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poraine en Allemagne, je me bornerai à rappeler que la question des duchés, qui vient de mettre les armes aux mains de la Confédération, a été pour ainsi dire réchauffée, entretenue par une série de patriotes en robe de prêtre. Au milieu des manifestations de tout genre qui se sont produites avant la guerre, on a pu distinguer nettement la voix des consistcires dénonçant comme un crime de lèse-humanité l'interdiction faite aux habitants du Schleswig et du Holstein de prier Dieu en leur langue. Enfin, dans une pétition datée du 28 février dernier, les pasteurs, invoquant cette fois un privilége royal tant combattu par moments, se sont, dans une démarche collective, adressés au roi de Prusse, comme au protecteur de l'Eglise évangélique dans les pays de langue allemande, le suppliant d'employer le pouvoir dont il a été investi par Dieu régler d'une manière définitive les questions relatives à la constitution ecclésiastique dans les provinces envahies.

pour

Dans nos habitudes générales d'envisager à un point de vue purement humain les questions de ce monde, les complications qu'elles soulèvent en Allemagne nous paraissent pour le moins étranges. Il suffit cependant d'y appliquer un moment notre réflexion pour apercevoir que les idées politiques recèlent les controverses religieuses. Les plus inattentifs eux-mêmes n'ont plus l'excuse d'ignorer le but final que se proposent depuis tant d'années tant de théories nébuleuses. S'il avait pu rester quelques doutes à ce sujet, l'apparition de la nouvelle Vie de Jésus du docteur Strauss s'est chargée de les dissiper. Ce n'est pas tant de l'Evangile que de la constitution définitive de l'Allemagne qu'il s'agit ici, et en proposant son exégèse récente à l'attention des populations germaniques, l'auteur, dont nous résumons ici la préface, «loin de détourner les esprits de leur mission politique, entend, au contraire, leur indiquer la base solide sur laquelle ils doivent asseoir l'édifice. Délivrer les esprits de toute illusion religieuse, les pousser dans la voie de l'humanisme pur, prouver à la nation allemande que de la liberté morale, intellectuelle, religieuse, qu'elle saura conquérir, dépendra la somme exacte de la liberté politique qu'elle pourra revendiquer; lui faire toucher du doigt que l'irrémédiable dualisme du Nord et du Midi est un obstacle invincible à toute tentative pratique d'unité nationale, tant qu'elle n'aura pas supprimé, par une conception religieuse débarrassée de tout échafaudage extérieur, le prétexte de tant de symboles, de tant de confessions ennemies; l'exciter à fonder enfin cette unité sur l'adhésion universelle, qu'on ne peut refuser aux résultats positifs de la science, » telle est la mission que s'est imposée l'auteur et qu'il proclame dès les premières pages de son livre.

Le célèbre docteur n'est pas le seul homme de sa nation qui ait proclamé la liaison étroite qui unit tant de problèmes délicats. Un député prussien indiquait, il n'y a pas longtemps, dans une phrase remarquable de précision énergique, la connexion qui relie entre elles toutes ces aspirations. «Le devoir, disait-il, n'est pas une conception idéaliste, c'est une réalité qui saisit l'individu tout entier. » C'est au nom de ce devoir que l'Allemagne semble vouloir se lever une fois encore. Parviendra-t-elle à réaliser ses espérances? C'est affaire aux prophètes de nous le dire. Je n'ai pas entrepris de concilier tous les contrastes, de donner la clef des contradictions étranges qu'il est si facile de relever chez nos voisins. Pourquoi les voyons-nous se précipiter tantôt dans des communautés religieuses sans confession, tantôt courir aux armes pour une question de symbole; quel principe d'une logique complaisante leur permet d'opprimer les nationalités au midi et à l'est, tandis qu'ils les délivrent au nord? L'orgueil de race dont j'ai parlé, l'inébranlable conviction du rôle civilisateur qu'ils jouent dans le monde, et de la reconnaissance sans bornes que'il réclament de l'humanité lorsqu'ils daignent se l'assimiler, pourraient nous aider à dissiper quelques-unes de ces obscurités.

Quelle que soit, du reste, la solution des problèmes qui passionnent les générations actuelles, ils existent depuis longtemps ailleurs que sur le papier. Les écoles philosophiques que la sérieuse Germanie a tour à tour élevées et renversées, la recherche des vérités transcendantes, qui emportaient loin du monde un peuple entier, et semblaient le laisser insensible aux plus mémorables catastrophes de l'histoire, savaient pourtant ce qu'elles voulaient, car voilà qu'elles ont rapporté du ciel sur la terre une conscience nationale et soufflé une âme à ce grand corps. Le but est marqué, le voyage est commencé. Des mirages décevants changeront-ils encore une fois l'enthousiasme en repentir? Le bien le plus fécond est fait de maux subits, les solides vérités surgissent du sein des erreurs expiées. La fille aînée de la Réforme en a fait dès longtemps l'expérience et ne s'épouvante pas outre mesure de ces laborieuses perspectives. Elle sait que chercher c'est vivre, et vivre pleinement; qu'il n'y a pas pour l'humanité d'autre vocation, de condition plus haute de sa valeur morale et de sa dignité. Que la question résolue aujourd'hui devienne le point de départ d'un problème nouveau, loin de nous en plaindre, nous devons nous en réjouir, au contraire. Par là s'entretiendra dans les esprits cette activité féconde qui chasse l'indifférence et l'apathie, et qui fait du monde moral le plus imposant des spectacles qui se puisse contempler ici-bas.

J. HABANS.

ÉTUDES

SUR

LES FORCES PRODUCTIVES

DE LA FRANCE

LE LITTORAL DE LA SAINTONGE ET DE L'AUNIS

I

L'homme jeté dans le monde pour lutter et combattre semble plus spécialement voué à sa destinée aux lieux où la mer rencontre la terre et la bat de ses flots sans cesse renaissants. Dans ces parages, la nature est grave et sévère, toujours imposante, souvent redoutable. Là s'opèrent encore tous les jours de visibles transformations, qui sont l'occasion de nouvelles luttes, inconnues ailleurs. Le spectacle de ces efforts de l'homme contre la nature n'est nulle part plus saisissant que sur cette partie des côtes occidentales de la France comprise dans les anciennes provinces si intimement confondues de l'Aunis et de la Saintonge. Le géographe ancien qui a décrit le rivage du pays des Santons aurait de la peine à le reconnaître aujourd'hui, son texte à la main. L'action de la mer a transformé ce littoral; les baies intérieures sont comblées, les promontoires avancés reculent tous les jours, et la ligne droite remplace les profondes

dentelures de la côte. Entre les limites où s'arrêtent les flots et les vestiges de l'ancien port des Santons s'étendent, sur une distance de plusieurs kilomètres, des terrains récemment émergés, qui s'accroissent sans cesse par des alluvions nouvelles; ces terrains sont connus dans le pays sous le nom de marais.

La région des marais de la Saintonge et de l'Aunis, aux embouchures de la Seudre et de la Charente, à la hauteur des îles de Ré et d'Oléron, ne se trouvant pas sur l'itinéraire habituel et tracé d'avance des touristes, a été longtemps peu connue. De nombreux visiteurs la traversent depuis quelques années, par suite de la mode qui se répand de passer quelques mois de la saison chaude sur les bords de la mer, et grâce aux établissements de bains de Royan, de Fouras, de la Tremblade, que l'amélioration des voies de communication rend tous les jours plus accessibles. L'exploration de cette contrée offre de l'intérêt, surtout dans la partie voisine de l'embouchure de la Charente, limite naturelle des deux provinces, à laquelle sera restreinte cette étude.

On pénètre dans les marais de la Saintonge et de l'Aunis par la voie ferrée de Poitiers à Rochefort, au delà de la station d'Aigrefeuille. Le pays, jusque-là varié, parfois pittoresque, change complétement d'aspect. A la région des céréales et des vignes succède, jusqu'à Royan, à l'entrée de la Gironde, sur une longueur de 60 kilomètres, une vaste mer de verdure, au milieu de laquelle s'élèvent, de distance en distance, de petites éminences couvertes de cultures variées. L'inspection des lieux démontre que la mer a jadis recouvert ces terrains insensiblement exhaussés par le dépôt continuel des vases que l'eau tient en suspension et qui produisent, à chaque marée, l'effet d'un immense colmatage. L'œil le moins exercé suit avec la plus grande facilité le contour irrégulier des terrains émergés à une époque plus ancienne et qui forment, au-dessus des conquêtes plus récentes de la terre sur les flots, de vastes promontoires présentant aux regards la coupe de leurs couches calcaires. Par les intervalles et les dépressions qui séparent ces points élevés, la mer a pu se frayer des passages qui lui ont permis de s'avancer à 15 ou 20 kilomètres dans l'intérieur des terres et de déposer ses sédiments dans des baies tranquilles. C'est ainsi que la rade de la Charente, abritée par les îles contre les vents du large, aura été comblée par ces dépôts successifs de matières terreuses qui, une fois soustraits à l'action des flots, ont formé corps avec le sol. On trouve encore, à plusieurs kilomètres dans les terres, enfoncés dans ces dépôts argileux, dont certains ont une grande profondeur, des coquillages, des fragments de fer ou de bois, provenant d'embarcations d'un fort, tonnage. Dans les parties élevées qui conservent le nom significatif

d'îles' on montre, d'après la tradition, la place où les chaloupes auraient été amarrées. La dénomination de port, sous laquelle sont désignées des localités situées au fond de ces baies, indique quelle a dû être leur destination primitive. Parfois, dans les grandes tempêtes, l'Océan, comme s'il faisait un suprême effort pour ressaisir son empire perdu, inonde encore quelques parties de ce littoral que le travail de l'homme lui a courageusement disputé en élevant des digues qui semblent commander aux flots de mourir à leurs pieds et de ne pas avancer plus avant. Les dernières de ces conquêtes remontent à peine à quelques années, ou plutôt elles se poursuivent tous les jours. En voyant le littoral croître comme à vue d'œil, il est permis de dire que dans ces parages l'homme crée le sol sur lequel il gagne son pain à la sueur de son front. Ces terrains plats, unis, inférieurs aux grandes marées qui les ont déposés autour des éminences et entre les promontoires plus anciennement sortis des eaux, sont recouverts d'un immense tapis de verdure, qui règne le long du littoral, pénètre inégalement dans les terres et s'étale sur une étendue presque ininterrompue de 60,000 hectares.

Sur le relief de ces terrains, au contour irrégulier, se montrent, clair-semées, des cabanes blanches se détachant du fond du paysage, de rares touffes d'arbres, des agglomérations de population peu importantes, enfin, la petite ville de Marennes, dont le clocher élevé est un repère précieux pour les navires engagés dans les pertuis, et pour les touristes un observatoire d'où la vue embrasse à la fois l'immensité de l'Océan et une vaste étendue de terre contrastant avec la surface agitée de la mer; au loin, rappelant le désert, les dunes d'Arvert au pied desquelles gronde Maumusson, la Seudre et la Charente, creusant leur large sillon, les forts du Chapus, de Fouras, de Boyard, d'Enette, alternativement submergés et délaissés à chaque marée, les îles d'Oléron, d'Aix, de Ré, sortes de brise-lames naturels protecteurs de la côte.

Les pâturages qui recouvrent ces terrains sont connus dans le pays sous le nom de marais-gâts et de marais mouillés. Les premiers sont les anciens marais salants, gâtés pour la production du sel à cause du mélange de l'eau douce avec l'eau de la mer, et ne produisant aujourd'hui que de l'herbe; les seconds ne reçoivent que de l'eau de pluie. Ces pâturages, dans leurs meilleures parties, ne le cèdent, sous aucun rapport, à ceux des contrées les plus favorisées, ni aux magnifiques herbages de la Normandie, ni aux abondants pacages qui couvrent les flancs du Jura et des montagnes de l'Auvergne,

Ile d'Albe, île de Flaix. Sans avoir une dénomination particulière, toute élévation audessus des marais reçoit des habitants le nom d'ile.

2 Nom donné dans le pays aux fermes ou métairies.

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