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nant quelques couches de sable puisées aux Garrigues-Rouges. Il importait seulement de savoir, comme il eût été trop coûteux d'entreprendre la culture unique des bords du marais, si son lit était de -même nature que son rivage, si le terrain en était également facile à féconder. Quant au dessèchement, une fois que le département l'aurait autorisé, on en viendrait bientôt à bout, grâce à l'inclinaison du sol vers la rivière.

Le cœur palpitant d'espérance, Cabrol remonta dans la barque ruinée et parcourut plusieurs fois l'étang, faisant des sondages avec une pelle longuement emmanchée: la terre végétale s'étendait en couches épaisses sur tous les points. Le paysan madré rit sous cape, et, sans souffler le mot, partit pour Montpellier. Il acheta pour cinq mille francs, payables en argent, on refusait les assignats le marais du Malpas, trois mille arpents d'eau, pour rappeler les propres expressions du contrat.

Huit jours après, Cabrol, muni de ses titres de propriété, en bonne et due forme, attaquait avec la mine le formidable barrage du marais, bâti en lourdes assises de granit, un peu au-dessus du bourg de Salasc, et les eaux se précipitaient en grondant vers l'Ergue. Il laissa les terres s'essuyer pendant six mois. Mais, en attendant d'y porter la charrue, cet homme, aussi intelligent qu'actif et résolu, ne perdit pas son temps. Convaincu qu'il venait de conquérir un beau domaine, il donna tous ses soins à en préparer la prochaine mise en culture. Un jour, il s'enfonçait dans la vase jusqu'à mi-corps, et creusait un passage à quelque flaque d'eau qui n'avait pas trouvé de rigole pour s'écouler; puis, le lendemain, rasé de frais, tout pimpant dans ses habits neufs, il courait aux foires voisines pour y embaucher des journaliers. Un troisième jour enfin, il partait pour le marché de Clermont, et en revenait avec des centaines de moutons, maigres, efflanqués, que, quelques semaines après, il allait revendre, après les avoir engraissés avec les herbes hautes, épaisses, luxuriantes, qui recouvraient presque à vue d'œil les pentes abandonnées par les eaux.

Pendant plus de deux ans, Etienne Cabrol, perpétuellement tenu en éveil par la perspective d'une grande fortune agricole, la seule enviable aux yeux du paysan, mena une vie sans trêve ni repos. A mesure que l'œuvre qu'il avait fondée prospérait davantage, le Pézénol, qui maintenant aurait pu se donner quelque relâche, se sentait, au contraire, plus âpre que jamais à la peine et à la corvée. Jadis, quand le soleil de midi incendiait les Garrigues-Rouges, inondé de sueur et rendu de fatigue, il lui était plus d'une fois arrivé de s'accorder une heure de sieste, à l'ombre des peupliers; mais aujourd'hui, ni juillet ni décembre ne réussissaient à l'abattre. Com

ment expliquer ce redoublement d'énergie? Hamlet dit : « Le doute fait des lâches des hommes les plus déterminés. » En appliquant aux faits de l'ordre matériel cette pensée toute morale, on comprend l'activité nouvelle du paysan. Quand, au début de sa téméraire entreprise, il s'endormait sous les arbres, c'est que, le résultat étant si lointain, il avait malgré lui des instants de doute. Il doutait! Mais comment se reposer aujourd'hui, quand le travail donnait des fruits immédiats, et qu'il recueillait partout la certitude?

Cependant les misérables hangars en planches qu'Etienne Cabrol avait élevés à peu de frais le long du marais desséché, ne suffisaient plus à contenir la récolte. D'ailleurs, il devenait urgent de parquer les troupeaux dans des étables plus aérées, plus salubres. Après quelques mois d'hésitation, le Pézénol, voyant quelques-unes de ses bêtes atteintes du piétain, maladie contagieuse, résultat d'un séjour trop prolongé sur un sol humide, appela un architecte de Clermont, délia, sans se faire prier, sa bourse rebondie, et bâtit la ferme actuelle, qui prit le nom de Malpas. Les fondations en furent creusées à l'extrémité du domaine, dans la partie la moins fertile; car cet homme, rendu avide par la possession, eût regardé comme une folie de sacrifier à l'emplacement de sa maison un pouce de bonne terre. La construction de ces lourds bâtiments carrés dura plus d'un an. Pendant tout ce temps, Cabrol, qui maintenant pouvait se reposer de la culture sur ses journaliers, ne quitta pas les chantiers, activant les ouvriers de toutes les façons, par des plaisanteries, des coups de poing, des bouteilles de vin..... Souvent aussi, il courait au vieux château de Malavieille, un casal' que personne n'avait songé à acquérir, et dont les murs épais, travaillés par la poudre de mine, lui fournissaient et la pierre de taille et le moellon. Enfin, les maçons partirent, et Etienne Cabrol, après avoir remisé ses moutons, ses chèvres et ses bœufs dans les nouvelles étables, en face de beaux râteliers bien garnis, désertant la pauvre hutte en bois qu'il habitait depuis son établissement dans le pays, vint s'installer avec sa femme et son unique enfant, Cyprien, dans le gros bâtiment qui massait l'angle sud du vaste quadrilatère, et qu'on appela le Pavillon. On était en 1805.

Pendant longtemps, il ne fut question dans le pays que de la fortune extraordinaire d'Etienne Cabrol. Il est certain qu'elle allait s'augmentant de jour en jour. Lui, cependant, ne se déclarait pas encore satisfait, et travaillait toujours avec une sorte d'emportement, entraînant, dans cette activité vertigineuse, avec tous les gens de la

⚫ Casal, maison ruinée, amas de pierres.

ferme, jusqu'à sa femme et son enfant, auxquels il ne craignait pas d'impossr les plus rudes corvées.

« Bah! bah! répondait-il à Justine, qui demandait qu'on épargnât Cypriennet, ça lui fera le corps à la peine, à cet enfant; nous n'avons ici que des terres fortes; il faut des bras robustes.

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Nous devrions bien penser pourtant, osait répliquer la pauvre femme, à l'envoyer à l'école.

- A l'école ! à l'école ! Tout ça, c'est des bêtises. Est-ce que j'y suis allé, moi, à l'école, dans mon jeune temps? Apprenez, la belle, que je ne sais ni A ni B-ce qui ne m'a pas empêché de découvrir cette jolie motte de terre du Malpas - et que j'entends tailler mon fils tout uniment sur mon patron.

- Mais, Etienne.....

Si le cœur lui en dit, au petit, nous avons notre berger qui est savant, et sa sapience même n'avance guère ses affaires, au pauvre diable, il pourra lui apprendre à lire et à signer. >>

Cypriennet, stimulé par sa mère, prit, en effet, quelques leçons; mais l'enseignement aussi obscur que compliqué du pâtre ayant lassé sa jeune attention, il y renonça vite et si bien que, lorsque son père, dont un taureau furieux avait effondré la poitrine, mourut vers 1816, il ne savait ni lire ni signer.

(La 3o partie à la prochaine livraison.)

FERDINAND FABRE.

LA

CHALEUR SOLAIRE

ET LES

FORCES TERRESTRES

La Chaleur considérée comme un mode de mouvement, cours en douze leçons professées à l'Institut royal de la Grande-Bretagne, par John TYNDALL, de la Société royale de Londres, professeur de physique à Royal Institution. Ouvrage traduit de l'anglais par M. l'abbé MOIGNO, in-12. Paris, Giraud. 1861.

A la fin du siècle dernier, sous la puissante impulsion de Lavoisier, la science a fait un pas immense. Rien ne se crée, rien ne se détruit, a dit notre grand chimiste, et cette hardie proposition, vérifiée par des expériences innombrables, est devenue le criterium de tous les travaux des chimistes. Lavoisier appliquait son aphorisme aux corps graves aussi bien qu'aux fluides impondérables; il entendait non-seulement que si on unit un certain poids d'oxygène à un poids convenable d'hydrogène, on obtiendra un poids d'eau égal à la somme du poids des deux gaz, il prévoyait aussi que les forces phy-siques qui animent la matière doivent participer de l'indestructibilité qui la caractérise. Si on a dépensé pour transformer de l'eau en vapeur une certaine quantité de chaleur, cette chaleur n'est pas perdue emmagasinée, devenue latente dans la vapeur, elle sera recouvrée intégralement, retrouvée sans perte quand la vapeur reprendra l'état liquide. Pour Lavoisier, la quantité de chaleur dégagée dans la combinaison était précisément égale à celle qui est ab

2e S. TOME XXXIX.

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sorbée pendant la décomposition; il avait donc établi entre les corps simples et les fluides impondérables un rapprochement complet, ils étaient les uns et les autres indestructibles et non transformables.

Les idées de la science actuelle ne sont plus entièrement celles de Lavoisier; si nous disons avec lui que la matière est indestructible, que les forces physiques le sont également, nous reconnaissons que si les corps pesants persistent sous une forme immuable, les forces, au contraire, peuvent se transformer les unes dans les autres; tandis que la transinutation des corps simples nous est complétement interdite, qu'il est impossible à notre chimie, si bien armée qu'elle soit, de faire sur le chemin des transmutations un pas décisif, et que nous sommes aussi impuissants que les alchimistes à métamorphoser le plomb en or ou le fer en argent, nous assistons journellement au contraire à la transformation des forces physiques les unes dans les autres, et il n'est pas de phénomène si simple dans lequel cette transformation ne se manifeste. Pas plus que le fer ou le soufre, la chaleur ne se crée, pas plus qu'eux elle ne se perd, mais toutefois bien différente de la matière pondérable qui persiste toujours sous une forme unique, tellement que le fer et l'or resteront toujours fer et or, la chaleur peut se transformer, devenir force mécanique, électricité, lumière, et ces divers agents, exécutant de nouveau une transformation inverse, reviennent eux-mêmes à leur état primitif en reproduisant la chaleur dont ils proviennent.

Il est encore entre les corps pondérables et les forces physiques une autre différence: retenus, comme leur nom l'indique, sur la surface du globe par la force de gravité, les corps pesants resteront fixés sur la terre tant qu'elle existera et nulle portion n'en sera jamais distraite; la chaleur plus mobile parcourt l'espace, elle vole d'un globe à l'autre ; partant du soleil, elle arrive jusqu'à nous, rebondit en partie pour continuer son éternel voyage; mais aussi fixée en partie sur ce globe, elle y devient l'origine des phénomènes les plus variés. Toutes les forces que nous utilisons sur la terre dérivent de cette chaleur et ne sont pour ainsi dire que de nouvelles formes qu'elle revêt, que des déguisements sous lesquels un œil attentif ne tarde pas à la reconnaître. Les forces qui agissent ici-bas n'y sont donc pas créées; elles dérivent de la chaleur que nous envoie le soleil, qui devient ainsi l'origine de tout le mouvement qui s'agite sur la

terre.

Si un vaisseau, les voiles gonflées au vent, bondit sur la lame et la fait écumer sous sa proue relevée et abaissée tour à tour; si le fleuve descend bouillonnant des montagnes pour s'étendre paresseusement dans la plaine et parcourir lentement les contrées qu'il féconde; si la locomotive rugissant galope sur ses rails de fer; si le cheval par

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