,

CHRONIQUE POLITIQUE

29 juin 1864.

Les négociations sont rompues. La conférence de Londres vient de se séparer après deux mois de laborieux efforts, sans avoir trouvé une base pour le rétablissement de la paix. Quel est donc l'écueil où se sont brisés la patience et le zèle de tant d'habiles diplomates? Et sur qui doit en définitive retomber la principale responsabilité de l'insuccès? Assurément, ce n'est pas sur la France. La politique de notre gouvernement a été dès le premier jour aussi prévoyante que loyale. Tandis que les autres puissances préoccupées de leurs avantages particuliers ou gênées par leurs alliances dynastiques, hésitaient et cherchaient en vain une règle de conduite, le cabinet impérial, plus libre et plus désintéressé, se plaçait résolûment sur le terrain des principes et conseillait la seule solution vraiment rationnelle et vraiment pratique, l'appel aux populations. Cette proposition ayant été écartée, ou pour mieux dire, n'ayant point été accueillie avec l'empressement qu'elle méritait, la France aurait pu croire qu'elle avait assez fait pour l'œuvre commune et se borner désormais à écouter, dans une attitude passive, les combinaisons suggérées tour à tour par les autres cabinets. Mais incapable d'un puéril dépit, et sûre d'ailleurs qu'un prochain avenir viendrait démontrer l'excellence de son conseil, elle n'a pas cessé un instant de prendre la part la plus active aux négociations, prêtant les mains à tout ce qui lui semblait inspiré par un véritable esprit de conciliation, secondant les tentatives de l'Angleterre aussi chaleureusement que si elle avait pu croire à leur succès, employant son influence auprès des belligérants pour les faire renoncer à des prétentions excessives, recommandant la modération aux Allemands et la résignation aux Danois, donnant à tous enfin des preuves de sa sagesse, de son impartialité et de son sincère amour pour la paix. Cette conduite n'a pas tardé à porter ses fruits; lorsque les plénipotentiaires réunis à Londres eurent décidé de remettre à quelques-uns d'entre eux le soin d'examiner les griefs réciproques des Danois et des Prussiens relativement à l'observation de l'armistice, ce fut l'ambassadeur français qui fut à l'unanimité nommé président de cette espèce de sous-conférence, et au dernier moment, quand toutes les espérances pacifiques se furent évanouies l'une après l'autre, quand les diplomates aux abois n'aperçurent plus qu'un seul moyen d'empêcher la reprise des hostilités, qu'une seule et bien fragile planche de salut,

ce fut encore vers notre gouvernement qu'ils tournèrent leurs regards, ce fut lui seul qui leur inspira quelque confiance et qu'ils crurent capable de faire réussir cet expédient désespéré. Peu importe que l'arbitrage ait été officiellement ou non déféré à l'empereur; ce qu'il y a de certain, c'est que lord Russell, dans la conversation qu'il a eue à ce sujet avec le comte Bernstorff, a prononcé le nom de notre souverain, c'est que la presse prussienne et autrichienne a accueilli cette nouvelle avec une satisfaction unanime, c'est que les Danois eux-mêmes, si opposés à l'arbitrage, n'ont élevé aucune objection contre le choix de l'arbitre, c'est enfin que, s'il convenait aujourd'hui à la dignité de notre gouvernement de renouveler sa proposition du 5 novembre, on verrait les souverains et les peuples qui se sont montrés alors les plus soupçonneux, édifiés maintenant sur nos intentions par notre généreuse et loyale attitude à la conférence de Londres, répondre avec empressement à notre appel, et soumettre avec confiance leurs différends au suprême arbitrage d'un congrès de Paris.

Accuserons-nous de l'insuccès de la conférence l'entêtement des belligérants? Il est évident que si l'Autriche et la Prusse n'eussent rien demandé et que le Danemark eût tout accordé, la paix eût été plus vite faite. Mais pouvait-on s'attendre à ce que des puissances qui ont recouru à la guerre pour soutenir leurs prétentions fussent tout à coup saisies d'un si beau mouvement d'abnégation, et n'est-il pas naturel, au contraire, que, quand on a une fois pris les armes et fait le sacrifice de sa fortune et de sa vie, on ne cesse point de combattre jusqu'à ce qu'on ait fait triompher sa cause ou perdu tout espoir de la faire triompher? Nous savons qu'en France, aussi bien qu'en Angleterre, une grande partie de la presse a cru devoir s'en prendre aux « exigences intolérables >> de l'Allemagne. Nous n'ignorons pas qu'en Prusse même on a fortement soupçonné M. de Bismark d'avoir à dessein fait échouer l'oeuvre de la diplomatie, et poussé à la continuation d'une guerre qui sert admirablement sa politique intérieure. Nous connaissons les inquiétudes qu'ont inspirées aux libéraux de toute l'Europe les entrevues de Kissingen et de Carlsbad, et la soudaine entente qu'elles paraissent avoir établie entre les souverains du Nord. Mais, tant qu'il ne nous sera pas donné de lire dans les intentions des rois et de leurs ministres, nous nous bornerons à apprécier leur conduite, et nous devons dire que celle des plénipotentiaires allemands pendant le cours des négociations ne nous paraît point injustifiable. Leur première demande, celle que M. Bernstorff formula dans la séance du 17 mai, consistait à réclamer pour les duchés des institutions et une représentation communes et distinctes de celles du reste de la monarchie; c'était à cette condition que l'annexion du Schleswig-Holstein au Danemark s'était effectuée en 1460, et l'Allemagne voulait seulement que ce vieux contrat fût remis en vigueur. Mais la cour de Copenhague ayant repoussé cette proposition, le comte d'Apponyi déclara, au nom des trois cabinets germaniques, que la paix ne pouvait plus désormais se conclure que si les deux duchés étaient séparés complétement du Danemark et réunis sous la souveraineté du duc d'Augustenbourg. Ce fut alors que le comte Russell mit en avant son fameux projet de réunir au Holstein et

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d'attribuer à l'Allemagne la partie méridionale du Schleswig, jusqu'à la ligne formée par le Danewirke et la Schlei. L'Autriche et la Prusse pouvaient-elles se prêter à cette combinaison et livrer à la domination danoise près de 100,000 de leurs compatriotes et des villes exclusivement allemandes, comme Hadersleben, Apenrade et Sonderbourg, et ne firentelles pas encore preuve de modération quand, en proposant la ligne d'Apenrade à Tondern, elles consentirent à laisser au Danemark cette ville d'Hadersleben, qui, dans une récente réunion populaire, vient de se prononcer avec tant d'unanimité pour son union avec le Schleswig méridional? On a fait un crime au plénipotentiaire prussien d'avoir déclaré, dans la séance du 18 juin, que si le blocus recommençait, son gouvernement avait l'intention de délivrer des lettres de marque. Ainsi, disait-on, le cabinet de Berlin ne se croit plus lié par les stipulations du dernier traité de Paris; il veut s'affranchir des engagements qu'il a pris aussi librement que solennellement en 1856, et déchirer un code maritime qui a constitué un si grand progrès dans l'histoire de la civilisation et de l'humanité. Mais toutes ces déclamations reposaient sur un faux renseignement, et l'on vient d'apprendre que M. de Bernstorff s'était borné à déclarer que, « si le Danemark continuait à violer les stipulations du traité de Paris en prétendant maintenir un blocus fictif, la Prusse ne se croirait plus tenue, à son tour, à les respecter envers cette puissance, et revendiquerait le droit d'armer en course. » Nous avouons ne rien voir dans cette déclaration que de parfaitement légitime et équitable. Les plénipotentiaires allemands ont d'ailleurs, à nos yeux, un important mérite celui d'avoir accueilli la proposition française de l'appel aux populations, MM. de Beust et de Bernstorff avec empressement, M. d'Apponyi plus froidement et en faisant des restrictions, en demandant, par exemple, que l'on consultât, au lieu du suffrage universel, l'opinion des Chambres électives de chaque duché; mais c'était déjà un grand pas vers une solution amiable, et les puissances qui l'ont fait ne sauraient être accusées d'avoir été le principal obstacle au rétablissement de la paix. Est-ce à dire pour cela que nous prétendions faire retomber toute la faute sur le malheureux Danemark? Assurément, si nous trouvons que les Allemands ont raison, c'est que nous croyons que les Danois ont tort. Mais nous comprenons trop bien les exigences de l'honneur national, nous sentons trop vivement ce qu'il y a de douloureux pour un Etat à se voir amoindrir et dépouiller, pour condamner l'héroïque obstination d'un petit peuple qui aime mieux se faire exterminer que de souscrire à des conditions qui lui semblent humiliantes; et nous ne saurions blâmer beaucoup le cabinet de Copenhague de se montrer docile à la voix de la nation, surtout s'il conserve encore l'espoir d'une puissante diversion, et s'il se flatte toujours, comme le prouve le discours de M. Monrad à l'ouverture du Rigsraad, d'obtenir au dernier moment le concours actif du gouvernement anglais.

Nous venons de nommer le vrai coupable. Chose étonnante! c'est la puissance qui redoutait le plus vivement les complications actuelles qui a le plus contribué à les faire naître et à les aggraver. C'est le cabinet qui s'est donné le plus de peine et de mouvement pour empêcher la re

prise des hostilités qui a le plus fait pour la rendre inévitable. Si, au mois de novembre dernier, l'Angleterre avait plus favorablement accueilli la proposition d'un congrès, la question dano-allemande y eût été portée en même temps que plusieurs autres, et probablement réglée, sans qu'il fût besoin de recourir aux armes. Si, au commencement du conflit, l'Angleterre avait déclaré franchement au Danemark qu'elle ne voulait lui. prêter aucun secours, celui-ci, mesurant l'énorme disproportion de ses forces, aurait fait à ses adversaires des concessions suffisantes pour les désarmer. Si, au même moment, elle avait annoncé catégoriquement aux puissances allemandes qu'elle ferait de leur entrée dans le Schleswig un casus belli, celles-ci se seraient vraisemblablement contentées du retrait de la constitution du 18 novembre, qu'on aurait pu en même temps négocier à Copenhague. Si, dès la première séance de la conférence, lord Russell, au lieu de s'obstiner à maintenir le traité de Londres, pour l'abandonner quinze jours après, avait soutenu résolûment et énergiquement l'appel aux populations, il aurait aisément rallié à cette solution, outre les Allemands qui n'y ont jamais été contraires, les autres puissances médiatrices, et le Danemark, isolé, aurait été obligé de céder. C'est uniquement aux inconséquences et à la versatilité du cabinet anglais qu'il faut attribuer ce que certains journaux d'outre-Manche appellent tour à tour, suivant que leur mauvaise humeur se porte sur l'un ou l'autre des belligérants, « l'entêtement des Danois » et «l'arrogance des Allemands, »> les uns espérant encore qu'il prendra leur défense, les autres croyant toujours qu'il n'ira pas au delà des menaces. Ce sont probablement ces derniers qui ont raison; mais il faut convenir que l'illusion des Danois était excusable. Ils n'étaient venus à la conférence qu'avec la conviction que l'Angleterre soutiendrait jusqu'au bout le traité de Londres, c'est-àdire l'intégrité de la monarchie, et c'est ce qui les avait fait consentir à une suspension des hostilités, quand leur flotte entrait en lice et commençait à les dédommager un peu de leurs revers. Ce dut donc être pour eux un assez vif désappointement quand le comte Russell abandonna tout à coup le traité de Londres, le 28 mai, et proposa le partage du Schleswig; ils se résignèrent pourtant, et acceptèrent la ligne de la Schlei, mais on écrivit dans tous les journaux danois que le cabinet de Copenhague n'avait fait cette concession qu'avec la certitude d'obtenir en retour l'appui effectif du gouvernement qui la lui avait demandée; ce devait être d'ailleurs l'ultimatum de l'Angleterre aussi bien que du Danemark. Quelle ne fut pas la surprise, nous dirions presque l'indignation, de M. Quaade et de son collègue quand, le 18 juin, lord Russell fit une nouvelle évolution et mit en avant son projet d'arbitrage. C'était tout remettre en question: rien ne leur garantissait qu'un arbitre s'en tînt à la ligne de la Schlei ou même à celle d'Apenrade qu'ils avaient si énergiquement repoussée; ils ne se firent pas faute du reste d'exprimer leur mécontentement, et l'on assure que, dans la séance de mercredi, ils ont lu un mémoire très long et très habilement rédigé, dans lequel ils signalent comme la principale cause de leur triste situation, — l'ambition de l'Allemagne? — non, la versatilité de l'Angleterre. Si telles sont les dispositions des plénipotentiaires danois,

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