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nous, bien mieux avisé, il faisait surtout preuve d'une bien plus grande intelligence politique, quand, dans ses pourparlers avec le roi pour la formation d'un cabinet, il mettait pour première condition de son entrée au ministère la réforme de la loi électorale. Il avait compris que, tant que le système actuel serait en vigueur, les opinions politiques et religieuses qu'il soutient avec tant d'éclat réuniraient difficilement la pluralité des voix; et voilà pourquoi il proposait de reculer les frontières du pays légal et de rajeunir le corps électoral par l'adjonction de 100,000 nouveaux votants; mais il savait aussi que, s'il s'en remettait au hasard pour le choix de ces recrues, l'extension du droit de suffrage pouvait être plus funeste qu'utile au parti catholique, et il avait eu soin, en conséquence, de combiner toutes les dispositions de la future loi électorale de manière à en faire profiter surtout les populations que le clergé tient le plus sous sa main, les habitants des petites villes, des villages et des campagnes. Ainsi le cens électoral devait être fixé à 10 fr. pour les communes renfermant moins de 5,000 âmes, à 15 fr. pour les communes de 5 à 10,000 âmes, à 20 fr. pour les communes de 10 à 25,000 âmes, à 25 fr. pour les communes de 25,000 âmes et au-dessus. MM. Rogier et Frère-Orban n'ont pas eu de peine à montrer dans quelle intention la droite avait formulé un pareil programme; ils ont fait voir ce qu'il y avait de contraire au bon sens et au véritable libéralisme à exiger moins de garanties matérielles, précisément de ceux qui offrent le moins de garanties morales, à demander plus de fortune à ceux qui ont plus de lumières et à ne faciliter l'accès des urnes électorales qu'à ceux qui sont le moins capables d'y déposer un vote indépendant et éclairé; ils ont plaidé enfin la cause de l'intelligence et prouvé qu'il serait à la fois irrationnel et injuste de favoriser les paysans plus que les ouvriers des villes. Mais, malgré leur éloquence, nous craignons bien qu'ils n'aient pas remporté une victoire décisive, et que le public belge n'ait gardé de ces grands débats une impression qui ne sera sans doute pas sans influence sur les élections prochaines c'est que les conservateurs ont proposé une réforme et que les libéraux l'ont repoussée parce qu'ils la trouvaient incomplète; c'est que les conservateurs ont voulu appeler un plus grand nombre de citoyens à participer aux affaires publiques, et que les libéraux, sous prétexte que l'extension demandée ne profiterait peut-être pas aux plus dignes, se sont prononcés absolument contre toute extension du droit de suffrage; c'est que les conservateurs, en un mot, ont fait un pas en avant, et que les libéraux ont refusé de marcher. Combien le rôle de la gauche aurait été plus beau, selon nous, combien son attitude aurait été plus digne et sa position plus forte si, au lieu de se borner à la critique mesquine du programme de la droite, elle eût formulé à son tour un plan de réforme vraiment large et libéral, si elle fût venue dire à ses adversaires : Vous voulez abaisser le cens électoral en faveur de certaines classes qui vous sont dévouées, nous allons l'abolir au profit du peuple entier. Vous voulez écarter un peu les barrières afin de laisser vos amis se glisser dans les comices, nous allons les faire tomber pour que toute la nation puisse s'y précipiter à la fois; et ce sera devant elle, qu'après vous avoir dissous,

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nous nous présenterons avec confiance pour savoir ce qu'elle pense de votre politique et de la nôtre. Mais ni M. Rogier, ni M. Frère-Orban ne sont assez hardis pour tenir un pareil langage; ils aiment mieux consumer leurs forces dans des luttes stériles et user leur éloquence dans des discussions où les récriminations et les personnalités prennent chaque jour une plus grande place. Cependant la querelle s'envenime; l'exaspération mutuelle des partis s'accroît; l'agitation gagne le pays, et si la sagesse du roi ne conjure le danger, la Belgique pourra bien un jour grossir le nombre des gouvernements parlementaires qui ont mal tourné.

ALEXANDRE PEY.

L'Eglise et la Révolution française, par Edmond DE PRESSENSÉ, in-8°. Paris, 1864.

La prétention de ce livre, c'est d'être une histoire des relations de l'Eglise et de l'Etat, de 1789 à 1802, son but, c'est de démontrer la nécessité de laisser aux cultes, aux clergés, une liberté pleine et entière. M. E. de Pressensé est si précis dans ses affirmations, il procède avec une telle rigueur contre tout ce qui lui résiste, hommes ou choses, faits ou idées, il s'offre au lecteur dans une attitude si résolue, nous dirions volontiers si provocante, que la critique serait sans doute mal venue à user de ménagements qu'on n'attend pas d'elle, et à atténuer ses jugements par une vaine courtoisie d'expressions. Nous dirons donc nettement notre pensée sur ce livre agressif, où se révèle d'ailleurs un esprit élevé.

Devant la nation assemblée comparaissent en 89 trois institutions : la royauté, la noblesse et le clergé. La royauté périt, la noblesse s'exile, le clergé reste et lutte; mais le clergé qui demeurait seul en face de la Révolution apparaissait comme le complice assidu, dans le passé, comme le témoin, dans le présent, de l'ordre de choses qui devait disparaître; ses biens immenses, sa hautaine et puissante hiérarchie, ses priviléges, son autorité, tout en lui faisait obstacle au mouvement qui portait la nation. vers une ère nouvelle. Il représenta donc nécessairement à cette époque la résistance, une résistance aussi opiniâtre que l'attaque était furieuse; dans ce combat à outrance, où la conscience religieuse ne tarda pas à être intéressée, la Révolution eut des bourreaux, l'Eglise eut des martyrs. C'est la période héroïque de cette histoire; à ce moment, le clergé ne revendique plus ses biens; il confesse sa foi; il grandit et s'épure au sein de cette sanglante épreuve. Pourtant, la lutte terminée, aucun résultat définitif n'était acquis; il y avait d'une part des idées générales que la Révolution avait fait triompher et auxquelles il fallait désormais conformer toutes les institutions nouvelles; de l'autre, des consciences troublées, un clergé divisé et des sectes; c'était le moment marqué pour l'intervention d'une pensée organisatrice; elle intervint par le concordat.

Telle est pour nous la vérité historique; le livre que nous examinons s'efforce d'en créer une autre; il faut que l'histoire démontre l'opportunité, la nécessité absolue de laisser tous les cultes libres, d'éloigner d'eux tout salaire et toute surveillance de l'Etat; rentrées dans le droit commun, ces vastes associations formées de fidèles, conduits, dirigés, inspirés, exaltés par une hiérarchie de pasteurs, procèderont librement à la propagande de leurs idées et à la célébration de leur culte. Tel était le désir du clergé catholique en 89; il regrettait peu les biens immenses que la nation avait revendiqués, il ne se souciait guère des priviléges que lui assurait le trône, et son adhésion était tout acquise aux idées nouvelles. C'est la constitution civile qui vint tout gâter et tout perdre; elle seule a fait tout le mal et cette pensée qui dirigea la monarchie de Louis XIV, les délibérations de l'Assemblée nationale, la sollicitude du Consulat, cette intervention de l'Etat dans la religion a causé seule la lutte révolutionnaire et créé tous les antagonismes.

C'est ainsi qu'en disciplinant les faits on croit mener l'histoire à la bataille sans voir le bon sens qui proteste et la vérité qui s'insurge. Pour faire justice de cette longue et trop habile discussion, il suffirait souvent d'écarter une confusion volontaire dans les termes, et d'exiger une définition précise. S'il s'agit du culte, on parle de la foi; là où des intérêts matériels sont en jeu, on invoque les droits de la conscience religieuse; le clergé, son autorité, sa soumission à la volonté romaine, c'est la religion. Ainsi devient presque insaisissable cette argumentation capticuse. Mais si le général Bonaparte, revenant de la première campagne d'Italie, prononce cette phrase: « La religion, la féodalité et le royalisme ont successivement, depuis vingt siècles, gouverné l'Europe, » M. de Pressensé se sent soudainement épris d'une susceptibilité jalouse, et les mots reprennent pour lui tout leur sens rigoureusement exact. «On voit ici, s'écrie-t-il douloureusement, la religion mise sur le même rang que la féodalité et le royalisme, et présentée comme l'un des fléaux de l'humanité. »

Ce livre a des tendresses suspectes pour Rome, pour les couvents, pour l'autorité ecclésiastique, et c'est à grand'peine qu'aux approches du concordat on saisit, dans ses prédilections pour le clergé constitutionnel, à qui un schisme ne répugnait pas trop « et qui ne demandait qu'à poursuivre librement et pacifiquement la restauration de l'Eglise de France, »> le fond solide des sympathies de l'auteur. Il n'a que des applaudissements pour cette courte période : les théophilanthropes, les insermentés, les assermentés, les protestants, tous agissaient en pleine liberté, et « le premier Consul ne fit qu'arrêter un des plus beaux mouvements religieux qui aient honoré notre pays, en cherchant à le régulariser ou plutôt à l'enrégimenter. » Et, plus loin : « Le protestantisme était debout et vivant aussi bien que le catholicisme, quand Napoléon daigna s'occuper de la religion pour l'enchaîner. »

M. de Pressensé revient souvent sur cette accusation, que le premier Consul n'obéit qu'à son intérêt personnel en travaillant à l'œuvre si importante du concordat. Si l'on applique cette critique à tous les actes, à toutes les institutions de l'Empire, on peut leur supposer le même mobile.

Le premier consul, l'Empereur, voulait l'ordre partout; il voulait faire disparaître, autant que possible, les éléments de trouble et d'agitation. Aut risque de contrister l'auteur de l'Eglise et la Révolution française, il nous faudra bien reconnaître que c'était là précisément ce que la France attendait du pouvoir nouveau qui venait résumer la Révolution. Or, la paix après Marengo, le rétablissement des services publics, la forte impulsion donnée à toutes les branches de l'administration, le code civil, ce monument qui, à lui seul, suffirait pour illustrer un règne, toutes ces institutions qui permettent au pays de se retremper dans une régulière et féconde activité, peuvent aussi bien être attribués à l'égoïsme du souverain, qui songe avant tout à son intérêt, à sa gloire, à la durée de sa dynastie. Quand l'intérêt des gouvernants est ainsi lié intimement à celui des gouvernés, nous voyons sans regrets les manifestations de ces sentiments, si personnels qu'ils puissent paraître.

Dans cette société, fille du XVIIIe siècle, sortie de la tourmente révolutionnaire, en proie à toutes les fièvres, restaurer les cultes, leur faire une place dans la Constitution, obtenir de Rome des concessions qu'elle avait jusque-là obstinément refusées, réparer les ruines, fermer les blessures, empêcher les discussions et les propagandes dangereuses, tracer à chacun les limites du droit sans toucher en rien, quoi qu'on en dise, à la conscience religieuse, en un mot sur un passé détruit, aboli à jamais, réédifier en France l'Eglise régénérée par une longue persécution, tel est le concordat. C'est cette œuvre que M. de Pressensé flétrit en ne voulant y reconnaître que l'établissement d'un fonctionnarisme universel. « Votre session, avait dit le premier Consul au Corps législatif, commence par l'opération la plus importante de toutes, celle qui a pour but l'apaisement des querelles religieuses. La France entière sollicite la fin de ces déplorables querelles et le rétablissement des autels. » Cette préoccupation si légitime et si digne d'une saine ambition, M. de Pressensé la traduit en disant que Napoléon voulait << enrôler à son profit la puissance religieuse, dont il reconnaissait l'indestructible influence; » et si, plus tard, le clergé français, animé d'un sentiment national, chante des Te Deum pour célébrer nos victoires, et prend part à l'indignation que soulève en France la haine persévérante de l'Angleterre, au haut des pages qui racontent ces manifestations patriotiques, vous pouvez lire : « Servilité du clergé » Mais, lorsqu'il arrive aux restrictions imposées par la loi au droit d'élection et à la libre réunion des synodes protestants, sa colère ne connaît plus de bornes : « II (Napoléon) ne convoquait, dit-il, les assemblées délibérantes, de quelque genre quelles fussent, que quand il avait intérêt à leur faire accomplir quelque acte signalé de lâcheté collective. »>

Ce livre renferme en lui-même sa critique la plus sévère; il suffirait à lui seul, s'il en était besoin, pour nous convaincre de la nécessité de soumettre à une surveillance vigilante les passions religieuses, c'est-à-dire les plus énergiques éléments de division et de haine qui existent parmi les hommes. Et comment faut-il accueillir des propositions comme celle-ci : « C'est l'honneur de la religion de ne pouvoir user de la liberté comme d'un monopole; voilà pourquoi son premier intérêt est de la vouloir

pour tous. » N'ouvrons pas l'histoire, puisque M. de Pressensé en a fait sa complice, et jetons simplement un regard autour de nous. Combien de pays protestants, combien de pays catholiques méconnaissent encore lat liberté religieuse! Où est-elle plus loyalement pratiquée qu'en France? Et c'est l'Etat qui, énergiquement et impartialement, la maintient pour tous. Voilà les tristes résultats de la Révolution française, voilà les funestes effets de la législation de germinal an X.

Mais rien n'empêchera M. de Pressensé de revenir, d'insister et de dire: « A part une période courte et orageuse, où la séparation de l'Eglise et de l'Etat avait été proclamée et réalisée avec un succès surprenant dans les circonstances les plus difficiles, la lourde main du pouvoir civil n'avait pas cessé un seul jour de peser sur la conscience religieuse (?)..... A la persécution avait succédé la protection impérieuse. » Or, M. Pressensé ne veut pas être protégé; il réclame seulement le droit d'association pour l'Eglise, «< pleinement libre, sans salaire et sans chaînes, sans traitements et sans lois organiques. » Alors les clergés, ces vastes associations, pourront devenir des puissances formidables; ils tiendront en échec toutes les autres forces des sociétés lorsqu'elles refuseront de concourir à l'œuvre dont ils auront tracé les rigides contours; la lutte des croyances pourra librement s'établir, et « la foi ardente, qui est comme la sincérité du fanatisme» expression exquise et bonne à noter pourra intervenir, comme aux beaux jours, dans les affaires de ce monde, au nom des droits sacrés de la conscience religieuse.

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Et l'on conclut en disant : « C'est par là qu'il faut commencer la réforme. Non! c'est par là qu'il faut la finir. Nous ne savons pas quel jour les hommes seront assez sages pour pouvoir pratiquer cette liberté; mais ce jour n'est évidemment pas venu. Nous connaissons le zèle que les hommes chargés ici-bas des intérêts du ciel prodiguent aux choses de la terre. Nous voyons, de nos jours, plus que des dissentiments, plus que des répugnances, des haines vivaces et profondes, puiser leurs éléments dans des questions de dogme, de rite ou de culte; nous n'avons pas encore pu rencontrer une association religieuse, son but avéré fût-il la charité, la bienfaisance organisée, qui ne se laissât envahir par les passions politiques. Enfin, nous tenons un livre longuement médité, où toutes les ardeurs de la polémique se donnent carrière, où notre histoire nationale, notre révolution, nos gloires sont mises en accusation au nom de la liberté religieuse revendiquée. N'avions-nous pas raison de dire que ce livre porte sa réfutation en lui-même ?

ALEXANDRE GRESSE.

ALPHONSE DE CALONNE.

Paris.

- Imprimerie de DUBUISSON et C, rue Coq-Héron, 5.

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