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du Pérou. Quant au tabac, on le cultive dans les landes de la Gironde depuis 1855, et sa culture s'y est perfectionnée de telle sorte que, déjà en 1859, les plantations de tabac s'étendaient sur 705 hectares, cultivés par 1,923 fermiers. Ces cultures donnaient alors 857,950 fr.; l'hectare rapportait donc, en moyenne, 1,215 fr.

Si le sol des Landes a repoussé certaines cultures, il en a accepté d'autres, et si petit qu'on en veuille faire le nombre, il est encore considérable lorsqu'on le compare à celui des plantes jusqu'ici exclusivement admises par les Landais. Au reste, le règne végétal est loin d'avoir été épuisé dans ces expériences qui se continuent; et l'on peut supposer qu'à un moment donné, grâce à de nouveaux emprunts faits aux flores étrangères et aux ressources fournies par les récentes méthodes d'acclimatation, les Landes, si longtemps déshéritées, seront peut-être l'une des provinces les mieux partagées de notre pays. Ajoutons que l'Empereur n'a pas voulu que le champ seul fût pour les paysans une école. Il lui a paru que leurs habitations n'étaient point convenables, et qu'il était bon de leur donner un modèle de logis plus sains que ceux où bon nombre de Landais s'abritent encore. Rien ne saurait être comparé en France à ces demeures, dit M. le docteur Jolly, si ce n'est cependant les chaumières de certains villages de la Bretagne et de la Vendée; elles sont obscures, humides, sans carrelage, ni plafond, ni croisées, de telle sorte que l'air et la lumière n'y pénètrent que par la toiture ou la porte d'entrée, qui, au lieu de vitrage, offre une simple toile de canevas. Le plus ordinairement aussi, une seule pièce sert d'habitation à toute la famille, quelque nombreuse qu'elle soit. En outre, ces maisons sont très fréquemment enveloppées d'émanations putrides ou marécageuses provenant des dépôts de fumiers ou des mares dans lesquelles se vautrent les nombreux porcs qu'on y élève.

Pour modifier cet état de choses, l'Empereur a décidé qu'un certain nombre de maisons seraient construites près de la station de Sabres, et données en location à bas prix à des familles d'ouvriers ruraux. Ce centre de population a reçu de son fondateur le nom de Solférino, nom qui s'est étendu à toutes les dépendances de ce nouveau village, y compris la station du chemin de fer. Le point central de la colonie est marqué par une église érigée au milieu d'une parcelle de 200 mètres de largeur, reservée pour servir d'emplacement aux constructions d'utilité commune que le développement progressif de la population rendra nécessaires. A droite et à gauche de ce terrain réservé sont établies les maisons destinées aux ouvriers agricoles. Construites de 1861 à 1863, ces maisons sont aujourd'hui au nombre de vingt-cinq environ. Un petit jardin potager et un champ d'une contenance totale de 1 hectare 80 centiares

accompagnent ces habitations que des chemins de 5 mètres de largeur font communiquer avec la voie agricole. Les dépendances des divers groupes formés par ces maisons sont séparées par des bandes plantées d'arbres d'utilité et d'agrément, tels que le chêne, le chêneliége, l'acacia, le platane, le pin pignon et divers arbres fruitiers. En représentation de leur loyer annuel, les colons fournissent au domaine impérial, soit en nature, soit en argent, à leur choix, soixante-quinze journées d'ouvrier. Puis, comme ces journaliers ne pourraient pas entretenir des attelages pour leurs petites cultures, et qu'il serait très onéreux pour eux d'exécuter ce travail à bras, l'administration leur donne la faculté de faire faire leurs labours et leurs hersages par les attelages des fermes du domaine, et de payer ce travail en donnant en échange trois journées d'ouvrier pour une journée d'un attelage de bœufs avec son conducteur. Il reste encore aux colons et à leur famille, indépendamment du temps qu'ils consacrent à leurs propres cultures, un grand nombre de journées dont on leur assure l'emploi dans le domaine et pour lesquelles on leur alloue le même salaire qu'aux journaliers du dehors. Au moment de l'installation de ces familles, le domaine leur fournit les premières avances, telles que semences et engrais. On leur livre, en outre, une petite vache laitière, un ou deux porcelets et les outils de première nécessité. Les maisons, le cheptel et le matériel sont assurés aux frais du domaine privé. Enfin, l'Empereur a décidé qu'au bout de dix ans les familles qui se seront bien conduites recevraient, comme récompense, la propriété complète de leur cottage et du terrain qui y est attaché. Aujourd'hui, Solférino possède non-seulement un desservant spécial, mais un service médical régulier. Cette dernière installation n'était pas moins essentielle que l'autre ; car si Solférino se trouve être le centre d'une contrée maintenant assainie, les contrées environnantes ne sont pas encore dans des conditions analogues de salubrité.

IV

Telles sont les intéressantes études auxquelles le domaine impérial sert de cadre. Nous avons rapidement passé en revue les efforts dont le reste du territoire est l'objet de la part du gouvernement, des communes et des particuliers. Encore quelques mois, et une surface considérable de landes communales sera assainie et mise en valeur. Alors se trouvera accomplie, sinon complétement, au moins en grande partie, la difficile entreprise de la colonisation des

Landes. L'avenir s'offre d'autant plus brillant pour leurs habitants,
que l'envoi des matières résineuses, dont les Etats-Unis approvi-
sionnaient avec tant d'abondance les différents marchés de l'Europe
centrale et méridionale, a subitement cessé, par suite de la guerre,
Il en est résulté que le pin maritime vaut aujourd'hui 14 fr.,
tandis que ce même arbre ne valait, il y a vingt ans, que 3
ou 4 fr. pièce. « Comme culture industrielle, nous écrit-on de La
Teste, l'hectare de pins en rapport donne en ce moment, par an-
née, une barrique chalosse (340 litres) de gemme ou résine molle,
et un quintal métrique de galipot ou barras. La barrique de ré-
sine, qui ne valait moyennement que 35 fr. en 1840, vaut, à cette
heure, 230 fr. En faisant abstraction des motifs qui surélèvent
actuellement la valeur des produits du piu, le prix de la barrique
de résine ne pourrait être coté à moins de 100 fr. et le quintal de
barras au-dessous de 15 fr. Qu'on déduise, sur cette somme de
115 fr., 35 fr. par barrique de gemme et 5 fr. par quintal de bar-
ras, pour frais d'exploitation et de culture, il reste un produit net
de 75 fr. par hectare. » De si beaux bénéfices sont faits pour allé-
cher; aussi ne faut-il pas s'étonner si beaucoup de propriétaires
landais, excités par l'abondance des demandes, ont surmené leurs
arbres, dans le but de leur faire produire une plus grande quan-
tité de résine dans le plus court espace de temps possible. Ces
propriétaires sont libres d'user de leur bien comme ils l'entendent.
Ils nous permettront cependant de remarquer que leur système est
loin de reposer sur une base logique et durable, car non-seulement
ils mangent leur bien en herbe, suivant une expression populaire,
mais cette impatience ne leur permet pas d'apporter dans leur pro-
duction tous les soins qu'il faudrait. Nous avons vu leurs produits,
et ils nous ont paru inférieurs à ceux qu'apportaient jadis les Etats-
Unis sur les marchés européens.

Nous avons dit que la résine est actuellement recueillie dans une
petite cavité creusée au pied de l'arbre, à l'extrémité inférieure de
la carre. Ce récipient naturel est sujet à de nombreuses avaries et à
l'invasion permanente du sable, des feuilles, des insectes. De là,
grande déperdition et surtout impureté et infériorité des pro-
duits. Il existe pourtant un procédé, inventé il y a une vingtaine
d'années par un agronome du pays, M. Hugues, qui obvie à ce
double inconvénient. Il consiste à adapter à chaque carre un godet
en terre vernissée, qui reçoit intégralement le suc de l'arbre et
l'isole de tout contact. La résine qu'on obtient ainsi est beaucoup
plus abondante, et elle permet de communiquer aux produits qui en
résultent toute la perfection désirable. A la récolte seule, le procédé
Hugues rend par hectare et par an 14 fr. de plus que le procédé

ordinaire, différence qui s'élève, à la fabrication, jusqu'à 30 fr. Mais telle est l'horreur des Landais pour les innovations, que c'est seulement plusieurs années après la mort de M. Hugues que son procédé a coinmencé à se répandre. Et pourtant son godet ne coûte que 12 centimes! Il serait à désirer également que le traitement de la gemme se fit à l'aide de la vapeur et par de meilleurs alambics. « Les usines des Landes, dit M. Ferrand, présentent, sous ce double rapport, les plus regrettables lacunes; leur amélioration nécessiterait peu de capitaux et peu d'efforts. » Que les agriculteurs landais profitent donc hardiment de l'occasion que leur offre en ce moment la fortune, et qu'ils rompent avec le passé, c'est-à-dire avec des procédés aujourd'hui condamnés, s'ils ne veulent point voir leurs produits abandonnés lorsque, la guerre finie, les Etats-Unis reparaîtront sur les marchés de Londres, d'Amsterdam, de Hambourg, de Trieste, où pendant si longtemps ils ont régné en maîtres.

(La 20 partie à une prochaine livraison.)

LEON RENARD.

POÉSIES

LES ÉTOILES MORTELLES

Un soir d'été dorait les épaisses ramures

Immobiles dans l'air harmonieux et doux;

Deux beaux enfants, les doigts rougis du sang des mûres, S'en allaient tout le long des frênes et des houx.

Sous l'arome attiédi qui tombait des feuillées,
Par les sentiers moussus, furtifs, mystérieux,
Leurs pieds nus agitaient les bruyères mouillées,
Et l'écho se troublait de leurs rires joyeux.

Libres, ravis, la joue en fleur, la bouche ouverte,
Avec des yeux emplis de frais rayonnements,
Par delà les détours de la forêt déserte

Ils cherchaient des pays inconnus et charmants.

O rêveurs innocents, fiers de vos premiers songes,
Jeunes esprits, cœurs d'or rendant le même son,
Ignorant que la vie est pleine de mensonges
Vous écoutiez en vous la divine chanson!

En un vol insensible et muet la nuit douce
S'épaississait au loin sous les bois recueillis,
Et faisait se dresser, dans leur gaîne de mousse,
Les vieux chênes pensifs au milieu des taillis.

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