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pas imaginer des fables grossières; et ils avoient trop d'esprit, pour ne les pas imaginer agréables. Vous ne saisissez l'opposition qui est entre ces idées, que parce que vous appercevez les deux jugemens ensemble. Cette vérité vous sera encore plus sensible, si vous réfléchissez sur vous-même, lorsque vous faites un raison

nement.

L'esprit pont se tende capable d'appercevoir

nombre d'idées.

Allons encore plus loin : considérons une de ces suites de jugemens et de raisonne la ris un grand mens dont nous avons formé des systêmes: vous le pouvez, Monseigneur; car vous savez ce que tout le monde sait à votre âge, comment toutes les opérations de l'entendement forment un systême, comment celles de la volonté en forment un autre, et comment les deux se réunissent en un seul.

C'est peu-à-peu que nous avons achevé ce systême : nous avons fait un jugement, et puis un autre encore. Il nous est arrivé ce qui arrive à un architecte qui fait un bâtiment. Il met avec ordre des pierres sur des pierres: le bâtiment s'élève peu-à-peu; et lorsqu'il est fini, on le saisit d'un coup

peut réussir.

d'œil. En effet, vous appercevez dans le mot entendement une certaine suite d'opérations, vous en appercevez une autre dans celui de volonté, et le seul mot pensée présente à votre vue tout le systême des facultés de votre ame.

Il étoit très-important de vous accoutumer de bonne heure à bien saisir un systême: mais ce n'est pas assez, il faut encore réfléchir sur les moyens qui vous ont rendu capable de le saisir. Car il faut que vous sachiez comment vous en pourrez former d'autres.

Vous voyez, par l'art avec lequel nous nous sommes conduits, qu'un seul mot suffit pour vous retracer un grand nombre d'idées. Voulez-vous savoir comment cela se fait, vous n'avez qu'à réfléchir sur vousmême, et vous rappeller l'ordre que nous avons suivi.

Comment il y Vous remarquerez donc une suite d'idées principales, que nous avons successivement développées, et qui, partant d'un même principe, se réunissent et forment un seul tout. Vous remarquerez que vous avez fait une étude de la subordination qui est entre

elles; que vous avez observé comment elles naissent les unes des autres; et que vous avez contracté l'habitude de les parcourir rapidement. A mesure que vous avez contracté cette habitude, votre esprit s'est étendu, et il vous est enfin arrivé de saisir l'ensemble, qui résulte d'un grand nombre d'idées.

Cette conduite, vous ayant réussi une fois, devoit vous réussir toujours. Nous l'avons tenue dans tous les autres systêmes que vous vous êtes faits, et vous en savez déjà assez pour sentir que c'est le seul moyen d'acquérir de vraies connoissances. En effet, il n'y a de la lumière dans l'esprit, qu'autant que les idées s'en prêtent mutuellement. Cette lumière n'est sensible, que parce que les rapports qui sont entre elles, nous frappent la vue et si, pour connoître la vérité d'un jugement, il faut saisir à la fois tous les rapports, il est encore plus nécessaire de n'en laisser échapper aucun, lorsqu'on veut s'assurer de la vérité d'une longue suite de jugemens. Il faut un plus grand jour pour appercevoir les objets qui sont répandus dans une cam

S'il n'y réussit pas il s'expose à être faux.

pagne, que pour appercevoir les meubles qui sont dans votre chambre.

Mais le premier coup d'oeil ne suffit pas pour déméler tout ce qui se montre à nous dans un espace fort étendu. Vous êtes obligé d'aller d'un objet à un autre, de les observer chacun en particulier; et ce n'est qu'après les avoir parcourus avec ordre, que vous êtes capable de distinguer plus de choses à la fois. Or vous suppléez à la foiblesse de votre esprit avec le même artifice que vous employez pour suppléer à la foiblesse de votre vue; et vous n'êtes capable d'embrasser un grand nombre d'idées, qu'après que vous les avez considérées chacune à part.

Vous ne savez peut-être pas, Monseigneur, ce que c'est qu'un esprit faux; il est propos de vous l'apprendre, car vous en rencontrerez beaucoup dans le monde.

à

Un esprit faux est un esprit très-borné : c'est un esprit qui n'a pas contracté l'habitude d'embrasser un grand nombre d'idées. Vous voyez par-là qu'il doit souvent en laisser échapper les rapports. Il ne lui sera donc pas possible de s'assurer de la

vérité de tous ses jugemens. S'il a l'ambition de faire un systême : il tombera dans l'erreur: il accumulera contradictions sur contradictions, absurdités sur absurdités. Je vous en donnerai quelque jour des exemples, et vous sentirez combien il est important d'étendre votre esprit, si vous ne voulez pas qu'il soit faux.

Mais, me direz-vous, j'aurai beau l'étendre, il sera toujours borné, et par conséquent toujours faux.

l'esprit faux.

L'esprit n'est pas faux, précisément parce ce qui caracterise qu'il est borné, mais parce qu'il est si borné, qu'il n'est pas capable d'étendre sa vue sur beaucoup d'idées : il ne se doute pas même de tous les rapports qu'il faut saisir, avant de porter un jugement: il juge à la hâte, au hasard, et il se trompe.

l'esprit juste.

Celui qui au contraire s'est accoutumé ce qui caractérise de bonne heure à se porter sur une suite d'idées, sent combien il est nécessaire de tout comparer pour juger de tout. Lors donc qu'il n'est pas assez étendu pour embrasser un systême, il suspend ses jugemens, il observe avec ordre toutes les parties, et il ne juge que lorsqu'il est assuré

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