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« M. Cabrol est persuadé que le maire de Valquières est riche, marmotta Birouste, se parlant à lui-même, et voilà pourquoi il s'entête à ce mariage; mais, moi, j'ai entendu Genty répéter un jour, au Merle-Blanc « Nous sommes ruinés, nous sommes ruinés ! » Il est vrai que Genty était gris..... S'il avait dit la vérité pourtant, comme les projets des Rouilhac seraient vite mis à quia!....

-Les projets des Rouilhac? demanda Guerreros.

Tu sais bien que Fulcrand Rouillhac épousera Me Cyprienne.
Et vous pourriez empêcher ce mariage?

-Je ne dis pas oui, je ne dis pas non.... Cependant..... comme ça..... à nous deux..... on pourrait essayer.....

Que faut-il faire, camarade? je suis votre homme! s'écria Guerreros, dont la passion, cruellement aiguillonnée, éclata tout à

coup.

- D'abord; avant de nous mettre en campagne, hidalgo, répondit finement Birouste, il est de toute importance que tu m'avoues, mais là, la main sur le cœur, si tu aimes ma jeune maîtresse. Tu comprends qu'avec mon joli museau de fouine, je ne puis prétendre à l'épouser, moi, et que pour lors il serait inutile de briser son mariage de Valquières, si tu ne devais pas en ramasser les morceaux pour toi. >>

Guerreros tressaillit et s'arrêta. Encore une fois, la fierté se révoltait en lui. Il tourna vers Birouste un visage irrité.

« Compagnon, lui dit-il, la messe sera dite quand nous arriverons. au château.

Eh! pardi! nous nous en passerons, de ta messe ! Il s'agit bien de la messe, à présent! J'en ai entendu plus d'une sous les noisetiers du Merle-Blanc, moi, et le coffre ne s'en porte pas plus mal, Dieu me damne!

Moi, je n'ai jamais manqué la messe de ma vie, pas même pendant la guerre.

-La guerre! Quelle guerre? Par ma foi, à te voir si peu vaillant et déterminé dans tes propres affaires, il est bien difficile, hidalgo, de croire que tes mains aient jamais manœuvré d'autres armes que tes cisailles de tondeur. »>

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Quand ils entrèrent dans la petite chapelle du château, la messe en était à l'Evangile. Birouste s'accota contre un des battants de la porte, et resta là debout, avec cet air indifférent que le paysan apporte dans l'accomplissement de tous les devoirs où son intérêt matériel n'est pas directement engagé. L'Espagnol, au contraire,

prit de l'eau bénite, se signa, tomba à genoux sur les dalles ébréchées, et, tirant un petit livre de sa poche, se mit à en lire dévotement

les pages.

Cependant Mlle de Malavieille, assise à côté de sa mère, sur un banc adossé à l'une des murailles latérales, avait suivi, du coin de l'œil, tous les mouvements de Guerreros, et ne revenait pas de son étonnement. Quoi! cet homme, que son accoutrement bizarre dénonçait comme bohémien de grande route, avait une religion! il était catholique !.... Oh! il n'y avait rien de théâtral dans son acte de foi. Quelle simplicité dans toute sa pose! quelle sincérité sur son visage! quelle flamme pure et divine dans ses yeux! - Ainsi devait prier le Cid la veille d'une bataille, pensa Cyprienne. Puis, comparant l'attitude ennuyée et peu décente de Birouste au recueillement solennel de Guerreros, elle fit un retour sur elle-même et s'accusa de froideur. Pour la première fois, cette jeune fille eut l'intuition des grandes choses qui s'accomplissent sur l'autel; elle frissonna en voyant le prêtre élever l'hostie pour consommer le sacrifice, et se prosterna avec une ferveur toute nouvelle. L'amour la rapprochait du Ciel.

Mais c'est au moment même où la religion lui apparaissait plus redoutable et plus sublime que jamais, que Mile de Malavieille se sentit incapable de prier. Elle avait beau tenir les yeux attachés sur son paroissien et balbutier les oraisons de la messe, son esprit, obsédé par la pensée de Guerreros, ne prenait aucune part à sa dévotion toute machinale. Elle essaya de réagir contre ses préoccupations invincibles; mais plus elle s'efforçait de comprimer son être moral en révolte, plus elle se trouvait comme noyée dans mille idées d'amour délicieuses, enivrantes. Comptant échapper au démon intime qui la torturait adorablement, elle se retourna tout à fait vers le chœur, de façon à ne pas être tentée de regarder l'Espagnol. Mais c'est quand elle ne pouvait plus l'apercevoir, que l'image de l'hidalgo se dressa plus vivante devant ses yeux éblouis. Dans l'étrange vision qui la fascinait malgré elle, la jeune fille crut voir Guerreros à ses genoux, lui baisant respectueusement la main et lui répétant de sa voix mâle et douce : « Je vous aime! je vous aime! » Jugeant le rêve plus dangereux que la réalité, Cyprienne, dans un état d'inexprimable trouble, se rassit, lançant instinctivement un regard vers le fond de l'église. Comme la messe était près de finir, Guerreros était debout. Mile de Malavieille l'admira superbement drapé dans son burnous blanc, qui, ramené en avant par l'un de ses bras, dessinait sa taille fine et d'une suprême élégance. Sa tête était haute, avec cette expression de calme souverain qui lui était habituelle. « Oh! se dit-elle, il est impossible que les battements de mon cœur

"

me trompent; ce jeune homme est un grand seigneur, puisque je sens que je l'aime ! »

Jalouse de conserver son secret, et déterminée à en mourir plutôt que de le révéler jamais si s s instincts secrets l'avaient trahie, elle répondit évasivement à sa mère qui avait remarqué son agitation pendant la messe, et sortit de la chapelle. Elle rencontra Birouste et Guerreros dans la cour du vieux château. Le Cévenol faisait admirer au gitane l'épaisseur des murailles du manoir de Malavieille, et lui racontait à sa façon l'incendie de cette forteresse féodale, en 1792. Le tondeur écoutait ce bizarre récit avec une attention impatiente, l'interrompant de temps à autre par une interjection énergique, qu'il accompagnait de gestes non équivoques d'indignation. Cyprienne, dont les prévisions à l'égard de Guerreros se réalisaient de plus en plus, sous l'ingénieux prétexte de cueillir quelques giroflées épanouies dans les ruines, laissa ses parents, que venait d'aborder le curé de Valquières, et se rapprocha furtivement des deux interlocuteurs. En ce moment, Birouste franchit l'enceinte du château pour montrer à l'Espagnol une vieille porte de forme ogivale encore toute noire de fumée et qui se dressait isolée entre deux murs totalement calcinés.

« ..... C'est par cette porte qu'ils s'en allèrent, voyant qu'il n'y avait pas moyen de résister à l'incendie. Ils étaient au nombre de trois M. le marquis, Mme la marquise et M. l'abbé de Malavieille, qui est venu mourir ici. Mon père, qui était avec eux, qui avait combattu avec eux et qui les suivit en Angleterre, m'a raconté cent fois ce triste départ. Leurs habits étaient déchirés et leurs visages noirs de poudre. Quels guerriers, ces hommes de noblesse ! Ils avaient tiré plus d'un coup de mousqueton par les fenêtres, et mon père pareillement, qui n'était pas un conscrit puisqu'il avait servi dans son temps.

Et qu'étaient devenus les autres serviteurs?

Ah! bien oui, des serviteurs! Effrayés par cette fourmilière de monde qui assiégeait la maison, ils avaient pris les jambes à leur cou et gagné le large.

-Les lâches!.... Oh! mes braves paysans de la Navarre, continua l'hidalgo s'exaltant tout à coup, gens dévoués, gens fidèles, gens héroïques! Ce n'est pas vous qu'on pourra accuser jamais d'avoir tourné le dos à un ennemi plus nombreux et mieux armé..... Birouste, quand, le 19 août 1834, peu de jours après la victoire d'Artasa remportée par l'armée carliste, les christinos, errant à la débandade, vinrent attaquer le château du duc de Barraméda, avant que le duc eût été tué, et que son fils, épuisé par quatre blessures,

fût tombé mourant à ses côtés, vingt serviteurs de cette maison

avaient péri.

- Et tu étais là toi, José ? demanda le régisseur, électrisé par l'enthousiasme de l'Espagnol.

-J'y étais.

-Peut-être même connaissez-vous le fils du duc de Barraméda, monsieur Guerreros? dit Cyprienne, qui se dressa de toute sa taille dans une brèche du mur d'enceinte.

-Mademoiselle de Malavieille ! » s'écria le gitane abasourdi par cette apparition.

Il salua profondément, franchit le seuil de la porte enfumée, et disparut à travers les oliviers qui couvraient la colline jusqu'au Mourèze.

« Birouste, dit Cyprienne, secouant rudement le Cévenol qui restait collé au jambage de la vieille porte, la bouche béante et les yeux agrandis par un étonnement stupide, vous allez me dire à l'instant tout ce que vous savez sur cet homme que vous avez amené ici. »

FERDINAND FABRE.

(La 4o partie à la prochaine livraison.)

ÉTUDES

SUR

LES FORCES PRODUCTIVES

DE LA FRANCE

LES LANDES ET LES DUNES DE GASCOGNE

PREMIÈRE PARTIE

Des travaux à faire pour l'assainissement et la culture des Landes, par M. DESCHAMPS. 1832. — Mémoires sur les Landes, par M. CHAMBRELENT. 1858. — Les Landes de Gascogne, par M. J. FERRAND. 1860.- Rapports sur le Domaine impérial des Landes, par M. CROUZET. 1859-1862.

Il s'opère, depuis peu d'années, dans l'une de nos provinces du sud-ouest, une révolution économique sur laquelle il ne nous paraît pas qu'on ait suffisamment appelé l'attention. Nous voulons parler de la mise en valeur des landes de Gascogne. On peut d'autant mieux s'étonner de cette indifférence, que ces landes ont été, dans ce siècle et dans l'autre, le prétexte d'un grand nombre d'ouvrages. Quelle âme un peu patriotique aurait pu voir sans émotion et sans tristesse cet immense pays landais, voué depuis de si longues années à l'incurie et au néant? Aussi a-t-on beaucoup écrit sur son abandon et

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