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zootechniques opposées aux faits précis sur lesquels je me suis appuyé pour démontrer que la génération consanguine, pas plus qu'aucune autre, ne peut faire apparaître, dans l'individu procréé, que les qualités bonnes ou mauvaises des ascendants sont de la même force...., il demeurera donc établi, j'espère, que la consanguinité n'agit pas autrement qu'en favorisant l'hérédité..... » Dans un article de la Culture, le même écrivain dit encore: « Il y a longtemps que les espèces animales seraient éteintes, si l'union entre parents eût été une cause réelle de dégradation. » Dans le Livre de la Ferme, M. Sanson exprime ainsi l'idée émise par nous tout à l'heure : « Les faits rigoureusement constatés font voir que les accouplements consanguins, pratiqués entre individus sains et bien constitués, réunissent précisément toutes les conditions physiologiques capables de donner lieu plus sûrement que les autres à un produit réunissant au plus haut degré possible les mérites de ses ascendants. » Cette conclusion est aussi celle que nous trouvons dans une brochure de M. J.-B. Huzard, sur les Accouplements entre animaux consanguins. Le savant zootechnicien n'était point aussi radical à ce sujet dans le livre qu'il publiait en 1843, sous ce titre : Des Haras domestiques et des Haras de l'Etat en France. Mais aujourd'hui, il ne reste plus aucun doute dans son esprit sur la parfaite innocuité. M. Huzard s'est livré à une enquête sérieuse des faits, et l'opinion d'un homme aussi distingué, formulée après bien des années d'études consciencieuses, principalement sur l'hippologie, est un témoignage considérable en faveur de notre thèse.

Nous voudrions espérer que, après l'exposé que nous venons de faire des différentes opinions des savants et des praticiens sur la consanguinité, le lecteur tirera lui-même les conclusions auxquelles nous sommes arrivé. Ce résultat serait certainement celui que nous ambitionnons le plus, car il prouverait que nous avons su résumer la discussion. Exposer simplement les faits et les doctrines, et faciliter par là la tâche de ceux qui entreprendraient de se former une opinion sur une question si importante et si intéressante, tel a été notre but. Puissions-nous l'avoir atteint!

Cte GUY DE CHARNACÉ.

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Encore une lyre de brisée, et l'une des plus harmonieuses et des plus puissantes! Ici, du moins, notre hommage mérité s'adresse à un talent venu à son heure, depuis longtemps reconnu et compris. Nous n'avons pas à protester, cette fois, comme nous avions dû le faire récemment, à propos d'un autre maître, contre les caprices iniques de la renommée, contre cette justice tardive et boiteuse comme les prières d'Homère, qui souvent se traîne à perte de vue sur la trace du génie, et ne le rejoint qu'au tombeau. L'auteur de Robert a été largement le contemporain de sa gloire; depuis longtemps il avait vaincu, et les notes discordantes de la critique se perdaient dans une immense acclamation, qui ne s'éteindra pas avec lui. Par la nature même de son talent, souple autant que vigoureux, il savait tout à la fois dompter et enchanter la masse du public en anticipant, avec une réserve habilement calculée, sur les tendances qu'il pressentait. Comment nous défendre d'une admiration reconnaissante pour le maître dont la force complaisante savait si bien faire à l'exécutant sa part dans le triomphe, et conduire son auditoire, par des sentiers fleuris, jusque dans les hautes régions de l'art! C'est à la France qu'il appartient de payer la première un juste tribut de regret au compositeur éminent, naturalisé dans notre pays par des chefs-d'œuvre qui ont jeté un éclat si vif et si durable sur notre première scène lyrique. Sa laborieuse et brillante carrière offre plus d'un salutaire enseignement aux artistes et à tous ceux qu'enflamme la noble ambition d'arriver au succès par des voies honorables. Ils y trouveront un exemple mémorable de ce que peut une aptitude réelle, alliée à l'habileté pratique et à l'énergie de la volonté.

I

Nous n'avons pas la prétention de recommencer la biographie détaillée de Meyerbeer; elle a été faite ici même par M. Léon Kreutzer, dans une savante et classique étude, fréquemment citée depuis dix ans, et à laquelle la presse française et étrangère fait encore en ce moment de larges emprunts'. Toutefois, depuis l'époque où ce travail a paru, Meyerbeer a conquis de nouveaux titres à la faveur du public par l'Etoile du Nord et le Pardon de Ploërmel. De plus, ses œuvres précédentes ont subi victorieusement l'épreuve du temps. Longtemps méditées, soigneusement élaborées, elles n'ont rien de commun avec ces productions, objet des éphémères caprices de la mode, qui s'épanouissent et se fanent plus vite que les roses. Chaque année qui s'écoule éclaircit les rangs de la génération qui la première eut le bonheur d'applaudir aux chefs-d'œuvre de Meyerbeer, mais leur beauté persiste et s'impose aux nouveaux venus, et le temps n'a pas encore imprimé une ride aux figures suaves et sereines d'Alice, de Valentine et de Fidès. Certaines parties de ces ouvrages avaient même besoin de cette consécration; elles ont grandi dans la perspective, par la comparaison avec des œuvres plus récentes, et aussi par suite de l'élévation sensible de la moyenne d'éducation et d'intelligence musicales du public. Qu'il nous soit donc permis, en payant notre hommage à l'illustre mort, de revenir briè– vement sur les principaux incidents de cette carrière si bien remplie, et de définir nettement la portée et le véritable caractère de l'œuvre du grand maître dont le monde musical pleure la perte.

Né dans des conditions exceptionnelles d'opulence, Meyerbeer est un des exemples qui prouvent que la richesse n'est pas un obstacle aussi général qu'on le croit à l'opiniâtreté du travail et à la noble passion de la gloire. Il fut aussi du petit nombre des enfantsprodiges, chez lesquels l'âge mûr justifie et dépasse les promesses de l'adolescence. Pianiste remarquable et remarqué dès sa douzième année, il dédaigna bientôt ces triomphes trop faciles, et se consacra tout entier au labeur plus difficile de la haute composition. Il eût été incontestablement le premier des élèves du savant abbé Vogler, s'il n'avait eu pour condisciple Charles-Marie de Weber. Tous les biographes de ces deux maîtres ont parlé de leur amitié fraternelle, qui survécut même à ce qu'on a nommé, en Allemagne, la défection de

Voir Revue Contemporaine, 1re série, t. VIII, p. 469, 633. et t. IX p. 136.

Meyerbeer. Les trois premiers ouvrages de celui-ci, l'oratorio de Dieu et la Nature (1811), l'opéra du Vou de Jephté (1812), celui, déjà plus remarquable, d'Abimélec (1815), étaient des œuvres allemandes, trop allemandes peut-être. On y reconnaissait cette préoccupation excessive des formules scholastiques, défaut commun chez les jeunes compositeurs qui ont fait de bonnes études, et tiennent à étaler leur savoir précoce. Les circonstances n'étaient pas favorables à ces formes sévères et compliquées. Au sortir des guerres de l'Empire, l'Allemagne cherchait plutôt dans la musique une occasion de délassement, de distraction joyeuse et facile, qu'un sujet de contention d'esprit; elle n'échappait aux armes françaises que pour tomber sous le joug fleuri des mélodies italiennes de Cimarosa, de Paësiello et bientôt de Rossini. Tandis que l'individualité puissante de Weber se roidissait contre cette invasion avec la superbe inflexibilité du génie, son ancien condisciple, esprit plus souple, plus impatient de succès immédiats, se faisait presque complétement italien, sacrifiant sans scrupule l'harmonie à la mélodie, et parfois la mélodie elle-même aux exigences les plus capricieuses de la vocalisation. Cette transformation valut à Meyerbeer des succès nonseulement en Italie, mais dans son propre pays, où son triomphe souleva toutefois d'amères protestations. On peut, en effet, regretter qu'il ait alors fait trop bon marché de son individualité, surtout dans ses premiers opéras italiens, car elle commence à réagir dans Marguerite d'Anjou (1822), et encore plus dans le Crociato (1824). Mais si Meyerbeer fut un moment par trop rossinien, il l'était encore à peine assez pour le public italien et français d'alors, et même pour la grande majorité du public allemand. Aujourd'hui plus que jamais, il serait injuste de reprocher à l'auteur de Robert ces péchés de jeunesse, suffisamment expiés par l'oubli. Il faut lui pardonner Romilda, Emma, l'Esule di Granata, comme on pardonne à Rossini Elisabeth, Zelmira, Armida et autres feux d'artifice musicaux aujourd'hui bien éteints, et qu'aucun chanteur de nos jours ne serait capable de rallumer.

Dans les deux derniers ouvrages italiens de Meyerbeer, on voit se prononcer un commencement de retour au style sérieux et soutenu, semblable à celui qui se produisit, vers la même époque, chez Rossini. Il y a aussi loin de Tancredi à Mosè que des premiers opéras italiens de Meyerbeer au Crociato.

Les biographes de Meyerbeer n'accordent pas en général assez d'attention à cette partition. Le Crociato n'est pas assurément une œuvre de premier ordre. Les rôles principaux sont jetés dans un moule trop uniforme; on y sent encore presque constamment dominer, dans les soli, la préoccupation de faire briller à tout prix l'exé

cutant par des fusées de vocalises en désaccord flagrant avec les situations et les caractères. Armando, le Crociato, aussi brave que volage, l'irrésistible séducteur dont le rôle fut créé par Veluti, le dernier castrat célèbre d'Italie; Felicia, la timide amante délaissée; Palmide, la princesse musulmane convertie par l'amour; Adriano, l'intrépide et malheureux grand-maître, et jusqu'au farouche soudan Aladin, font, dans leurs cavatines, une consommation effrayante de gammes, de trilles et d'arpéges, pour exprimer la fureur, la tendresse, la résignation et la pitié. Mais les mélodies, quoique souvent ornementées à l'excès, ont un caractère de fraîcheur, d'inspiration prime-sautière qu'on ne retrouve pas toujours dans les dernières euvres du maître, et le sentiment dramatique, qui fait presque absolument défaut dans l'expression des passions individuelles, se retrouve souvent à un haut degré dans les morceaux d'ensemble. L'introduction, où les croisés, prisonniers et contraints de faire l'office de maçons ou de charpentiers, exhalent leur douleur, est un morceau de premier ordre, où le maître a exprimé avec un rare bonheur le tendre regret du pays natal, alternant avec de violentes explosions de désespoir, tandis que le rhythme implacable des basses rappelle incessamment à l'auditeur le dur et monotone labeur des manœuvres. La mélodie principale du trio célèbre en mi bémol, Giovinetto cavalier, dont le début, comme l'a remarqué M. Kreutzer, rappelle un chœur du Mariage de Figaro, s'harmonise à merveille avec le sens des paroles. Nous n'en dirons pas autant du chœur pourtant resté populaire : Nel silenzio frà l'orror, dont le caractère éclatant et joyeux conviendrait mieux à des soldats marchant triomphalement en plein jour, qu'à des traîtres complotant dans l'ombre d'un souterrain. La prière d'Adriano, ce grand-maître toujours battu et prisonnier malgré ses vaillantes roulades, est un morceau fort propre à faire valoir la sensibilité et l'énergie du chanteur, aussi bien que son agilité; mais elle a le tort de trop rappeler celle de Moïse. On peut encore citer le chœur syllabique, à répliques vivement croisées, où les conjurés cherchent à se faire des auxiliaires des prisonniers chrétiens; la fête sur l'eau, très remarquable d'un bout à l'autre comme orchestration et comme mélodie, le chœur alternatif des imans et des guerriers, où deux mélodies de caractère essentiellement différent se réunissent à la fin dans un ensemble harmonieux; et encore le quintette avec chœurs, où le soudan longtemps abusé fulmine des imprécations contre sa fille. Mais le morceau capital de l'œuvre est le final du premier acte, où, malgré les supplications des femmes, chrétiens et musulmans se déclarent une guerre à mort. Sauf quelques fioritures vieillies qu'il serait prudent de retrancher dans l'exécution, ce morceau peut être considéré

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