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c'est le seul passage qui conduise par eau d'Auckland dans l'intérieur du pays. Là, le roi ou son conseil aplanissait les différends qui éclataient entre les indigènes; là, furent prises les décisions par lesquelles les naturels et même les Européens vivant sur le territoire maori durent payer l'impôt; on arbora le pavillon national dans le port de Kawhia, sur la côte occidentale, et l'on soumit à un droit tous les navires étrangers qui venaient y mouiller; les enfants de pères pakehas et de mères maories, surtout les jeunes filles, qui étaient entrés au service de familles anglaises furent rappelés dans la patrie de leurs mères. Tout ce mouvement ne tirait pas le gouvernement anglais de son indifférence; il continuait à ne voir dans cet intelligent et vigoureux effort qu'une fantaisie de sauvages.

En même temps que les chefs des Waikato constituaient un pouvoir central, ils s'efforçaient d'entraver ou de rendre impossibles de nouvelles ventes de terres au gouvernement anglais. Pour comprendre l'importance de cette ligue (land-league), il faut savoir de quelle valeur est pour les naturels la possession de la terre. Les Maoris sont éminemment un peuple agricole, mais leurs procédés exigent de vastes terrains. Comme ils ne connaissent pas l'assolement, et qu'ils ont à peine recours aux engrais, après trois ou quatre récoltes, le sol est épuisé, et il leur faut chercher de nouvelles terres. Aussi leur culture nomade demande une grande superficie. De plus, dans les limites respectives de chaque tribu, la terre était, comme l'air et l'eau, un bien commun à tous; elle n'était acquise que par l'occupation, et une possession ininterrompue faisait seule la propriété. Avant l'immigration des Européens, cet état de choses avait déjà fait naître des difficultés interininables et des guerres sans fin. La lutte devint encore plus vive et plus acharnée quand, par suite du traité de Waitangi, conclu avec les Anglais, la terre eut acquis une valeur vénale. Les prétentions opposées des indigènes furent toujours un grand embarras pour le gouvernement, qui, à chaque cession de territoire, avait la tâche difficile de distinguer, parmi les centaines de réclamants, quel était le légitime propriétaire. Le prix du terrain devint aussi une source de contestations nombreuses. A l'origine, les chefs avaient souvent donné des comtés tout entiers pour une ou deux livres de tabac ou quelques pièces d'étoffe; après le traité, les naturels recevaient en moyenne un shilling par acre; mais bientôt ces conditions ne leur parurent plus suffisantes. On leur disait : « Dieu ne vous a pas donné la terre pour la laisser en friche, car il est écrit dans la Bible: tu cultiveras le sol afin qu'il rende cent pour un. Oui, répliquaient les indigènes, mais il n'est écrit nulle part que nous devions vous le vendre un shilling l'acre. » En 1859, le mouvement s'était étendu du nord au sud de l'île, et

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l'irritation contre les Anglais était devenue si menaçante, que beaucoup de settlers se réfugiaient à la ville. Toutefois, les indigènes ne songeaient pas encore à prendre l'offensive; ils organisaient seulement la résistance. Ils déclaraient, avec une complète unanimité, que l'on ne vendrait plus de terres aux conditions admises jusqu'alors. Le gouvernement en avait besoin pour les immigrants qui arrivaient en foule. Pour en obtenir, deux moyens se présentaient; l'un, pacifique, consistait à accorder aux naturels les droits de sujets de la couronne anglaise; il mettait fin au communisme des terres qui fait obstacle aux progrès de la civilisation, et, en réglant les rapports de la propriété, il introduisait en même temps une juridiction régulière parmi les indigènes. Peut-être de cette manière serait-on parvenu à satisfaire les Zélandais et à gagner leur confiance; mais pour l'exécution d'un tel système, il fallait un gouvernement fort et dévoué à la cause des indigènes. Les autorités d'Auckland laissèrent passer le moment favorable, et se virent bientôt contraintes de recourir au second moyen, celui de la force.

La première occasion qui amena les hostilités fut une vente de terre dans la province de Taranaki, sur la côte sud-ouest de l'Ile-duNord. Un indigène avait cédé, en mars 1860, à l'Etat colonial, une pièce de 600 acres, près de Waitara, dans le voisinage de New-Plymouth. Un chef brave et résolu, Wiremu Kingi, s'opposa au marché, sous prétexte que le Maori n'avait pas le droit de vendre la terre sans son consentement, et il ne laissa pas approcher l'arpenteur envoyé par le gouvernement. On mesura cependant le terrain sous la protection des troupes anglaises; mais Kingi, aidé de ses partisans, éleva pendant la nuit un retranchement sur le sol en litige, et en reprit ainsi possession. Le 17 mars, ce pah fut attaqué par le colonel Gold; le premier coup de feu partit du côté des Européens, qui, d'après les naturels, sont ainsi devenus responsables de tout le sang versé dans cette guerre. La première attaque ne réussit pas, et, quand une nouvelle tentative eut lieu, le camp était abandonné par les Maoris. Le meurtre de quelques colons donna lieu, peu après, à une seconde expédition. 270 volontaires de la milice, commandés par le colonel Murray, rencontrèrent près de Waireka la troupe ennemie, composée de 5 à 600 indigènes. Sans un détachement des marins du Niger, qui vint à leur secours, l'expédition aurait probablement mal tourné pour les Anglais. Une centaine de Maoris furent tués dans ce combat, les autres s'enfuirent au milieu de la forêt. Dans l'attaque du pah de Waitara, le 29 juin, après un combat de quatre heures et demie, les naturels repoussèrent une charge à la baïonnette des troupes britanniques qui éprouvèrent un échec. Une armée régulière a, en général, peu de succès contre les Zélandais, qui combattent

en guérillas et évitent de s'engager en rase campagne. Ils s'abritent derrière des retranchements, se mettent en embuscade dans l'épaisseur des bois, jusqu'à ce que les lignes serrées des habits rouges soient assez rapprochées pour leur présenter un but facile; ils font alors une décharge meurtrière et disparaissent tout aussitôt dans les buissons et les fourrés. Ils ne sortent de leur retraite que quand ils ont des chances certaines de surprendre l'ennemi, mais, en attendant, ils incendient les maisons éparses des colons, emmènent les bestiaux, égorgent les hommes, les femmes, les enfants. Ce n'est pas en une fois, même par des coups décisifs, même avec les forces les plus considérables et les mieux organisées, que l'on peut venir à bout d'une telle guerre, dans un pays des plus inaccessibles, presque entièrement couvert de forêts, sans routes ni sentiers. Contre les naturels, le revolver et le couteau du matelot, ou le fusil double des colons exercés à la chasse, valent mieux que la baïonnette du soldat de ligne. Il est facile de concevoir l'état déplorable dans lequel était tombée la province de Taranaki. Les femmes et les enfants avaient quitté New-Plymouth, la capitale, et s'étaient refugiés dans l'Ile-duSud. A la fin de 1860, cette ville n'était plus qu'un camp, inquiété sans cesse par les indigènes. Nulle part, les Maoris n'attaquaient en masses compactes, mais la nuit, à la dérobée, ils accomplissaient leur œuvre de meurtre et de brigandage. La guerre avait réveillé les passions sauvages qui ne faisaient que sommeiller chez ce peuple si nouvellement converti au christianisme et à la civilisation.

Mais sur qui retombe la responsabilité des maux que cette lutte avait déjà produits et qu'elle menaçait encore d'amener? N'éprouvet-on pas une sympathie involontaire pour une race dont l'étranger a envahi le sol, et qui, dans le pressentiment de sa fin prochaine, rassemble ses forces afin d'engager contre ses puissants adversaires une lutte suprême? Un fait digne de remarque, c'est que, non seulement à Londres, dans la Chambre des communes, mais dans la Nouvelle-Zélande même, dès le commencement des hostilités, des voix nombreuses ont proclamé le bon droit des indigènes. Le parti influent des missionnaires surtout, l'évêque en tête, a, dans le Parlement colonial, défendu avec chaleur la cause des naturels, et sir William Martin, ancien juge supérieur de la haute cour d'Auckland, l'un des premiers magistrats de la colonie, a condamné de la manière la plus formelle, au point de vue de l'équité, les mesures violentes du gouvernement. Ces adhésions étaient de nature à faire une grande impression sur les Maoris, qui ont un respect profond pour les missionnaires et les juges. La Bible et la loi sont pour eux les choses les plus saintes. Aussi, voyant leurs droits méconnus, les chefs zélandais partisans avoués et amis des Européens, qui jus

qu'alors avaient gardé la neutralité, se sont ouvertement rangés du côté de Kingi; car, disaient-ils, « le vrai patriote doit préférer à l'amitié des étrangers une mort honorable pour une juste cause; il vaut mieux mourir glorieusement sur le champ de bataille, que survivre quand toute la race s'éteint. »

Le gouvernement déclara ne vouloir entendre parler d'aucune transaction avant que les rebelles eussent fait leur soumission complète, toute autre conduite, selon lui, aurait confirmé les indigènes dans l'idée dangereuse qu'ils pouvaient impunément résister à l'autorité anglaise. A la fin de 1860, la guerre, un instant interrompue par la mauvaise saison, recommença d'une manière plus sanglante qu'auparavant. Les colons avaient reçu de nombreux renforts; les naturels, de leur côté, avaient recueilli des contingents plus considérables, et, comme on pouvait le prévoir, les tribus Waikato prirent alors part à la lutte. A la fin d'octobre, 600 Maoris s'étaient retranchés dans un pah, sous le commandement de Wiremu-Kingi; ils furent battus après un combat des plus meurtriers; sans se laisser décourager par cet échec, les indigènes rassemblèrent une nouvelle armée et vinrent attaquer New-Plymouth, où l'on avait exécuté de grands travaux pour la défense de la place. Après plusieurs escarmouches, le 23 janvier 1861, une troupe d'élite de 140 Maoris, tous chefs ou fils de chefs, assaillirent une redoute défendue par 400 hommes, et firent preuve d'un courage héroïque. Quelques-uns d'entre eux, blessés mortellement, réunissaient leurs efforts pour faire tomber le soldat dont la baïonnette leur traversait la poitrine, et ouvrir ainsi un passage à leurs amis. C'est seulement quand la moitié de cette poignée de braves eut succombé, et qu'une force supérieure fut venue au secours de l'ennemi, qu'ils battirent en retraite.

Le jour anniversaire du commencement des hostilités, eut lieu une bataille décisive, qui mit fin à la guerre dans la province de Taranaki. Les Waikato occupaient près de Tearei une position très forte, dont le gros des troupes anglaises fit le siége en règle pendant une semaine. Le 15 mars, on en vint à l'assaut, qui dura trois jours et trois nuits. L'artillerie britannique fit pleuvoir dans les retranchements zélandais les bombes et les obus, et le 18, après un combat meurtrier, les indigènes furent obligés d'abandonner la place. Ils purent alors se convaincre qu'ils avaient affaire à un ennemi supérieur, et qu'un engagement en règle ne pouvait que hâter leur défaite. Bientôt après, suivant les conseils de William Thompson, qui avait paru sur le théâtre des hostilités, les naturels demandèrent un armistice, disant que le différend devait être soumis à la grande runanga de la reine (Parlement anglais), et derrière le Waikato,

fut le mot de ralliement des Maoris, qui se retirèrent effectivement dans l'intérieur du pays à la fin de mars.

Cependant, il devenait évident que l'insurrection n'était pas restreinte à la province de Taranaki, mais que son vaste réseau enveloppait l'ile tout entière, du sud au nord. Du côté des colons, un parti puissant poussait à la guerre; des renforts successifs avaient élevé les troupes britanniques au chiffre de 12,000 hommes, placés sous les ordres du général Cameron. Cette force militaire devait servir à porter un coup décisif; les Maoris se préparèrent également à frapper la tête, c'est-à-dire Auckland, du monstre qu'ils avaient seulement attaqué aux pieds et aux mains. Au commencement de juin, le colonel Brown, gouverneur de la Nouvelle-Zélande, adressa, sous la pression du parti de la guerre, à William Thompson, un ultimatum dans lequel il sommait les Maoris de se soumettre sans conditions à la couronne anglaise; il exigeait, entre autres, la suppression du royaume indigène et du pavillon national, la dissolution de la land-league. Afin d'intimider les naturels, on fit avancer des troupes jusqu'à Mangatawhiri, sur la limite du territoire colonial, et on les employa à la construction d'une route militaire conduisant au Waikato. La réponse de Thompson, qui avait réuni une assemblée à Ngaruawahia, fut évasive. Il prétendait n'avoir jamais voulu porter atteinte à la souveraineté anglaise; il blâmait la précipitation du gouverneur, et protestait contre la route militaire.

Les choses en étaient là quand le parti de la paix, dirigé par les missionnaires, fit un nouvel effort, et obtint du Parlement un vote de défiance contre le ministère, en juillet 1861. Un nouveau cabinet, plus pacifique, fut formé, et sir George Grey remplaça le colonel Brown en qualité de gouverneur. Si quelqu'un avait pu conjurer les passions déchaînées par la guerre, c'était, sans nul doute, sir George Grey, qui, à une époque non moins difficile, avait heureusement administré la Nouvelle-Zélande, qui connaît la langue maorie comme la sienne propre, et dont les indigènes avaient conservé le souvenir dans leurs chants nationaux. A la fin de décembre 1861, le nouveau gouverneur adressait aux naturels un manifeste empreint du plus vif désir de conciliation. Il leur faisait connaître les sentiments de bienveillance qui animaient la reine d'Angleterre à leur égard. Les sages moyens qu'il leur proposait étaient l'établissement, dans chaque district indigène, de runangas ou conseils composés de Maoris, sous la présidence d'un commissaire civil, et chargés de faire des lois et de terminer les différends relatifs à la terre; d'assesseurs élus par les naturels pour rendre la justice, et d'agents de police institués pour faire exécuter leurs sentences; d'écoles pourvues de maîtres moitié zélandais, moitié européens, et de médecins placés dans toutes les localités

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