Page images
PDF
EPUB

-

Votre filet? répondit le vieux domestique étonné; mais vous voyez bien que le temps est trop frais : les truites sont sous roche. - Mon filet!» répéta Marie.

Le vieux domestique prit le filet, et, comme de coutume, il s'apprêtait à marcher devant sa maîtresse.

« Donne, lui dit celle-ci, je n'ai pas besoin de toi. »

Et elle s'éloigna rapidement dans la direction du Cuvier.

« Vous ne prendrez rien, c'est moi qui vous le dis,» lui cria encore une fois Guillaume.

Puis il se remit après un manche de charrue, qu'il polissait et repolissait depuis le matin.

A la nuit tombante, Gabriel et Dolorès arrivaient.

« Où est ma mère? demanda le jeune homme.

-Ohé, Marthe, est-ce que la señora n'est pas encore rentrée ? cria Guillaume.

[blocks in formation]

Figurez-vous, lui dit le vieux domestique, qu'elle a voulu à toute force aller pêcher au filet. Au filet, dans cette saison! Je suis sûr qu'elle reviendra les mains vides; vous allez voir!

- Quelle direction a-t-elle prise?

- Il m'a semblé qu'elle allait du côté du Cuvier. Mais il n'y a Cuvier qui tienne. J'en suis toujours pour ce que j'ai dit elle ne rapportera pas le moindre barbillon.

[ocr errors]

Je vais voir si je la trouverai, » dit Gabriel à Dolorès.

Et il courut vers la rivière.

En amont, en aval du Cuvier, il parcourut tous les coins et recoins, en appelant à haute voix. Puis, espérant qu'elle serait rentrée, il revint à Rocagirade.

«Eh bien? demanda Dolorès.

-Elle n'est pas rentrée ?

Non. »>

Ils se regardèrent avec une expression d'angoisse.

« Vite des torches, des lanternes ! s'écria Gabriel. Guillaume, Pédrille, suivez-moi. »>

Durant toute la nuit, ils explorèrent les bords du Ter et les fermes des environs. Quand le jour parut, Gabriel se retrouva au Cuvier. Epuisé de fatigue, il s'assit sur la roche lisse qui formait la paroi du gouffre. Il promenait machinalement ses yeux autour de lai lorsqu'il crut apercevoir une masse noire qui s'engageait dans l'étroit canal par où la rivière s'échappait et continuait son cours. Il se précipita, plongea un bras dans l'eau, et ses dents claquèrent. Il avait ren

contré une main, et, tirant de toutes ses forces, le cadavre de sa mère était apparu à la surface. Mais la rapidité du courant lui avait fait lâcher prise.

« Là! là ! elle est là! cria-t-il aux muletiers qui arrivaient; sauvez-la..»

Les muletiers entrèrent dans l'eau et retirèrent le cadavre. Gabriel tomba évanoui sur le sable, et il fallut l'emporter comme sa

mère.

La triste nouvelle se répandit avec rapidité dans les environs. On accourut de tous côtés à Rocagirade. La maison ne désemplit pas de la journée. On expliquait l'accident de mille manières; mais la plupart étaient d'avis que Marie avait été entraînée par le poids du filet, en essayant de le lancer dans le Cuvier.

Une chapelle, surmontée d'une croix de fer, s'élève aujourd'hui sur le bord du gouffre, à l'endroit présumé d'où Marie fut précipitée. Tous les soirs, quand la nuit approche, Gabriel et Dolores y vont prier pour l'âme de leur mère.

CAMBOULIU.

RÉSUMÉ

DE

L'HISTOIRE ET DE LA THÉORIE

DES IMPOTS'

Arrivé à la fin de ma course, ayant parcouru les divisions principales et nécessaires dans lesquelles se classent les impôts pratiqués par les divers peuples, j'éprouve le besoin de résumer les réflexions de nombreuses années, de préciser quelques résultats généraux dans

• La Revue Contemporaine a publié, de 1859 (30 juin) à 1862 (15 juillet), une série d'études sur les Impots de consommation, par M. E. de Parieu, membre de l'Institut, vice-président du conseil d'Etat. Ces études, qui font partie d'un ensemble de recherches réunies aujourd'hui en volumes, forment une des œuvres capitales de l'économie politique à notre époque. Un savoir des plus étendus, qui est allé puiser ses informations jusqu'aux sources les plus éloignées et les moins accessibles, des doctrines où le sens pratique de l'homme d'Etat n'exclut jamais la hardiesse féconde des idées, assignent au livre de M. de Parieu la première place parmi les ouvrages consacrés à cette partie essentielle du gouvernement. On ne saurait mieux déterminer dans quelles limites l'Etat peut prélever sa part du revenu public, et comment il peut le faire de la manière la moins onéreuse pour le pays, la plus profitable pour l'administration. Nos lecteurs ont déjà apprécié les qualités de ce savant traité, qui, on peut le dire, épuise le sujet; peut-être les apprécieront-ils mieux encore, maintenant que ses divers chapitres, rassemblés et complétés, laissent mieux apercevoir la pensée supérieure qui les a inspirés et qui leur sert de lien. C'est cette pensée générale que M. de Parieu a mise en lumière dans des pages substantielles qu'il veut lien détacher pour nous de son Ve volume, dont la publication est prochaine. Ces pages revenaient de droit à nos lecteurs, puisqu'elles résument les idées développées dans la sèrie d'études sur les Impôts de consommation; ils sauront gré à M. de Parieu de nous permettre de Jes leur offrir. L. J.

le progrès des doctrines et des institutions fiscales, et aussi de relever quelques aperçus dont le mode successif de publication adopté pour les diverses parties de mon livre a permis à une critique le plus souvent bienveillante d'éclairer ma marche.

L'ouvrage que je termine n'a été destiné ni à contenir un traité complet de science financière, ni même à embrasser les diverses questions que soulèvent les budgets des peuples, envisagés dans les deux grandes sections de la dépense et de la recette. Je n'ai pas essayé notamment de tracer la théorie systématique des dépenses publiques, dépenses que les besoins du présent, les engagements du passé, les entreprises de l'avenir, quelquefois l'instinct particulier d'une nation', grossissent habituellement dans l'histoire financière des peuples. J'examine beaucoup moins la quotité et l'origine de ces dépenses que la valeur des moyens à la disposition des gouvernements pour y pourvoir.

Divers historiens ont pu réunir l'appréciation des motifs politiques d'une grande lutte nationale, avec celle des moyens stratégiques employés des deux parts pour obtenir le succès. Mais il en est aussi qui ont étudié la stratégie, ou même certaines de ses branches seulement. J'ai suivi, quant à moi, un plan analogue, en pensant que ma tâche, ainsi réduite à l'étude de l'impôt, comme une science de moyens, avait encore ses difficultés et sa grandeur. Sous ce rapport, il est bien douteux que la science des dépenses donne les bases de l'impôt, comme un écrivain ingénieux semble l'avoir pensé. Elle en circonscrit seulement la quotité et l'étendue. Mais la science de l'impôt conserve elle-même toute sa spécialité quant au choix des éléments qu'elle emploie. On peut même remarquer que la théorie des impôts est profondément séparée de celle des dépenses, non-seulement par la nature des choses, mais encore par la disposition d'esprit des peuples, si portés à vouloir des dépenses, sans accepter toujours la nécessité simultanée des charges qui y correspon

* La France serait trop riche et le peuple trop abondant si elle ne souffrait point la dissipation des deniers publics, que les autres Etats dépensent avec règle..... Si l'on pouvait régler l'appétit des Français, j'estimerais que le meilleur moyen de ménager la bourse du roi serait de recourir à cet expédient. » (Testament politique de Richelieu, sect. VII, ch. Jer.)

'M. Horn, dans le Journal des Débats du 14 novembre 1862. — Il y a bien certain rapport entre le champ et la nature des dépenses, d'une part, et la nature des impôts, de l'autre. Mais M. Horn me paraît exagérer en demandant que la science et l'art politique donnent les bases de l'impôt. M. Sargan pense que le pauvre ne peut concourir aux dépenses d'assistance, d'éducation, de gloire nationale pure, etc. Son système, sous ce rapport, tendrait à établir certains impôts affectés spécialement à certaines dépenses, mais nous nous sommes, en France, genéralement éloignés d'une façon progressive de cette règle. (Voir l'article de M. Sargant, dans le Journal de la Société statistique de Londres, de septembre 1802.,

dent. Il faut reconnaître, sous ce rapport, que l'humanité n'a pas fait de progrès décisif, et, dans notre siècle même, j'ai cru voir quelquefois le commentaire pratique des réflexions d'un écrivain appartenant à une époque et à une nation assez arriérées par rapport à nous et qui a dit avec quelque amertume : « Tous veulent que le roi les gouverne, qu'il puisse les défendre, et les défende en réalité; mais personne ne veut que cela s'accomplisse à ses frais. Tel est le naturel du peuple, qu'il s'offense de voir faire aux souverains ce qu'il leur demande de faire. Il veut être gouverné et défendu; mais, en refusant les tributs et les impositions; il désire voir faire l'impossible '. »

Cette opposition vulgaire entre la dépense, qui est à la fois un principe et un but, et l'imposition, qui est à la fois une conséquence et un moyen (si je puis employer ces expressions), ne se retrouve plus de nos jours dans une catégorie d'esprits élevés qui ont porté une critique hardie sur le système des dépenses publiques; mais il faut reconnaître encore, avec un écrivain de nos jours, que les progrès mêmes d'une science utile et respectable ont plutôt transformé et ennobli l'inconséquence signalée tout à l'heure qu'elles ne l'ont détruite, s'il est vrai de dire avec cet auteur, « que la marche des sociétés tende à faire prévaloir, au moins dans la doctrine, les idées de l'économiste, sans que, dans la pratique, le fardeau imposé par les nécessités de l'ordre politique paraisse s'alléger *. »

A travers cette marche des sociétés, le spectacle des institutions financières de tous les peuples et de tous les temps présente l'impôt comme un fait complexe, varié et multiple. On peut dire que c'est là une institution polymorphe. Cela me semble expliquer suffisamment pourquoi, suivant la remarque d'un écrivain que j'ai déjà cité 3, il a été possible d'entreprendre un traité des impôts, plutôt qu'un traité de l'impôt même.

Cette institution joue d'ailleurs un rôle immense dans la vie des peuples. Elle alimente leur administration par son assiette régulière. Les abus qu'elle comporte ont souvent amené la perturbation ou la scission des Etats. L'histoire des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark, de l'Amérique du Nord, en contient notamment des preuves.

Quant à l'esprit général de mes études sur les impôts, il est juste de le rattacher à l'éclectisme, comme l'a dit avec justesse un critique bienveillant, et comme on m'a reproché de l'avoir déclaré moi

' Quevedo, Politica de Dios, t. VI, p. 259 de ses OEuvres, édit. de Madrid, 1794.

* Cournot, Principes de la théorie des richesses, p. 358.

'M. Horn, Journal des Débats, du 14 novembre 1862.

• Idem.

« PreviousContinue »