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trop étroite se donnent aujourd'hui le plaisir de lire ce qu'ils n'ont pu entendre. Que les privilégiés, il y en a même dans les réunions populaires, que ceux qui ont franchi l'enceinte relisent à tête reposée ce qui les a enthousiasmés souvent, charmés parfois, intéressés toujours. Ce plaisir, je viens de le goûter et je le recommande à tous : « La conférence dans un fauteuil. >>

M. Saint-Marc Girardin ouvre le livre et les conférences non par un discours, il en fuit la solennité, mais par des paroles aimables et spirituelles, généreuses et passionnées. L'esprit à la hauteur de l'âme, quelle noble harmonie! Puisque l'illustre professeur était occupé des questions complexes de littérature, de démocratie et de langage, j'aurais bien voulu une définition que j'attends depuis longtemps. Au point de vue politique, administratif, je sais et je comprends ce que c'est que le peuple; en matière intellectuelle, quels hommes faut-il désigner par ce nom. Est-ce, dans une salle de spectacle ou de concert, le prix de la place qui détermine la qualité de l'auditeur? Pour les contribuables, le taux de l'impôt, voilà le classement opéré; mais là, dans cet auditoire, à la salle Barthélemy ou au concert du Cirque, est-ce aux dernières places que je dois chercher le peuple? Est-ce là seulement que les auditeurs manquent de culture intellectuelle? Je crois qu'il y en a beaucoup aux premières places. Et pourtant on ne les appelle pas les places populaires. M. Saint-Marc Girardin sera peut-être un jour tenté de nous donner cette définition que je réclame. Je ne l'ai point rencontrée dans son analyse si fine des fables de La Fontaine, que le lecteur trouvera plus loin.

J'avais un peu peur en commençant à lire l'étude de M. Legouvé sur Jean Reynaud le second morceau du premier volume. M. Legouvé lit si bien. Je me rappelais l'heure charmante que j'avais passée à l'écouter. Mon inquiétude était superflue; même plaisir à la lecture qu'à l'audition. La biographie est digne du héros. L'entretien de M. Henri Martin sur Jeanne d'Arc est digne de l'historien éminent. M. Wolowski intéressera ses lecteurs autant qu'il a intéressé ses auditeurs, en parlant de la monnaie ; c'est pour tout le monde, hélas! une question brûlante. L'isthme de Suez, son histoire et son avenir, ont fait l'objet d'un conférence. M. de Lesseps en est venu parler lui-même avec cette chaleur d'apôtre convaincu qu'il apporte à l'achèvement de son œuvre.

Le second volume commence par le spirituel entretien de M. de Loménie, sur les lettres de Voltaire. Un incident, qui fait honneur à l'orateur et au public, n'a pu être noté. Une allusion à la corruption des classes élevées fut couverte d'applaudissements. « Pardon, dit M. de Loménie, je parle des classes élevées du temps de Voltaire; celles de mon temps valent les autres, et parfois elles valent mieux. Ne m'applaudissez pas pour une opinion que je n'ai point. » Tel fut le sens sinon le texte des paroles de M. de Loménie. Il fut couvert d'applaudissements; ceux qui avaient compris toute la délicatesse d'une telle explication et d'un tel scrupule, ceux-là étaient-ils le peuple? Je n'attends point la définition de M. Saint-Marc Girardin pour en être sûr. MM. Henri Martin et Legouvé reparaissent, l'un avec Vercingétorix, l'autre avec la Femme au XIXe siècle. Le lecteur trou

vera, heureusement pour lui, l'excellente étude de M. Albert Gigot, sur la législation criminelle en France avant la révolution de 89. Des faits intéressants, des opinions de tous points généreuses et libérales, tels sont les traits saillants de cet entretien remarquable. M. Lefebvre Pontalis fournit au recueil son contingent d'intérêt, en reproduisant un épisode de l'histoire de Hollande. Une étude de M. Yung, sur Henri IV, et les paroles éloquentes de M. Barrot, terminent le volume.

Voilà une table des matières consciencieuse et raisonnée, j'ai oublié quelques noms cependant ceux de MM. Viennet, Lachambeaudie, Laboulaye. Pourquoi n'a-t-on pas reproduit l'éloquente leçon de M. Jules Simon sur les corporations? Puisque cet homme de bien est un écrivain distingué en même temps qu'un orateur supérieur, pourquoi nous priver de sa parole imprimée ? Un autre aussi manque; mais de celui-là, nous n'avons pas entendu la voix, et on ne pouvait imprimer une conférence dont nous avions été privés. Homme de bien lui aussi; écrivain, nous le savons; orateur..... comment le savoir sans l'avoir entendu? Mais je répondrais de lui, je n'ose dire sur parole. Cette affirmation sentirait l'ironie. Faut-il nommer M. Prévost-Paradol? Tout le monde l'avait reconnu.

Puisque je parle des publications au profit des blessés Polonais, je ne sortirai point du sujet en recommandant au lecteur la belle brochure de M. Anatole de la Forge, sur la Pologne en 1864. Ses lettres à M. Emile de Girardin sont écrites avec un feu, une éloquence, qu'éveille toujours chez l'auteur toute œuvre patriotique et généreuse.

Il me semble que me voilà, malgré moi, tombé dans le travers que je signalais en commençant. Quel mérite y aura-t-il à présent à acheter un livre excellent? Qui pourra croire, en le rencontrant sur les rayons d'une bibliothèque, qu'il y figure par charité ? Que pouvais-je faire, cependant? Ne pas dire le bien que je pense des conférences de la salle Barthélemy; en dire beaucoup de mal et vous engager à l'acheter? Non, le lecteur a un moyen de mettre d'accord ses intentions charitables et l'agrément de ses lectures, si toutefois il est aussi scrupuleux que moi. Rien de plus simple s'il veut bien suivre le conseil que voici : « Achetez deux exemplaires du livre que publie M. Didier; l'un, parce que c'est une bonne œuvre, et l'autre parce que c'est un bon livre. »> ARTHUR BAIGNÈRES.

Les Cantilènes, par Gustave DE LARENAUDIÈRE, nouvelle édition, in-16. Paris,

A. Fontaine. 1864.

Des qualités que nous recherchons chez les écrivains, la sincérité n'est pas la moins rare ni la moins précieuse; elle donne un charme infini aux moindres objets. Une causerie dénuée d'apprêt, où se livre à vous tout entière une âme naïve, nous intéresse plus que de pompeux discours destinés à cacher un mensonge. Sitôt que nous soupçonnons un auteur de vouloir nous faire éprouver des émotions qu'il n'a pas ressenties lui-même, nous sommes sur nos gardes, craignant d'être pris pour dupes. Avec Gustave de Larenaudière, une pareille défiance serait injuste; il a dû être tel

qu'il se montre à nous dans ses vers : c'était une âme douce, étrangère à la haine, enthousiaste et rêveuse, sans qu'il y eût dans sa tristesse poétique aucune amertume, aucun désespoir; très accessible à tous les sentiments affectueux, éprise surtout des beautés de la nature et de celles de l'art. Le poète, chez lui, était l'image fidèle de l'homme, et sa vie, éteinte. prématurément, qu'une voix bienveillante nous a racontée dans une excellente préface, est conforme à l'idée que ses chants nous donnent de lui. Assurément, l'espérance de sa famille et de ses amis ne sera pas trompée s'ils ont voulu, par la publication dans le même volume de vers mis au jour il y a une vingtaine d'années et de productions plus récentes, payer un pieux hommage à la mémoire de Larenaudière, et nous le rendre cher. On ne lira point ce livre sans y puiser une estime réelle pour son talent et une grande sympathie pour son caractère.

Quoique les pièces du recueil soient de dates différentes, elles ont toutes la même physionomie. Larenaudière, en vieillissant, n'avait pas changé ; il était de ceux dont la jeunesse s'est écoulée sous le règne de LouisPhilippe, et qui n'ont pu, malgré les progrès de l'âge, renoncer à leurs illusions généreuses, à leurs inspirations un peu vagues, mais persévérantes, vers le bien et le vrai. Elles appartiennent, pour la plupart, au genre intime, dont on a tant et si déplorablement abusé, que le public a peine à le supporter aujourd'hui. Ceci, néanmoins, n'a pas nui à Larenaudière, parce que sa personnalité ne s'accuse jamais par des traits trop spéciaux, trop individuels; elle n'a pas l'insolente fatuité de nous offrir comme choses d'une grave importance les plus intimes détails de sa vie journalière. Sou moi n'a rien de choquant; il n'essaye pas de s'imposer bruyamment au nôtre; il sollicite d'une façon discrète notre attention d'un moment par des pensées qui nous sont communes avec lui.

Les cantilènes proprement dites sont de très courts morceaux : une idée triste ou joyeuse, une image, un songe fugitif en quelques strophes légères et cadencées. L'auteur n'y cherche point le trait, en quoi il n'obéit pas au goût français; nous aiguisons volontiers toute chose en épigramme; mais cette sobriété un peu nue respire parfois une grâce antique et rappelle certains passages de l'Anthologie. Nous citerons, entre autres, comme des modèles d'exquise fraîcheur : le Chant de l'Hirondelle, Pour venir voir le soir, Eveillez-vous, ma belle. Un grand nombre de ces cantilènes ont été mises en musique, ce qui nous étonne d'autant moins qu'on ne peut guère les lire sans essayer de les chanter. Deux imitations de la poésie grecque, Sapho, la Jeune Fille de Téos, ont cette douceur passionnée, cette molle élégance qui distinguent André Chénier, lequel nous semble, d'ailleurs, avoir été le poète aimé de Larenaudière, si l'on en juge par les beaux vers qu'il lui a consacrés. Horace partage la même faveur; il a inspiré à Larenaudière une de ses meilleures pièces : le Printemps romain, où son éloge est heureusement associé à celui de la campagne de Rome, qui avait produit sur notre auteur une impression des plus vives. En général, pourtant, Larenaudière nous fait plutôt sentir la nature qu'il ne nous la représente, la brièveté de ses poêmes ne lui permettant pas une description un peu étendue. Ajoutons que chez lui l'amour est

chaste et réservé; il ressemble moins à la passion ardente qu'à une sereine et tendre amitié.

Larenaudière est quelquefois finement railleur; c'est ainsi que, dans le Comte de Boissec, il se moque agréablement de ces hommes qui, devant leur fortune à la Révolution, ne cessent d'en dire du mal, et qui trouvent de bon goût de se mettre au rang des victimes après s'être enrichis de leurs dépouilles, ce qui est le comble de l'impertinence.

Pour résumer notre opinion sur Gustave de Larenaudière, nous dirons que son talent, d'ailleurs incontestable, consiste plutôt dans la gràce que dans la force. Nous serions tentés de le comparer à Brizeux, quoique la forme de leurs œuvres soit bien différente. Comme le poète breton, il répugne à toute sensation excessive. Il habite une région tempérée où la lumière n'est pas très éclatante; mais les objets y sont placés dans un demijour harmonieux qui plaît aux âmes fatiguées. Il nous conduit par un chemin où des amis fidèles aimeront à le suivre, chemin uni et bordé de fleurs champêtres qui ont leur parfum pénétrant et leur beauté durable.

ALFRED DE TANOUARN.

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

Le Pêcheur de crabes. Pénurie de la quinzaine. La Comtesse d'Escarbagnas au Théâtre-Français. De quelques petites pièces nouvelles et effrontées. Les Mémoires d'une Femme de chambre. La Fille du maudit. La liberté des théâtres. - La Question des œuvres inédites, par M. Pierre MAZEROLLE.—Quelques livres nouveaux : Le Chevalier du silence.

Il y avait, cette année même, dans le jardin de l'Exposition, une statue, ou plutôt un groupe intitulé le Pêcheur de crabes. Un pêcheur avec son panier, une roche énorme, de grosses écrevisses sur le sable fin, quelques autres accessoires encore, et la mer elle-même que l'on devinait (chose rare en sculpture !), tout cela formait un joli groupe bien distribué et fort intéressant. Malheureusement, l'ouvrage était d'un débutant, M. Casimir Girard, élève de MM. Duret et Guillaume, lequel, si je ne me trompe, n'avait encore rien exposé. Or, comme le devoir de la critique est justement d'encourager les efforts de ceux qui débutent, de leur aplanir le chemin, de les y guider au besoin, et de signaler leurs travaux à l'attention du public, personne ne parla du Pêcheur de crabes. Un homme de lettres de mes amis, qui est sculpteur comme moi (c'est-à-dire qu'il ne sait pas distinguer la terre glaise du macadam), m'objecta que le modelé des jambes laissait à désirer. Le modelé des jambes! et voilà pourquoi la critique est muette. Pauvre pêcheur et pauvre artiste, ils s'en allèrent comme ils étaient venus, l'un portant l'autre; sinon que le garçon de plâtre paraissait un peu plus lourd qu'au départ. Pour mon compte, je déclare que je ne connais point l'artiste, mais j'aimais le pêcheur; il ne ressemblait pas à tous les pêcheurs connus ; il se donnait du mouvement, de la peine; il se penchait énergiquement sous la roche menaçante, et puis il prenait..... quoi? des crabes, c'est-à-dire la plus laide bête qui se soit jamais montrée sur la surface du globe.

Il prenait des crabes, et voilà précisément pourquoi je l'aimais; je le trouvais plein de philosophie, avec ses crabes; je me sentais attiré vers lui par mille affinités secrètes, je démêlais dans toute sa personne une certaine ressemblance avec un critique; je comparais sa destinée à la nôtre, ses occupations aux miennes; enfin je ne pouvais m'empêcher de remarquer qu'il faisait exactement le même métier que nous. En effet, nous partons tous au matin, au soleil levant, nous emparant du monde, artistes ou critiques, rêvant de faire une grande œuvre ou de la rencontrer, rêvant

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